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MOTS ET MAUX
 FLAGORNERIE
Par Ibrahima Baaxum
 
Dur, dur aura été le long règne de Habib Bourguiba. Pour atténuer et peut-être rendre justice au « combattant suprême », disons simplement que c’est la fin de règne qui a surtout été pénible.
En exprimant au lendemain de sa prise du  pouvoir, le souhait que l’information soit désormais basée sur la crédibilité et l’abandon de toutes les tares de la personnalisation, de la flagornerie, Zine Abédine Ben Ali met une lame dans la plaie. Et des Tunisiens, comme sortis d’un long rêve cauchemardesque, se demandent après coup, comment ils ont pu être « réduits à des sujets » dans une République.
« Le fait du Prince ( … ) est devenu une règle de pouvoir » et du fait d’une « Camarilla » (c’est venu d’un Tunisien), l’histoire est devenue une hagiographie. « Des hommes valeureux sont dénigrés, des évènements sont travestis et occultes au gré du Prince. Et les lauateurs se surpassent.
Vous avez dit Tunisie ? Que diable, on se croirait un peu n’importe où dans nos pays. On accorde déjà « un préjugé favorable » au Président Ben Ali, lui l’ex-Dauphin (le enième de Bourguiba), passé numéro un par un jeu de passe-passe dont seule l’Afrique a le secret.
Personne ne parle enrore de ce que peut faire le  peuple. Nulle part d’ailleurs on n’en parle, sinon pour l’imaginer « mobilisé » derrière un guide omniscient et omnipotent, lequel ne consulte ses concitoyens et non moins sujets que pour des élections bidon aux résultats pré-programmés.
L’homme-Nation qui nous a « redonné con­ fiance » peut alors se passer d’avis, surtout quand ces derniers ne riment pas avec les vivats arrachés aux foules anonymes. Ainsi, les applaudissements pourront se poursuivre, sans transition, avec la même intensité, d’un ex-Maitre de la situation à un nouvel homme fort avec lequel, sans scrupule aucun, les mêmes qu’hier vont cracher abondamment dans la soupe si bonne la  veille. Positionnement et repositionnement suivent au gré des intérêts du moment, parfois pour le prestige.
Provisoire et, surtout, précaire tout cela. Car, d’autres ambitieux élevés dans  le sérail sont toujours tapis quelque part, guettant l’instant opportun pour passer en première ligne… .
Lorsqu’un peuple n’a pas les moyens de choisir ses dirigeants, ceux qui prétendent  servir doivent compter avec son droit de regarder passer toutes les caravanes et de bluffer chaque fois … « Avec vous· … jusqu’à la mort ».
 
SOMMAIRE
Editorial                 Les années passent, l’Afrique s’enfonce
Politique                Organisations multilatérales
La déroute africaine
Burkina Faso          Divorce entre militaires et civils
Chronique d’un meurtre improvisé
Guinée                    Le retour du balancier
Niger                      Ali Saïbou sur le fil
Sénégal                   Onze pour un code
Kenya                     L’année des turbulences
Golfe                       L’intoxication
Economie               Sahel : La famine persiste
Dossier                   La nouvelle donne soviétique
Wall Street : la fin d’un mythe
Dette : comment s’en sortir
Entreprise              Les nouveaux managers africains
 
 
Au moment où nous mettons sous presses nous apprenons que les officiers Ba Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou ont été passés par les armes le dimanche 6 décembre en application du verdict rendu par la Cour de sûreté de l’Etat, le 3 décembre dernier
 
 
Une abondante actualité nous contraints à donner rendez-vous à la prochaine livraison aux inconditionnels de notre supplément santé
 
 
SUPPLEMENT SPECIAL MAURITANIE
AU CENTRE DU MAGAZINE
 VOUS AVEZ RAISON
Mon cher Ibrahima Fall,
L’éditorial de Babacar Touré dans votre n°7 d’octobre m’a poussé à lire les autres articles inclus dans la revue. C’est ainsi que j’ai lu votre article. J’ai été agréablement surpris la pertinence de vos propos. Je puis vous assurer que votre article a été apprécié.
Nous sommes parfaitement d’accord avec vous dans votre analyse comme le sont d’ailleurs les jeunes sénégalais que nous connaissons. L’impérialisme existe, il faut le dénoncer. Khadafi et Sankara sont des Africains dignes même si nous pouvons ne pas être d’accord sur certains aspects de leur politique. Toutes les campagnes de dénigrements qui essaient de faire d’eux des impulsifs, des gouvernants puérils sont nulles et non avenues car savamment orchestrées par les colonialistes occidentaux avec leurs larbins africains.
Les perspectives de votre revue sont justes. Nous nous reconnaissons dans vos analyses fort pertinentes. Vous avez raison « la jeunesse africaine se souviendra » du vil assassinat de Sankara pour de vils problèmes de sous.
Même si Sankara avait dévié, (ce qui est faux) cela valait-il la peine qu’on le tuât comma si au Burkina il n’y a pas de juge ? Peut-on taxer d’autocrate un homme qui accepte de diriger un pays avec d’autres c’est-à-dire avec un collège. Les criminels ne nous convaincront pas même si certains chefs d’Etat (faussement vêtus de l’habit de modéré) commencent à lui donner un crédit.
Compaoré est un sanguinaire ignoble quand on étudie son évolution avec Sankara depuis qu’ils sont jeunes. Vous avez également raison de dire que Sankara était « porteur de la nouvelle espérance de l’Afrique réhabilitée » (…).
Nous avions perdu l’espoir d’avoir des journalistes percutants dans leur analyse mais voilà que Dieu vous envoie, nous redonne confiance
Macaty FALL
Etudiant en Droit
Sicap Sacré-Cœur I
villa n° 8324 – Dakar
 J’AI BESOIN DE SAVOIR
Je suis un étudiant américain, en Afrique  de l’Ouest dans le cadre de mes études.  C’est ainsi que j’ai pu acheter et lire pour la  première fois « Sud Magazine » à Abidjan. J’ai été très impressionné par la qualité de votre magazine, heureux de lire un journal qui essaie d’analyser et de critiquer la politique, la culture et la santé en Afrique.
A mon avis, Sud allie les meilleurs aspects des magazines ‘West Africa » et « Jeune Afrique », mais sans l’anglophilie ou la francophilie de l’un ou l’autre. Il me semble que vous comprenez que seul le reportage objectif et stimulant peut vraiment informer des gens comme moi qui veulent comprendre l’Afrique sans l’aide d’une « presse officielle ».
J’ai beaucoup aimé en particulier les articles de votre numéro 6 du mois d’août concernant la campagne politique au Sénégal entre Abdou  Diouf et Abdoulaye
Wade, ainsi que les interviews de Manu Dibango et de Jacqueline Lemoine.
J’ai cependant deux griefs. Premièrement, pourquoi n’y avait-il pas une véritable analyse des programmes politiques de Wade et de Diouf ? Nous n’avons pas besoin du « combat des personnalités ». Le Sénégal se trouve dans un état économique précaire et j’ai besoin de savoir les approches proposées par Diouf et par Wade pour résoudre le  problème.
Deuxièmement : nous sommes au mois de novembre et il n’y a encore eu de numéro de Sud pour la fin de l’année. J’espère que la parution deviendra plus régulière (disons  par mois). Je suis malheureux de ne pouvoir m’abonner puisque je change d’adresse chaque mois. Cependant je vous envoie un chèque de 20 dollars US, ma contribution pour que Sud devienne parmi les meilleurs magazines africains d’information.
Michael P. Johnson
s/c Mrs Begay Jagne
OMVG BP. 2353 – DAKAR Sénégal
Adresse permanente
212 8th avenue Brooklyn
New York 11 215
 HOMMAGE A SANKARA
Une fleur, une espérance
Du pays des hommes intègres s’est fanée.
L’espoir s’est dissous dans le lac de Banfora.
Et voilà que de Bobodioulasso
A Sikasso
Dans le ciel brun de l’hivernageFinissant
Les vautours au-dessus de nos têtes
De clamer la
clameur :
« SANKARA est mort »
Et voici que le
continent
Qui n’en peut plus de crouler
Sous le poids des incertitudes
De plier encore les genoux
sous le fardeau du deuil.
Deux vieillards m’ont conté
Lun à Ferkessedougou,
L’autre à Sikasso
l’épopée de Samori
Le refus de Babemba.
C’était il y a trois hivernages
Thomas SANKARA venait de prendre le
pouvoir
Et, avec lui, la Jeunesse africaine
En quête de Repère, de levain
Pour redresser – même d’un pouce –
Cette vieille Afrique enlaidie
Par les rides des injures.
C’est ce piédestal – qui n’était pas parfait certes –
Que Blaise Compaoré a pris sur lui
Devant les hommes et devant l’Histoire
-La nôtre en tous cas-
D’immoler.
 
16 Octobre 1987
ldy-Carras NIANE
Villa n° 251 OUagou Niayes 2
Dakar
  
EDITORIAL 
Les années passent, l’Afrique s’enfonce 
Par Babacar Touré 
Consolidation des tares politiques. Recul des acquis diplomatiques. Incertitude sur le devenir du continent.
L’année 1987 apparue dans une nuée d’espoirs, se meurt dans la désillusion et l’amertume. En douze mois de vécu continental, bien rares sont les signes annonciateurs de cette aube nouvelle que laissait présager l’apparente mobilisation panafricaine au tournant de l’année 1986.
Au plan politique, l’assassinat du jeune capitaine Thomas Sankara, la destitution des présidents Bagaza et Bourguiba, les putschs manqués en Mauritanie et les rébellions ouvertes au Congo (Pierre Anga) ou en Côte d’Ivoire (séquestration d’Aoussou Koffi) sont venus rappeler des réalités · moyenâgeuses qui font désormais corps avec notre patrimoine commun.
Renouant à chaque tournant décisif de son histoire avec cette instabilité chronique, ce continent où aucun acquis n’est irréversible, offre au reste du monde, plus que le spectacle de sa misère, une sénilité effarante.
Mais pouvait-on attendre davantage d’une Afrique où la liberté et l’expression plurielle sont bannies et où le conformisme, là où il n’est pas officialisé par le parti unique, tient lieu de code de conduite pour le citoyen modèle ?
N’ayant pris de l’Occident que cette carcasse étatique merveilleusement pavoisée aux hymnes et couleurs nationales mais entièrement vidée de sa substance émancipatrice, l’Etat moderne africain, a encore subi cette année ci, les incontournables coups de boutoirs qui le ramènent, à intervalles réguliers, à la réalité des peuples. Les secousses continueront aussi longtemps que de profonds changements ne viendraient pas épauler les discours de toutes les colorations, en réconciliant le pouvoir avec les couches les plus profondes de nos sociétés.
Malgré l’éclaircie qui a pointé avec l’installation cette année sur le continent, de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, des interrogations pesantes alimentées par l’arbitraire politique, les brimades policières, crime gratuit et les procès expéditifs tempèrent encore tout optimisme.
Réserve également au sujet des engagements diplomatiques souscrits dans l’intimité des palais étanches par des autocrates plus soucieux de leurs relations filiales que de l’intérêt public. Le consensus diplomatique a certes apaisé les sables du Tibesti et du Sahara. Mais que valent de telles avancées alors que le retour d’Israël sur le continent, et le clientélisme métropolitain qui assure l’impunité de Pretoria sont venus reconfirmer la même année tout le poids de l’humeur passagère et des intérêts de basse échelle sur solidité de nos engagements ?
Les circonstances dans lesquelles l’Afrique a perdu certains des postes mis en compétition au niveau des organisations multilatérales sont pour nous ramener à la cruelle réalité. L’infantilisme qui inspire ses options économiques gagées et dictées de l’extérieur cultive l’indigence· et entretient la servilité.
Dix-huit mois après le début de sa mise en œuvre, les conséquences sociales du programme de redressement économique pour l’Afrique, ses conséquences humaines inquiètent plus qu’elles ne rassurent. Ecoles et hôpitaux sont engorgés, routes et puits s’ensablent faute d’entretien, la paupérisation se généralise … 1988 ne promet pas mieux. Il faut changer.
ORGANISATIONS MULTILATERALES
La déroute africaine
Par Sidy Gaye
Depuis 1981, l’Afrique a convoité tous les postes de direction mis en  compétition au niveau des principales organisations multilatérales. Elle les a tous perdus à l’exception de la Cnuced. Cela pourrait continuer si l’on ne se demande pourquoi.
A  la seule exception de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Cnuced), les derniers scrutins qui se sont déroulés depuis 1981 pour le renouvellement des postes de direction au niveau des organisations inter­ nationales, ont été marquées par l’échec des candidats africains.
Depuis la tentative infructueuse du Tanzanien Salim Ahmed Salim qui briguait le Secrétariat général de l’Onu à l’occasion de la trente cinquième Session de l’assemblée générale, pas moins de quatre candidatures africaines ont été repoussées dans les mêmes circonstances. Si le Ghanéen Kenneth Dadzié a ravi la Cnuced à Gamani Corréa à l’occasion de la sixième session quadriennale, cette exception ne fait que confirmer la règle d’une dérive constante depuis six ans.
Le Nigérian Adebayo Adededji qui rêvait de troquer son portefeuille de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) contre la Direction de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) s’est incliné devant le philippin Domingo L. Siazon Junior. Le Suisse Jean Pierre Hoeke a reçu en janvier la confiance, de Perez De Cuellar pour diriger le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR). L’Afrique lui préférait  l’Egyptien Boutros Ghali. La communauté internationale a choisi, début novembre, le biochimiste Fédérico Mayor à la tête de l’Unesco, plutôt que d’offrir un troisième mandat au Sénégalais Amadou Moktar Mbow.
 
Alors que ce même privilège inédit dans les annales de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’’Alimentation (Fao), a été accordé la même semaine, au Libanais Edouard Saouma pour barrer la route au Béninois Moïse Mensah.
La récurrence de ces échecs a été à ce point préoccupante, que le secrétaire général de  l’Oua, M. ldé Oumarou en est à se demander « s’il ne faudrait pas revoir désormais les modalités de désignation des candidats africains à la tête des organisations internationales »
 L’échec de Mensah, le plus récent de tous, démontre selon le patron administratif de l’organisation panafricain « l’absence de cohérence des Africains. Le candidat l’Oua a déclaré M. Oumarou, n’a pu faire le plein de voix africaines, ce qui entache la crédibilité du continent et des candidats qu’il représente ».
Moins qu’un diagnostic poussé, ces propos du secrétaire général traduisent au contraire, un dépit réel, né du sentiment d’impuissance qui a gagné le staff d’Addis au  lendemain de ces scrutins. Dans ce domaine électif comme dans celui des engagements internationaux l’adhésion des gouvernements aux consensus panafricains résiste rarement à la pression des intérêts individuels et immédiats.
Le mode de scrutin à bulletin secret tranche traditionnellement les derbys électoraux, entretiennent l’anonymat du corps électoral et favorise de ce fait, le trafic d’influence la corruption, le chantage et la concussion.
Mais pour incontournable qu’il soit, ce lâchage partiel suffirait-il à tout expliquer ? Souscrire  à cette thèse, reviendrait à légitimer les erreurs d’appréciation d’ldé  Oumarou. Sa conviction selon laquelle suffirait de revoir le mode de désignation des candidats africains pour en arriver à un appui plus musclé et à de meilleurs résultats, intègre en vérité, qu’une dimension des insuffisances et lacunes notoires qui sont  la source  des échecs énumérés plus haut.
L’exemple le plus édifiant à ce sujet nous vient de la défaite du Sénégalais Amadou Mahtar Mbow, l’un des rares africains à avoir bénéficié jusqu’au retrait de sa candidature, du soutien effectif du continent Ce cas Mbow, démontre s’il en était besoin, que la seule cohésion du groupe africain est davantage une condition  du succès qu’une garantie absolue.
Dans le cas de l’Unesco, le décompte des voix nous a appris au lendemain du scrutin que si Mbow n’a pu l’emporter sur ses concurrents, (il lui manquait quatre voix), cela s’explique entre autres causes par l’absence de soutien du groupe socialiste. Le candidat sénégalais aurait pu obtenir la requise si des négociations, (plutôt dire marchandages), avaient été nouées à temps, entre le groupe africain et les pays de l’Est.
Coup de tête diplomatique?
Mais cela dit,  on peut aussi se demander si le choix porté sur la personne d’Amadou Mahtar Mbow était vraiment opportun. Relevant peut-être du coup de tête diplomatique ou d’une logique encore plus obscure mais jurant dans tous les cas, avec nos intérêts globaux, la présentation du candidat sénégalais à la direction de l’Unesco gardera pour longtemps encore, ses énigmes.
Elle a été d’autant incompréhensible que l’intéressé lui-même en avait, un an plus tôt, implicitement repoussé l’éventualité.
Ces énigmes cultivent légitimement  toutes  sortes d’hypothèses dans la mesure où, même si  le conseil exécutif avait confirmé Mbow dans ses responsabilités, sa victoire aurait posé plus de problèmes à l’organisation  et au continent, qu’elle n’en aurait résolus réellement.
Dans leurs conséquences immédiates ces erreurs tactiques ont été d’autant plus préjudiciables aux intérêts africains qu’elles ont fortement déteint sur les assises de Rome où le Béninois Moïse Mensah convoitait la même semaine, les suffrages de  la XXIVème   session de la conférence biennale de la Fao.
Jouant à la perfection la carte des alliances régionales, la Ligue Arabe avait, dès l’annonce de la candidature africaine à l’Unesco, retiré celle du Mauritanien Ahmed Baba Miské. Ce geste abusivement magnifié en d’autres lieux, traduisait en vérité, une manière élégante pour le camp arabe, de se soustraire à ses obligations vis à vis du groupe africain pour mieux se positionner dans la perspective des assises de Rome.
En effet, si Saouma était arrivé en 1975  à la tête de la Fao, il le devait en partie au soutien du groupe africain qui n’avait ‘pas hésité à dissuader son propre candidat, pour laisser la voie libre au Libanais.  Après ses deux mandats qui étaient loin de donner satisfaction au camp africain,  la Ligue Arabe se voyait objectivement dans l’obligation de renvoyer l’ascenseur au bénéfice de Mensah.
La candidature de Mbow lui a offert une autre opportunité là où un appui africain à Baba Miské  aurait lié davantage le partenaire arabe. Mais le mauvais choix sur la personne de Mbow n’a pas seulement fait l’affaire des Arabes. Il a indiscutablement aliéné le capital sympathie qu’avait engrangé le Béninois Mensah après deux années pleines de campagne pour la direction de la Fao.
Ce lien s’explique par le fait qu’une heureuse coïncidence, dictée par des intérêts ponctuels avait fait des détracteurs de Mbow, les soutiens les plus engagés de Mensah. En choisissant de les combattre ouvertement au Conseil exécutif de l’Unesco, le continent avait pris le risque inutile de tempérer leur ardeur.
Ces deux exemples à l’Unesco et à la Fao sont certainement les plus récents. Ils ne sont guère les seuls à illustrer les erreurs et lacunes identifiées à chaque fois que le continent s’engage dans un derby électoral. Les candidats désignés par leurs pays et coparrainés par la communauté africaine le sont rarement pour leurs compétences intrinsèques.  Encore que la majorité en regorge. Leur désignation relève plus souvent de considérations subjectives intérieures et de prestige personnel.  
Sans moyens et sans aucun contrôle sur les grands médias, les candidats que l’Oua  lance ainsi dans la jungle diplomatique se voient livrés à eux-mêmes, pour assurer leur propre campagne, convaincre et rassurer, au risque de se  compromettre avant même  d’accéder aux responsabilités convoitées, Se pose ici la question de savoir quelle organisation briguer et pourquoi faire ?
S’il importe de choisir les cibles pour ne pas disperser les efforts, il reste évident que nous avons beaucoup plus à apporter à la Fao qu’à l’Onudi, Encore plus à l’Unesco, qu’au HCR même si, au demeurant, six refugiés sur dix sont africains.
Clarifier ce débat à tous les niveaux de décision du continent, importe plus à l’heure qu’il est, que les supputations déjà nombreuses sur les chances futures du Camerounais Monekesso à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ou du Tunisien Mohammed Nasser au Bureau International du travail (Bit)
BURKINA FASO
 Dépit pour les joutes militaro-militaires
Par Francis Ouedraogo
Au pays des hommes intègres, la rupture semble sinon consommée, du moins probable entre civils et militaires qui désormais se regardent en chiens de faïence. Pour combien de temps encore?
Moins d’un mois après la disparition tragique du capitaine Thomas Sankara, la procession des Ouagalais vers le petit cimetière des pauvres de Dagnoen où repose le premier chef de l’Etat burkinabé, a cessé. Il n’y a plus que quelques rares curieux, ou les membres de la famille, pour aller prier pour Tom’Sank’.
Le mythe serait-il déjà mort avec l’homme? Blaise Compaoré et les siens auraient-ils raison d’affirmer que Thomas n’existait que pour l’extérieur grâce à une savante mise en scène médiatique ?  La question complexe, qui interpelle le Burkina Faso aujourd’hui, ne saurait se ramener à cette réduction simplificatrice.
Blaise Compaoré et son Front populaire ne font pas du reste meilleure recette. En dépit de la multiplication des appels, des carottes, comme la diminution des prix de la bière et la libéralisation de l’importation des fruits, les nouveaux maîtres de Ouaga attendent toujours une manifestation de soutien populaire.
Les Burkinabé, ou plutôt la frange urbaine, car le monde rural demeure pour l’essentiel absent de ces joutes autour du pouvoir, plus choquée par le déroulement sanglant de la crise du pouvoir que par l’éviction de Sankara,  semble à présent préférer la tribune des spectateurs à l’aire de jeu.
Une certaine apathie flotte bien à Ouaga mais pour l’essentiel, la vie a déjà repris son cours habituel.  Sauf que le couvre-feu est à vingt-trois heures et qu’il faut faire avec. Les boites de nuit, sont ainsi ouvertes de dix-neuf heures à vingt-deux heures trente. Et l’on se gausse déjà de « l’amitié à la Blaise ».
Le divorce semble donc à présent consommé entre les militaires et les forces civiles au Burkina.  Le premier militaire porté au pouvoir à Ouagadougou, le Général Sangoulé Lamizana, l’a été par les civils. Le président Maurice Yaméogo avait dû en effet se démettre devant la mobilisation populaire. Les civils étaient encore derrière le coup d’Etat de Sayé Zerbo en 1980. Puis derrière Sayé Zerbo lui-même. Et c’est aussi pour arrêter cette « dérive civile » qu’intervint  le coup d’Etat de 1982 de la hiérarchie militaire qui porta le médecin-commandant Jean Baptiste Ouédraogo au sommet de l’Etat. Bref intermède, car le terne JB, président malgré lui, ne fut pas bien sûr de taille à s’opposer à la nouvelle jonction entre les capitaines  »progressistes » et la gauche révolutionnaire voltaïque. Jonction militaire, la marche des commandos de Blaise Compaoré sur Ouaga et civile, avec les manifestations grandioses orchestrées par la LIPAD.
Marge de manœuvre étroite                                         
Depuis, la démarche unitaire  a fait long feu. Le pacte de solidarité était rompu, dès lors que les militaires au pouvoir s’ingénièrent à saper la seule force des formations politiques. En créant les Comités de Défense de la Révolution confiés au militaire Pierre Ouédraogo, les militaires déjà forts de leurs armes, disputaient aux politiques, l’exclusivité du contrôle des masses populaires. Les partis comme les syndicats qui avaient toujours été tout puissants, risquaient ainsi de ne plus représenter qu’eux-mêmes et de ne plus être d’aucun intérêt pour les militaires.
Après les évènements militaro-militaires du 15 octobre, les formations politiques sont dans l’expectative. Elles attendent de voir à l’œuvre la rectification. La seule chose qui les intéresse est leur participation réelle au jeu politique basée sur la reconnaissance de leur spécificité. Blaise Compaoré parle bien de démocratisation, mais il ne saurait oublier que Saye Zerbo a été déposé par la hiérarchie militaire pour avoir voulu laisser les civils prendre de l’envergure.
Sa marge de manœuvre est donc fort étroite. Pour certains intellectuels burkinabé, elle n’existerait même guère. Leur religion est faite, qu’il s’appelle Sankara ou Blaise, un bidasse est un bidasse. Force restera toujours à la …force. Aujourd’hui les langues, après la disparition du capitaine Thomas Sankara, se délient à Ouaga. Tel se souvient de l’improvisation, de l’absence de concertation, tel autre de son obsession d’une image de marque  irréprochable, de sa mégalomanie. L’œuvre de Sankara ne doit pas se mesurer à cette aune. Elle doit être jugée, les conditions de sa prise du pouvoir avec.
La démocratie, le respect des droits de  l’homme n’a pas été le fort de ce pouvoir. Sept personnes ont été fusillées en 1984 sous l’accusation de complot contre l’Etat sans autre forme de procès. Les droits des travailleurs ont été remis en question, les enseignants grévistes licenciés.
Malgré tout, Sankara laisse un héritage éminemment positif au Burkina Faso. Sankara avait en effet pour son pays, une ambition, un projet de société. Denrées rares en Afrique où la plupart des chefs se contentent d’être là jusqu’à la fin de leur vie. Le projet de Sankara tenait en peu de mots. « Notre pays est pauvre. Il nous faut dont d’une part, vivre en fonction de nos capacités, de l’autre nous mettre au travail ». Tout le reste n’était pour lui que préoccupation bourgeoise. Les salaires des fonctionnaires sont rognés pour nourrir des caisses d’investissement, mais aussi la rancœur.
Une mystique du travail est entretenue au prix de quelques dérapages. Les fonctionnaires burkinabé devront mériter leur salaire, c’est-à-dire être à leur poste de travail.  Un fonctionnaire international qui avait séjourné au Burkina en 1981 et qui y est revenu en poste en 1986, me confiait peu après son retour qu’il était devenu possible de travailler à Ouaga.  Auparavant se souvient-il, il n’y avait presque jamais personne. Tous les fonctionnaires avaient toujours quelque chose à faire ailleurs qu’à leur bureau.
La capitale Ouaga a aussi profité du passage de Sankara.  De gros village sans chaussées, sans éclairage public, sans bâtiments dignes de ce nom, Ouaga est aujourd’hui parmi les capitales les plus éclairées de la sous-région. Et toutes proportions gardées, on y a construit plus de nouvelles chaussées que partout ailleurs. Le secteur du bâtiment a aussi été l’objet d’une grande sollicitude. L’Etat a donné l’exemple en construisant de charmantes cités et les hommes d’affaires ont été mis à  contribution.  Dans le quartier commercial, tous les propriétaires ont été sommés de construire des immeubles d’au moins trois niveaux dans un large périmètre autour du marché central. Et les immeubles sont sortis de terre.
Cette exhortation au travail a conféré au Burkina Faso une crédibilité internationale sans commune mesure avec sa taille. Les bailleurs de fonds publics comme privés, consentaient ainsi,  à investir dans un pays qui crie son ardeur révolutionnaire parce qu’il y avait la garantie de la meilleure utilisation possible des fonds, et de la volonté du pays de travailler à son progrès.
« Nous sommes  nus »
ou chronique d’un meurtre improvisé
Par Boubacar Boris Diop
En tuant l’homme qui avait senti  l’impérieuse nécessité d’entreprendre la révolution des mentalités, les assassins de Thomas Sankara sont devenus aux yeux de l’Afrique les auteurs du putsch de trop.
On croyait tout savoir sur les lendemains de coups d’Etat militaires en Afrique. Scénario presque immuable : un officier estime que le coup est jouable et fonce. Ça marche. Musique ! Ordre est aussitôt donné à tous les citoyens d’être heureux et libres, pendant une journée (pas plus). Bonheur? Liberté ? Ça arrive si rarement que personne ne veut rater la fête Défilés. Marches de soutien. Vociférations.
Les nouveaux maîtres apparaissent un moment au balcon, saluent gravement la foule et se retirent pour les choses sérieuses: le partage du gâteau. Des journalistes stipendiés, la veille encore au service du régime défunt, se déchaînent : « Mesdames et Messieurs voici ce que vous avez toujours voulu savoir sans oser le demander – et pour cause ! – sur le tyran sanguinaire enfin mis hors d’état de nuire ». Chacun applaudit très fort, mais personne n’est dupe, évidemment.
Triste tout ça ;  oui, mais enfin c’était toujours du vrai boulot de professionnel vite et bien fait. Pas de grosse bavure, pas de sang inutilement versé: un moyen presque pacifique, sinon démocratique, d’accession au pouvoir.
Eh bien le 15 octobre à Ouaga, la tradition n’a pas été respectée. Il y a eu beaucoup de confusion et -Compaoré dixit –  de l’improvisation. Le peuple n’a pas déferlé dans les rues. Au contraire comme dans quelque roman de Sony Labou Tansi on s’est pressé au petit cimetière de Dagnoen pour se recueillir sur la tombe de Sankara et de ses compagnons. Les vainqueurs ont eu la décence de ne pas pavoiser. Leur chef a inauguré son règne par beaucoup de sang, un peu de « palu psychosomatique » et, en guise de justification de son acte, des dérobades, des incohérences et des pleurnicheries d’un ridicule intégral.
Il faudra sans doute beaucoup de temps avant qu’on ne comprenne les motifs réels de ce carnage particulièrement éloquent dans un pays où l’instabilité politique n’avait jamais donné lieu à de tels dérapages. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, Compaoré et ses alliés du moment ne semblent pas très bien savoir pourquoi ils ont agi ainsi.
Une seule chose est certaine: l’Afrique vient de subir, par la faute de ceux-là mêmes qui portaient tous ses espoirs, un très grave préjudice. Que Sankara, Bamouni et les autres aient été abattus quelques jours après le Forum anti-apartheid a dû remplir d’aise Botha et tous les racistes pour qui les nègres ne sont que des pitres sanglants, incapables de prendre en charge, valablement, leur destin.
L’erreur des putschistes a été de croire que la plus important était de se débarrasser de Sankara On s’imaginait peut-être qu’une fois mise devant le forfait accompli, l’opinion africaine, assez habituée aux coups d’Etat, ne ferait pas trop d’histoires. Il est réconfortant que des spéculations aussi sordides aient été réduites à néant.
Parce que le Burkina symbolisait d’une certaine manière l’ultime chance d’espérer encore un tout petit peu, l’Afrique a exigé des explications. Contrairement à  ce qu’on pourrait croire, ce qui a ébranlé les consciences africaines, c’est moins la mort de Sankara que la quasi gratuité d’un crime qui
humilie l’Afrique et liquide les acquis – réels­ ainsi que la crédibilité d’un Burkina de nouveau menacé par les démons. L’argument « c’était lui ou nous » est dépourvu de sens. La question est de savoir si en cas de divergences, il faut s’en remettre au peuple pour arbitrer ou s’il s’agit simplement de dégainer le premier.
Fait significatif: la seule solution était de tuer Sankara. L’emprisonnement d’un homme aussi  populaire pouvait avoir des conséquences difficiles à prévoir.  Bel aveu de faiblesse pour ses successeurs. De toute façon ils ne pourront convaincre personne que Sankara s’apprêtait à les liquider. Si le leader burkinabé avait été un Bokassa ça se serait su. Et dans ce cas, il aurait beau être beau être sympa, faire du jogging ou arbitrer des matchs de foot de façon fantaisiste, l’opinion publique internationale se serait émue de ses méthodes. On lui en veut aujourd’hui d’avoir ouvert son pays à tous. N’importe quel journaliste pouvait l’interpeller sur sa gestion. Ce ne sont pas les médiats qui ont fabriqué Sankara. Il a su s’en servir admirablement, en homme de son temps. Mais ce n’est pas grâce à sa seule intelligence ou à son sens de la répartie qu’il a presque fait l’unanimité.
Les réalisations du Burkina Faso plaidaient pour lui. Toujours sur la brèche, ferraillant sans cesse contre les corrompus et appelant un pays pauvre à  vivre pauvrement, il avait su mettre son peuple au travail. Son crédo ? Comme le roi Christophe de Césaire  » … en demander aux nègres plus qu’aux autres : plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme .. . »
L’expérience du Burkina, originale et pragmatique, ne pouvait laisser personne intact. Même les gens qui ont lu les livres comme il  faut et qui en connaissent un bout sur l’art de rendre les peuples heureux finissaient, au contact de la réalité burkinabé, par avouer: « tout ça n’est pas très orthodoxe mais au moins ici, on tente quelque chose pour s’en sortir ». La sincérité, le patriotisme et l’intégrité de Sankara n’ont jamais fait l’ombre d’un doute. Les petites gens des villes et des campagnes d’Afrique sentaient d’instinct que c’était le type de dirigeant dont avaient besoin nos pays.
Impossible de brandir le poing fièrement
C’est pourquoi nous n’avons pas fini de le pleurer. Malgré les efforts des uns et des autres pour rester optimiste on peut se demander si ce crime gratuit et imprévisible ne sonne pas le glas de nos espérances. Sankara lui-même en appelant sa femme « ma veuve » ou en affirmant : »on dira c’est la tombe de l’ancien Président du Burkina », pensait sans doute à une mort glorieuse et somme toute logique pour quelqu’un qui avait choisi de vivre dangereusement.
Et au lieu de ce sentiment de gêne diffuse et de honte, nous aurions seulement éprouvé de l’indignation. Car, ce qui est effrayant avec cette histoire c’est qu’elle nous accule à une tragique lucidité. Impossible de brandir le  poing fièrement, en signe de colère quand on sent bien qu’il faut garder la tête baissée. Ne mériterions-nous d’être dirigés que par ces durables dinosaures, matois et rancuniers, image même, fossilisée, de tous nos échecs ? Qu’est-ce que cela veut dire ces présidents à vie à qui il ne reste plus un souffle de vie et qu’on finit par déposer sur une civière pour les évacuer par une porte dérobée de la scène de l’Histoire ?
Il est vrai que comme tous ceux qui se sont sacrifiés pour un idéal, Sankara lui, n’a ja­mais été plus vivant que depuis le jour de sa mort. Pour retrouver un semblant de respectabilité, ses successeurs devront passer le plus clair de leur temps à essayer de le tuer pour de bon. Voici qu’après quelques mensonges singulièrement mal venus au « pays des hommes intègres », on vient de nous promettre sans rire que le monde entier saura, le 1er  décembre pourquoi Sankara a été tué ! La longueur du délai est pour le moins insolite et on frémit à l’idée que dans leur désarroi, ces gens sont capables d’inventer n’importe quoi, pour salir la mémoire de leur vidime. Fort heureusement, cette entreprise est d’avance vouée à l’échec. Comment peuvent-ils croire que l’opinion ne les considérera pas comme solidaires des agissements qu’ils vont dénoncer, a posteriori, pour se tirer d’affaire?
Mais le vrai problème est déjà ailleurs. L’émotion extraordinaire et totalement spontanée causée par la mort de Sankara, indique la naissance d’une opinion publique en Afrique. Au lieu de se résigner à constater : »c’est un putsch de plus »,  les gens ont eu tendance à dire : »c’est le putsch de trop ».  Pour une fois nous n’avions pas la ressource, « magique » d’accuser l’impérialisme international. Après ces évènements de Ouaga (eux-mêmes précédés par beaucoup d’autres) nous savons que, face au monde, nous sommes nus. Ayons à présent le courage l’affronter, les yeux ouverts,
 
POINT DE VUE
La patrie ou la mort, Sankara vaincra … 
Par Cheikh Tidiane Gadio*
Si Nkrumah, Sékou Touré, Lumumba, Cabral, Cheikh Anta Diop ont été incompris, isolés, parfois assassinés ou poussés à faire des catastrophes, c’est que les progressistes africains ont hésité à leur apporter leur soutien. Sankara n’a pas failli à la règle.
 
Avec le crime crapuleux commis sur la personne de Thomas Sankara, ce n’est pas seulement notre droit à l’espérance qu’on a voulu assassiner, mais c’est aussi et peut-être surtout notre droit au rêve qu’on a voulu anéantir (comme disait Sankara) aujourd’hui, demain et pour toujours. Notre peine est immense. Et elle est à la mesure du rêve gigantesque auquel n’a cessé de nous convier cet homme tout entier fait de sincérité, de dévouement et d’intégrité.
Faire du Burkina Faso, dont le poids économique et géopolitique est plutôt insignifiant, un pays respecté, fascinant et attrayant, ou comme le disait un confrère « inscrire simplement le nom de ce pays sahélien sur  la carte du monde », constituent sûrement et déjà un grand mérite pour Sankara.
II peut être tentant de se lancer dans une énumération des acquis de la révolution intelligente et non dogmatique qui était en cours au Burkina Mais l’heure n’est pas au pointage des acquis et revers et aux comptes d’épicier. Convaincu de la chaîne de solidarité de tous les processus révolutionnaires de par le monde, le véritable bilan de la révolution burkinabé sera, selon nous, l’œuvre d’une autre révolution au Burkina ou ailleurs. L’enjeu principal de la phase en cours, c’est la dénonciation conséquente et intransigeante de la farce tragique que les bourreaux du fameux Front Populaire déroulent sous nos yeux.
A la recherche de l’espoir perdu
Au plan personnel, nous avions commencé par nous méfier d’abord de Sankara et de ses camarades. Leurs discours si justes et leurs appels si  généreux, en ces temps de crise sévère du marxisme et de désarroi idéologique, nous semblaient trop élaborés pour être sincères. Nous exercions alors notre droit légitime à la suspicion par rapport au marxisme-léninisme kaki, par rapport aux marchands d’illusions qui, à la faveur d’un coup d’Etat, s’érigeaient en messies sauveurs des peuples  d’Afrique, traumatisés par la longue nuit coloniale et néocoloniale.
 
Le sort du marxisme en Chine, au Vietnam, au Cambodge, au Bénin et au Congo, avait fini de nous faire accepter la descente aux enfers et l’assumation pleine et entière de la crise des perspectives, mais jamais la renonciation à l’idéal révolutionnaire de progrès et de justice.  Ainsi donc méfiance et retenue étaient notre ligne de conduite. Mais seule la vérité étant révolutionnaire et seule la pratique étant critère de vérité, notre résistance a fini par s’étioler laissant progressivement la place à l’enthousiasme et à l’intime conviction que Sankara et son équipe avaient une qualité majeure, la sincérité.
C’est ainsi que nous avons pu dire à un ami qui, lui, préférait rester sur ses positions, que le drame des révolutionnaires et progressistes africains consiste à préétablir le shéma du modèle révolutionnaire idéal et à vouloir y conformer toute expérience en cours. Et que, pour parler radicalement l’impérialisme c’est nous : car si N’Krumah, Lumumba, Cabral et même Sékou Touré et  Cheikh Anta Diop ont été incompris, isolés, parfois froidement assassinés ou poussés à commettre des catastrophes, le soutien hésitant et trop exigeant des progressistes africains y était pour quelque chose.
Ce jeune, en l’occurrence Thomas Sankara, qui est la somme de nous tous, avec nos discours_ enflammés, généreux, parfois naïfs, et qui a un « en plus » décisif (les rênes du pouvoir), essaye de faire bouger des choses; et au lieu de l’épauler sans toutefois renoncer à notre devoir de critiques, nous préférons passer notre temps – en gardiens auto-désignés – à lui exiger des comptes et des explications. Face à la réalité dramatique du pouvoir, les critiques de salon sont d’un confort incomparable !
Or donc, Sankara nous a convaincu. La touche personnelle et la séduction du romantique et de l’homme intègre ont fait le reste: c’est-à-dire que par-delà son idéal, on s’est mis à aimer l’homme. Car le style Sankara est une gifle pour tous ces présidents-chefs de villages, tyranneaux à la main gantée, pères de nations misérables, hommes, providence envoyés par le ciel, dirigeants a vie, ivres de pouvoir et d’autorité, petits sergents devenus maréchaux,  infaillibles, rustres, peu raffinés, collectionneurs infatigables de voitures de luxe et de maîtresses , meilleurs clients des fameuses banques suisses, et dont la bonne santé physique et matérielle est inversement proportionnelle à la misère morale et matérielle de leur peuple famélique au nom de qui pourtant, ils vont partout faire la manche, une larme hypocrite au coin d’un œil, l’autre lorgnant le montant du chèque que le bienfaiteur du moment est en train de remplir avec délectation.
C’est de cette Afrique-là que Sankara ne voulait plus. Et avant de mettre un peuple démobilisé au travail, il avait compris qu’il était d’abord essentiel de lui rendre sa dignité prostituée. Et la patrie des hommes intègres nous a convaincu que cela était possible. Sankara était un style. Un moralisateur d’une fonction qui nous pose problème tant le glissement vers la tyrannie de nos « présidents » parachutés ou imposés ou élus à 99,99 % nous a semblé une malédiction cruelle.
Et l’ange gardien devint l’Ange de la mort
Sur un autre registre, Che Guevara l’impérissable s’était réincarné en Sankara Le droit au rêve, à la tendresse, au romantisme, à la révolution humaniste par l’homme et pour l’homme, était reconquis.
Dommage que l’homme le plus proche physiquement de Sankara ait compris le contraire de ce que toute l’Afrique progressiste avait compris. Et le « beau Blaise, l’ombre  fidèle, le petit frère « protecteur » l’ange gardien, est devenu « l’affreux Blaise », l’ange de la mort. Kaboré, « la grande gueule », comme dit Blaise qui renoue ainsi avec la  grossièreté, a bien résumé le coup de folie de l’ancien n° 2 devenu n° 1 : trahison, assassinat, mensonge.
La trahison
 Aux yeux de l’opinion mondiale, et jusqu’à preuve du contraire, c’est Blaise, l’ami fidèle, qui a organisé par un processus conscient et « imparable » la destitution-liquidation de Sankara.  Ce dernier, se défend-il, voulait nous assassiner. Soit. Mais des preuves Blaise, des preuves ! La réponse de Blaise est alors tombée ahurissante et lamentable (in JA n° 1400) : « Nous sommes en train de rassembler des éléments de preuves ».  Ah bon ! Nous qui croyons naïvement que les preuves étaient  à portée de main, préalablement rassemblées, vérifiées et solidement établies avant l’exécution du camarade président « traitre à la révolution et à ses amis ».
L’assassinat
Sur cette question, les incohérences de Blaise Compaoré font mal et poussent au dégoût Mais, ce qui est encore plus irritant ce sont les gesticulations de ces avocats du diable qui, à travers la presse parlée ou écrite, au Sénégal et ailleurs, essayent avec indécence et arguments aventuristes, de nous convaincre que  Blaise ne voulait pas la mort de son « ami ».
Les faits sont pourtant constants. Qui mieux que Blaise savait que Sankara resterait fidèle au slogan « la patrie ou la mort » ? Blaise pensait-il que Sankara qui, là encore jusqu’à preuve du contraire, ne se reprochant rien de fondamental, accepterait de suivre tranquillement les mains dans les poches, les gardes-chiourmes de Blaise, pour être arrêté, humilié, insulté. Ceux qui n’ont pas hésité à couvrir son cadavre encore chaud d’un linceul d’injures n’auraient sans doute pas hésité à se faire, une fois le « PF » mis aux arrêts et chargé de toutes les bassesses.
Le courage a-t-il manqué à Blaise pour venir lui-même neutraliser sans effusion de sang son « ami » qui s’était juré de ne jamais rien faire contre lui et qui a tragiquement tenu parole ? Et ce, en dépit des mises en garde répétées de ses proches, y compris son épouse. Qui donc, sans l’avis et l’aval des grands chefs militaires du Faso, a tendu un guet-apens à Sankara pour le neutraliser mort ou vif, de préférence plutôt mort que vif?  La réaction du peuple Burkinabé traumatisé, les marches vers la tombe de Sankara, en dépit du déploiement des forces dans la rue, n’est-ce pas une preuve que Sankara vivant et en prison, serait vite libéré par  tous ceux qui ne connaissent ni ne partagent les vues du fameux Front Populaire. Et ces soldats qui n’ont pu retenir leurs larmes, et ces officiers en désarroi, seraient-ils tous restés impuissants si Sankara le charismatique était encore en vie après le coup de force de Blaise ?
Quant à la rubrique des mensonges, on n’a que l’embarras du choix. Blaise, « l’homme accablé », qui « vit des heures de peine » et dont la grippe est d’origine psycho­somatique », a d’abord signé le premier communiqué qui se voulait une rupture de gauche avec Sankara « traitre à la révolution », « autocrate » qui exerçait « un pouvoir personnel » tout en favorisant la restauration du processus néo-colonial ». Quand le peuple appelé à manifester son enthousiasme et son soutien a pointé un regard dégouté sur le Front Populaire, et quand les « amis du Burkina » ont manifesté leur horreur, Blaise qui est « resté prostré ·pendant 24 heures » a  opéré son virage déroutant : « Sankara est un camarade révolutionnaire qui s’est trompé. Il mérite une sépulture digne à· la dimension de l’espoir qu’il a incarné un moment de sa vie ».
Et ce n’est pas fini, car l’indignation au Burkina et dans le monde, prenant les allures d’une lame de fond risquait d’engloutir le troublant et troublé Blaise. Qu’à cela ne tienne ! L’alibi massue sera alors « c’était lui ou nous. Sankara voulait nous liquider le même jour … Il a joué et il a perdu ...  » Comment ? On n’a pas compris … ?  »Non c’est vrai, c’est un accident tragique. J’ai même cru que cest moi qu’on attaquait ... Quand, à 18 heures, j’ai vu le corps de Thomas à terre, j’ai failli avoir une réaction très violente contre ses auteurs ». Excusez le français, car Blaise est ému ou feint de l’être et d’ailleurs poursuit-il,  »mais quand les soldats m’ont expliqué les détails de l’affaire, j’ai été découragé et dégoûté ». Donc jusqu’à 18 heures, Blaise n’avait rien décidé, n’était au courant de rien. Il ne savait même pas le pauvre qu’il lui restait quelques petites heures à passer ici-bas.
Et pourtant dans l’heure qui suivait, il avait eu le temps de consulter militaires et civils, de mettre en place le Front Populaire et de signer le communiqué n° 1 du nouveau pouvoir … Et toujours sans que Blaise ne soit au courant de rien parce que cloué au lit par une méchante grippe, vers 16h déjà, la radio était sous le contrôle des putschistes et, un fidèle de Sankara, Osseini Compaoré, commandant de la gendarmerie révolutionnaire, avait déjà été neutralisé, (JA n° 1400). Qui donc a pris l’initiative de cette opération si rondement menée ?  « Les soldats » répond sans sourire Blaise le magnifique. De qui se moque-t-on ? Ou Blaise est un mauvais élève de Machiaval, ou il a voulu jouer au monstre alors que ce n’était point sa nature profonde.
 Survivre au mensonge
Si Sankara qui, à 16h, pensait à son jogging hebdomadaire, laissant sa femme aller au travail, avait déjà soigneusement planifié l’assassinat de ses meilleurs compagnons,  nous disons : « quel culot, quelle sérénité pour un assassin potentiel » ! Liquider proprement un tel comploteur n’est qu’une œuvre de salubrité. Et il n’y a pas lieu de tergiverser là­dessus… Alors, le traitre, Je menteur, et l’assassin c’est qui : Blaise ou Thomas ? A moins qu’un troisième larron, triste et véritable héros de cette tragédie, ne surgisse très prochainement pour lever tout le voile opaque de confusion qui torture tous les amis du Burkina.
En tout état de cause, Sankara, qu’on a enterré avec autant de haine et d’indécence, est parti la tête haute, l’allure fière, et le crédit que lui confère sa sincérité reste intact. Dommage qu’avec lui soit enterrée et pour longtemps une grande partie de notre estime pour l’expérience burkinabé. Blaise Compaoré doit des comptes à la  veuve Afrique et à toutes ces femmes des campagnes et des villes du continent dont les larmes furieuses ont témoigné pour « Sankara, la tendresse. Et aussi jeunesse africaine en mal d’espérance. Blaise doit payer et il payera, car une trahison en cache souvent une autre, à moins que Sankara ne ressuscite… sous les traits d’un autre homme intègre.
Pour l’instant, le  Burkina redevient une province quelconque de la lutte des classes planétaires retrouvant un anonymat provisoire bien partagé de nos jours. « La patrie ou la mort, Sankara vaincra », puisqu’il a déjà survécu au mensonge et à la calomnie et qui repose sereinement et désormais au Panthéon des Martyrs de l’Afrique martyre.
* Professeur de Télévision à l’Ecole de journalisme de Dakar (Cesti)
 
POINT DE VUE 
La mort de Sankara,  un western de série B
Par Alain Agboton*
Foin de romantisme larmoyant. Il est temps d’en prendre définitivement son parti: les circonstances de la mort de Sankara sont des épiphénomènes. En politique, il est salutaire d’être cynique et réaliste, faute de quoi on fait preuve de faiblesse coupable, d’idéalisme infantile. Les jeux de cette arène ne sont pas innocents d’autant que tous les coups sont permis et que la morale et l’amitié l’ont désertée depuis la nuit des temps. Qu’on se le dise une fois pour toutes, en politique « qui perd paie ».
Ce n’est point faire montre de sécheresse de cœur ici que  d’accréditer de telles assertions. Soyons objectifs, la politique n’a jamais été, ne sera jamais le paradis des enfants de chœur, des idéalistes. Lorsqu’ils l’investissent d’ailleurs, c’est à l’allure des météores. Ils laissent autant de regrets que d’espoirs. Rien de plus normal, c’est dans la nature de leur irruption. Ruse, machiavélisme, perversité, tels m’apparaissent les caractères dominants de la politique. Exit donc la sensiblerie, vae victis (malheur au vaincu!).
 
Si, prenant prétexte de la mort – choquante s’il en est de Thomas Sankara (le pote coupable d’être devenu despote), je me permets d’introduire mon propos par ces arguments quelque peu provocateurs, c’est que, d’une part, j’ai la conviction que la politique n’est pas, ne saurait être un sujet d’apitoiement (c’est une jungle) ; d’autre part, que le fond du débat réside dans l’instauration de la démocratie. Que je sache, le régime de Sankara état une dictature militaire quels que fussent les artifices dont elle était parée et le charisme rafraichissant de son leader.
En entrant en politique, tout citoyen devrait accepter les règles qui la régissent Tacites et explicites. Et, de plus, lorsque les militaires s’occupent de s’en mêler, il faut bien convenir que les armes sont d’un tout autre ordre … Ce qui complique plus qu’il ne simplifie les choses. On l’a vu à Ouagadougou, c’était rien moins qu’un western de série B qui s’est joué !
L’histoire a le don de bégayer, faute de se répéter. Combien de chefs d’Etat ont été renversés par leur ami, de façon sanglante ou non ? Qui ne s’est installé en Afrique sur le cadavre d’amis, de parents? Les pendus de Léopoldville seraient-ils déjà oubliés ?  Gageons que, passées quelques années, Compaoré (s’il résiste aux tentatives des membres restants de la bande des « quatre », Lingani et Zongo) aura son aura de respectabilité, comme beaucoup d’autres qu’il n’est pas utile de nommer. Le sang des adversaires affermirait-il les régimes ?
En tout cas, le peuple et l’opinion internationale ont une capacité d’amnésie stupéfiante … Laissons donc le temps faire son œuvre et les « morts enterrer leurs morts ».
Une fatalité à regretter
Comment croire qu’une dictature a fortiori militaire, n’inclut pas la violence, la mort, le sang, les souffrances? Elle les intègre comme la nuée porte l’orage!
Lorsqu’une caste militaire s’arroge tous les droits, détient le monopole et l’exclusivité de la force et de la « vérité » a le pouvoir de museler contestation et formes plurielles d’expression, la densité de son oppression est à la mesure de l’opposition qu’elle suscite. Et comme la force et la violence n’ont jamais été un procédé démocratique de dévolution ou de passation du pouvoir, il y a une évidente fatalité à regretter. Cycle infernal !
Le pouvoir ne se partage pas, a-t-on coutume de dire. Peut-être convient-il de préciser qu’il s’agit du pouvoir totalitaire. Car en l’absence de démocratie véritable, il est préférable d’évincer tous ceux qui pourraient porter ombrage et se laisser tenter par le  pouvoir. Le pouvoir transforme, déforme, pervertit, attire. Les exemples nombreux des chefs d’Etat ayant pris grand soin de « liquider » ou d’éloigner ceux-là qui les ont portés au pouvoir, Rien de plus logique, « sage » et…préventif.
Pour avoir mésestimé cette· règle d’or, Thomas Sankara en a payé le prix fort.  Le totalitarisme, même charismatique, devrait ignorer amis, parents et direction collégiale. « Dieu, gardez-moi de mes amis .. »
Ces quelques réflexions marquées au coin d’un certain pincement de cœur (car je crois que toute mort est fondamentalement injuste) révèlent une question cruciale, celle de l’établissement de la démocratie et c concomitamment de l’éviction nécessaire, salubre et indispensable des militaires de la gestion de la chose publique. Des citoyens à qui l’on apprend à marcher au pas cadencé et, avant toute chose, à obéir aux ordres sont un peuple de moutons de Panurge. La politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des militaires. Il n’est pas beaucoup d’exemples connus de militaire efficace et utile, au poste de chef d’Etat, au développement de son pays. Dans ce cadre, l’exception ne confirmerait que la règle et ce  n’est point faire de l’ostracisme antimilitariste. Le plus grand crime de l’homme est d’avoir systématisé la tuerie en créant des armées !
Cessons de rêver
Ce compte étant réglé, qu’on s’en convainque : la démocratie (libérale) est le meilleur antidote contre les coups d’Etat. Cela vaut tous les bunkers dans lesquels se terrent nombre de nos chefs d’Etat. Et de grâce, qu’on ne nous explique pas que cette forme de démocratie n’est pas dans nos traditions. C’est un mythe mensonger qui a la vie dure et qui sert de légitimation. L’électricité, elle aussi, ne fait pas partie de nos traditions ! Ne dit-on pas que l’on n’arrête pas la mer avec ses bras ? Faux débat donc que la démocratie à l’africaine, le parti unique multitendanciel (qui est une forme de paternalisme méprisant quand on sait que la tendance, dans la plupart des pays africains, est à la lisière de la subversion).
La démocratie qui est, comme on te sait, le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres, n’est pas aussi cannibale que la révolution. Sied-il ici de mettre en lumière et d’insister lourdement sur les mérites, les vertus de la démocratie ?
Ce qui s’est passé au Burkina nous en dispense, d’autant par ailleurs que « ce rêve qui s’est brisé » à Ouagadougou se brisera partout alentour où un Sankara se lèvera En tout état de cause, un rêve reste un rêve c’est à dire sans prise directe sur le réel.
Alors, soyons  réalistes, froidement cyniques et cessons de rêver. Des tâches autrement plus sérieuses nous attendent comme la bataille de la démocratie, pari et enjeu qui ne sont pas irréels !
* Chef du bureau de l’Agence Inter Press Service à Dakar
 
GUINEE
Le retour du balancier
Par Babacar Justin Ndiaye
Après le « complot peulh » voici  le « complot malinké ». Et comme son prédécesseur, Conte pourrait être  amené à voyager moins. Le report de sa visite  à  Paris le 7 décembre en est une  illustration.
Deuxième quinzaine d’octobre, le président Lansana Conté boucle par l’étape de Kankan un voyage-marathon en Haute-Guinée. Dans cette métropole des
mandingues, le chef de la Deuxième République dénonce au cours d’un meeting, un complot ourdi par des cadres de l’ethnie malinké contre son régime. Et cela, dans un style qui charrie à la surface des mémoires, le souvenir hâtivement enfoui des mœurs politiques en vigueur sous le défunt régime.
 
S’il est un pays dont l’histoire s’écrit sous le double signe de la controverse et des remous, c’est bien la Guinée. On toujours en mémoire l’effet de secousse tellurique que le « Non » fracassant de Sékou Touré avait provoqué dans les consciences africaines et du Tiers-Monde. Et le gros paquet de rêves engendrés par cette témérité qui ne fut pas folle mais honorable dans le contexte d’alors.
 
On a aussi dans les oreilles la double clameur d’approbation systématique et de dénonciation vigoureuse qui a rythmé le règne de Sékou Touré jusqu’à son terme. C’est dire que les anges de la controverse et les démons de la machination se sont penchés très tôt sur le berceau de la Guinée.
 
Aujourd’hui, trois ans après l’extinction du Parti Démocratique de Guinée (PDG) de son leader, l’action des militaires suscite à la fois adhésions, interrogations et hostilités. D’où la difficulté de s’orienter dans les dédales de la réalité guinéenne. Sans faire la genèse et le procès du régime défunt, on peut dire que le système de Sékou Touré était habilement une tyrannie bariolée revêtue simultanément de toutes les couleurs: nationaliste, socialiste, révolutionnaire, tribaliste et népotiste. Elle n’eut aucun point commun avec la dictature du prolétariat; sauf la musique d’accompagnement, à savoir la phraséologie de gauche.
Tandis que dans les pays socialistes de type marxiste-léniniste, la dictature procède d’un bréviaire pré-rédigé, dans la Guinée de Sékou Touré, la tyrannie dérivait d’une improvisation permanente et géniale, servie par une magie impressionnante du verbe. Ce talent oratoire accouplé à une intelligence tou jours en éveil, aura été le plus grand viatique de l’ex-leader du PDG.
Au sortir de l’épidémie de coups d’Etat qui s’abattit sur certaines capitales anti­impérialistes (chutes de Ben Bella, N’krumah et Modibo Keïta), le développement était devenu le cadet des soucis de Sékou Touré.
L’objectif majeur était désormais de gagner du temps et de battre un record de longévité sur le fauteuil présidentiel assimilé à un vecteur de sécurité. D’où les deux affreux et symétriques panoramas que la Guinée offrait au monde: d’un côté une économie en lambeaux, de l’autre un monolithisme dans la peur.
Avec le Général Conté, le climat totalitaire et l’ambiance concentrationnaire se dissipent progressivement. Cependant, l’amateurisme invétéré de l’équipe Conté dans la gestion de la chose publique n’incite guère à l’optimisme. Le chassé-croisé des vrais et faux hommes d’affaires qui raflent de juteux contrats rarement honorés, ensevelit davantage tout espoir pour l’avenir. Tout comme la thérapeutique ultra-libérale mise en œuvre dans le domaine économique pour sortir du tunnel de l’héritage. Bien qu’on doive, à la décharge des militaires de Conakry, relever leur totale inexpérience politique et psychologique. Mais le vrai talon d’Achille de la Guinée, c’est le tribalisme forcené du personnel politique. La chape de plomb qui a enserré le pays durant  27 ans a su déguiser, sans les vaincre les tiraillements ethniques.
C’est ainsi que sous l’ancien régime, l’ethnie peulh a été la cible d’un pouvoir  à  prédominance malinké. Aujourd’hui c’est le retour du balancier. Peulhs et Soussous cohabitent dans un pouvoir qui débusque des ennemis malinkés.
L’autre dimension de la réalité guinéenne, c’est la nébuleuse des conjurations. Hier comme aujourd’hui, le complot semble y être une arme à double tranchant.  Complots imaginaires et réels se sont succédé si périodiquement qu’ils constituent un écheveau difficile à démêler. On sait que Sékou Touré était un as de l’esquive et du maniement de l’arme du complot
Dans quelle mesure les nouveaux dirigeants échappent-ils aux poids des habitudes? Difficile de répondre. Néanmoins, des péripéties récentes (putsch manqué imputé à Diarra Traoré et massacre reconnu et sans procès des piliers de l’ex-régime ont apporté de l’eau au moulin d’une opposition à prédominance mandingue.
En outre, depuis l’avènement du Comité militaire, un fossé de ressentiment et d’aversion fracture les deux pôles de l’opposition guinéenne : le  FLG* et l’OULG* · Tandis que Bana Sidibé, Edouard Benjamin et le juriste Bassirou Barry s’avèrent de bons et loyaux ministres de Conté, l’historien lbrahima Baba Kaké,  l’universitaire Alpha Condé et le docteur Charles Diané placés de l’autre côté de la barrière, fulminent contre « le gouvernement tribaliste et peu imaginatif » de Conakry. Donc situation propice à toutes les surenchères capables d’alarmer le pouvoir en place. Avec le nouveau complot dénoncé à Kankan tout  se passe comme si, après avoir changé de disque, les Guinéens ré­esquissent les mêmes pas de danse.
* FLG : Front de Libération de la Guinée
* OULG : Organisation Unifiée pour la Libération de la Guinée
 
NIGER
Ali Saibou sur le fil
Par  A. Moumouni
 Le successeur de Seyni Kountché a du pain sur la planche. Entre assurer l’héritage du dictateur défunt blanchi par ses pairs-massivement présent à ses obsèques- et les inévitables réformes réclamés par les Nigériens, il devra faire le bon choix pour rester au pouvoir ou disparaitre comme il était venu.
Ouverte par la grave alerte qui terrassa le président Kountché en pleine présentation des vœux de fin d’année, la période d’incertitude dans laquelle était tombé le Niger (Sud Magazine n°5), n’a pas été enterrée avec le deuxième président de l’histoire du Niger.
Avant même la maladie du maître incontestable du Niger, la crise était là, latente, n’attendant qu’une opportunité pour dégénérer. Sans doute n’était-elle pas sans relation avec la décision de lever un bout de la chape de plomb jetée minutieusement sur le Niger depuis le coup d’Etat de 1974.
Après avoir écarté par l’exécution capitale, ou la relégation loin de la capitale quand ce n’était pas un poste honorifique à l’étranger, la moitié de ceux qui mirent un terme à la gabegie orchestrée par l’entourage du président Hamani Diori, Seyni Kountché s’est employé à briser toute velléité de contestation. La délation est érigée en règle de bonne conduite par le nouveau maître, tuant les rapports sociaux, chacun se méfiant de chacun.
Ce pays, dont la valeur intellectuelle de ses fils s’était manifestée dans la lutte anticoloniale avec de grands hommes comme Abdoulaye Mamani qui fut l’un des plus jeunes membres du Conseil de l’Afrique Occidentale Française, n’était plus, sous la houlette de Seyni Kountché qu’une vaste prison dont on ne pouvait sortir qu’avec sa bénédiction.
Mais la contestation n’en mourut pas pour autant. Les intellectuels continuaient à penser, au plus grand dam du président du Conseil Militaire Suprême.  La charte nationale servit alors d’exutoire. Tous y crurent et s’y investirent. Kountché laissa faire plus d’un an, attendant l’ultime moment pour vider de toute substance le projet qui allait être soumis au référendum. La question de la Constitution du pays demeure donc. Autre question épineuse, la gestion du pays. Kountché a bénéficié à l’étranger d’une image de rigueur et de probité dont les Nigériens ne sont pas aussi sûrs. N’est-ce pas lui qui donna tant de pouvoir au minable Bonkano, lui permettant de s’enrichir avant qu’il ne se retourne contre lui ?
A Niamey, on s’interroge d’autant plus que les biens de Bonkano semblent n’avoir pas été saisis, malgré la fuite de l’ex-marabout de Kountché.
Voilà deux questions pressantes qui interpellent le nouveau président porté aux affaires malgré lui assure-t-on. A l’évidence Ali Saïbou est la carte jouée par le clan Kountché. Avec ce fidèle de l’ancien président, fort débonnaire par ailleurs, il espère continuer à tirer les ficelles. Si le calcul réussit, Ali Saïbou, au prix de quelques aménagements, comme la libération de quarante-trois prisonniers politiques (et non tous, pour le complot de 1983, seuls les lampistes ont été libérés), la levée des assignations à résidence et la commutation des condamnations à mort en peine à perpétuité, ferait du Kountché sans Kountché, la dureté et le cynisme en moins.
Mais voilà problème: Kountché n’a tenu qu’au prix d’une répression sans concession dont on  Saïbou absolument incapable. Le calcul risque donc de se retourner contre ses auteurs. Les autres hommes forts comme préfet Djermakoye se donnant alors les moyens d’accéder à la charge suprême, à moins que les capitaines dépités par atermoiements de la hiérarchie ne mettent tout le monde d’accord en s’emparant  d’un pouvoir discrédité.
L’autre cas de figure est qu’Ali Saïbou, prenant goût au pouvoir et conscient devant l’histoire et devant son peuple entreprenne de l’assumer. Tirant alors profit de l’état de relative grâce dont il bénéficie actuellement, il s’engagerait dans les indispensables réformes. Plus de justice, plus de démocratie et une gestion économique plus saine. On l’oublie souvent, Kountché eut en main, un atout maitre au lendemain de son accession au pouvoir avec le quadruplement du prix de l’uranium. Imprévoyant, il n’en tira presque rien pour son pays car il investit dans la pierre.
Le nouveau maitre du Niger est donc sur le fil. Le pays au centre d’une sous-région turbulence entre le Tchad, la Libye, le Burkina, le Nigéria, peut basculer dans le chaos, comme saisir l’occasion de la disparition de Kountché pour repartir sur des bases solides vers un avenir plus conforme au génie de ses enfants.
 
SENEGAL
Onze pour  un code
Par Ibrahima Baaxum 
A quelque deux mois des élections générales ; le Sénégal vit dans une psychose de troubles. C’est parce qu’alors que tout le monde parle, personne n’écoute.
Si on devait créditer le Président sénégalais Abdou Diouf et ses opposants de la même bonne foi dans leurs déclarations respectives, on aboutirait à la conclusion que tous les acteurs de la scène politique sont animés du même souci de voir respecter la  volonté populaire aux élections de février prochain.
Qu’on en juge.
Depuis quelque temps,  il ne passe d’occasion que le candidat sortant, l’actuel président de la République, ne mette à profit pour rappeler qu’il tient « à ce que la démocratie, la liberté de choix et la volonté populaire » soient respectées. Transparence et discipline sont devenues des maître-mots dans le discours politique présidentiel.
De l’autre côté de la barrière, on claironne quasiment la même profession de foi au nom du principe « un électeur, un vote ». Pourtant un texte rend inconciliables des préoccupations en apparence convergentes. La plupart des formations de l’opposition ont clairement pris position pour tirer à boulets incandescents sur le code électoral de 1982 à leur avis « foncièrement anti­ démocratique » parce que « ainsi conçu pour permettre au PS de tricher avec la. Volonté populaire et se pérenniser au pouvoir contre les intérêts de la majorité des Sénégalais ».  
Outre le Parti pour la Libération du Peuple (PLP) très fort dans l’ex Sine-Saloum  (bassin arachidier} et qui semble œuvrer relativement en marge des tentatives de regroupement, les cinq (5) partis de l’Alliance Démocratique Sénégalaise (ADS), les quatre du Front national Patriotique (FNP) qui regroupe également des sans-partis, le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT) ainsi que sept organisations de masses (syndicats autonomes, notamment) ont publié en septembre dernier une déclaration commune en faveur de la révision du code électoral. Un comité national a été créé à cet effet, qui mettra en place
structures régionales poursuivant les mêmes objectifs.
Des manifestations sont prévues dans tout le pays pour infléchir la position  du législateur qui n’arrête pas de clamer que « le code est excellent et démocratique ». 
Rentrant d’une tournée politique au sud du pays très sensible aux appels anti pouvoir du fait d’un sentiment séparatiste qui se développe sans recevoir l’aval des adversaires du Parti Socialiste, Me Abdoulaye Wade a fait état de la consigne : « nous demanderons à nos militants et partisans, après avoir voté, d’occuper les préfectures et sous­préfectures, d’y attendre la publication des résultats du scrutin et le mot d’ordre du parti ». En cas de viol de la volonté populaire, le leader du PDS annonce « la résistance à l’oppression et la constitution  d’un gouvernement parallèle ».  
Il ne restera alors qu’à franchir une certaine barre, il est vrai, haut placée : la formation du principal leader de l’opposition « sera transformée en mouvement de libération, n’excluant aucune forme de lutte ».  
Un nombrilisme coupable
Peu après l’annonce  de la stratégie post-électorale de Me Wade, le président de la République déclarait à son tour à l’occasion d’une tournée tout aussi politique : « je suis contre l’indiscipline et le désordre … Je ne laisserai jamais
s’installer l’anarchie ».
Le moins qu’on puisse dire est que l’atmosphère n’est pas au dialogue entre le gardien de la Constitution, en tant que tel, garant des libertés et de l’égalité entre  les citoyens, et ceux-là qui invoquent le droit des peuples à résister à l’oppression.
Irréversible la rupture ?  Les personnalités politiques sénégalaises seront, le  cas échéant, seuls responsables des débordements qui en découleraient pour avoir fait preuve d’un nombrilisme coupable. Toute loi est par essence un garde-fou dont l’efficacité se mesure à l’expérience. Or, dans le cas du Sénégal, apparemment personne ne fut totalement satisfait du déroulement des consultations de 1983,  qui furent le premier test pour le code de 1982 !
Le Président Abdou Diouf lui-même, que les résultats venaient de confirmer à son poste, parla à la première conférence de presse donnée au lendemain du vote, d’obstructions » de la part de l’opposition qui « empêchèrent un déroulement normal du scrutin ».
Il est établi en tout cas que des centaines de Sénégalais dans différents bureaux votèrent chacun plusieurs foisavec des cartes d’électeurs dont les titulaires véritables ne se présentèrent jamais. Un leader de l’opposition se trouva même sans électeur dans le bureau où pourtant il accomplit son devoir civique. Le dépouillement « révéla » que son parti ne put compter ni sur le bulletin de son chef ni sur celui de l’épouse de celui-ci…
 
Il n’y a pas deux manières d’éviter la réédition de telles choses. Le 6 janvier dernier, lors de la réception offerte en son honneur par 1e Président de l’Assemblée Nationale à l’occasion  du nouvel an, M. Abdou Diouf avait quand même fait état d’un éventuel « toilettage » du code électoral devenu depuis lors « excellent » aux yeux du même législateur sans avoir jamais été retouché.
 
Ce que réclament les détracteurs du texte? Le choix par les partis en lice des membres des bureaux de vote, l’identification de l’électeur par la présentation d’une pièce à cet effet. Obligatoire également, le passage à l’isoloir. Que le dépouillement se fasse en présence des représentants des partis et qu’on laisse le soin à la Cour Suprême de proclamer les résultats à la place du Ministre de l’Intérieur. La satisfaction de telles exigences qui n’auraient rien d’extraordinaire (au contraire pour une démocratie véritable), ne rejetterait au second plan la revendication concernant le temps d’antenne en campagne électorale. Il y’en a d’autres cependant.
Abdou Diouf, faut-il le rappeler a maintes fois reconnu que son camp n’avait ni le monopole de la vérité ni celui du patriotisme. Lorsque onze partis sur dix-sept accordent leurs violons sut une même question – c’est une première dans l’histoire du multipartisme sénégalais, il y a de quoi écouter.
 
KENYA
L’année des turbulences   
Par Moussa Paye
Economiquement malade et profondément compromis dans un jeu diplomatique hostile à un gouvernement voisin dont les opposants, soutenus par Nairobi, sont téléguidés par Pretoria, le Kenya tout entier est en crise.
Le Kenya, modèle de stabilité dans une sous-région où abondent les conflits armés et la pénurie alimentaire, connaît cette année une période difficile. Il vient tour à tour d’être secoué par des troubles politiques, puis religieux ensuite universitaires.
Au plan économique, après deux années consécutives de croissance, les perspectives annoncées pour .1988 sont plutôt pessimistes: l’écart se creuse entre les riches et les pauvres, le salaire minimum s’effondre, 1e chômage des jeunes augmente.
Le Kenya est avant tout un dispositif clé dans le système d’alliance des Etats-Unis en Afrique orientale. Des accords qui se voulaient secrets, donnent aux forces américaines l’accès au port et à l’aéroport de Mombassa sur l’océan Indien ainsi qu’aux terrains d’aviation de Nairobi de Nanuki à l’est de Wagir dans le désert du nord-ouest. Cette alliance ne profite qu’aux hommes politiques qui reçurent de substantiels pots de vin et aux propriétaires d’hôtels, maisons de passe ou casinos où les milliers de soldats de la flotte américaine allaient se délasser. L’afflux d’argent se concentra dans ce petit cercle de la bourgeoisie qui à travers la prostitution, exploita la femme de  manière jamais égalée.
Et la diplomatie kényane fut à la base de tous les mauvais coups, aidant les Israéliens à reprendre pied sur le continent, tentant de bloquer les négociations entre le Maroc et le Polisario dans le conflit du Sahara occidental, fournissant asile, papiers et travail aux opposants du Frelimo au pouvoir au Mozambique. Son grand échec a été l’accession au pouvoir en Ouganda du guérillero socialisant Yoweri Museveni qu’elle voulait enfermer dans le piège d’une coalition gouvernementale faible et divisée selon le vœu des Américains et des Britanniques. Les négociations qui se sont déroulées à Nairobi même ont tourné à la déconfiture politiqua du régime kenyan dès lors que la foule massée sur le parcours des négociateurs, applaudissait à tout rompre le chef de la NRA, Yoweri Museveni et boudait le président kenyan et les autres parties ougandaises qu’il soutenait.
Après le coup d’état avorté de 1982 qui avait vu la participation des étudiants armés, un premier coup de semonce politique est venu troubler la quiétude de Sir Arap Moï, président de la République, mais aussi actionnaire important de l’industrie pétrolière et propriétaire de l’ancienne compagnie Mobil Oil.
Sous le seuil de la pauvreté
Devant cette ère d’instabilités ouverte, le capital étranger a commencé à fuir le pays ainsi que de nombreux kenyans d’origine indo-pakistanaise qui sont le fer de lance de l’activité économique. Le « Mini Boom » économique qui avait vu la progression de 5 % du PNB en 1986 a fait long feu avec la chute des prix mondiaux du café, du thé et le contrecoup de la progression de la prostitution, le sida, qui a fait baisser les recettes du tourisme.
Au Kenya, plus d’un million de paysans ne possèdent pas de terres, 30 % des citoyens vivent au-dessous du seuil de pauvreté, le pourcentage d’individus sans ressources connues a doublé entre 1978 et1984. Sous ce rapport, l’émergence en 1986 d’un mouvement d’opposition politique Mwakenya, implanté dans l’intelligentsia et se réclamant du socialisme ne peut être interprété par le régime Moï, l’un des rares sur le continent à se réclamer ouvertement du capitalisme que comme un signe d’alarme. Pour en être membre ou pour n’avoir pas dénoncé ses activités, 70 personnes sont actuellement détenues.
La manifestation violente organisée à Mombassa, seconde ville et principale port du Kenya par la communauté musulmane est un autre révélateur du malaise kényan. Tout aussi bien que la fermeture de l’Université de Nairobi, la 17ème il est vrai, depuis l’existence de cette institution créée en 1970, après trois jours d’affrontement entre les étudiants et les forces de sécurité.
Tant les milieux économiques que les milieux diplomatiques considèrent désormais le Kenya avec suspicion. Même les Etats-Unis, principal allié du gouvernement Arap-Moi, ont fraichement reçu ce dernier lors de son récent voyage à Washington. Cette froideur est due moins aux violations des droits de l’homme par le Kenya qu’à la volonté de Washington de faire pression sur son allié pour ramener à accepter une modification des accords militaires qui transformerait les facilités d’accès en bases permanentes.
Les prochaines consultations électorales vont inaugurer le système du  »queueing » où les électeurs devront s’aligner derrière 1e candidat de leur choix. Ce système a soulevé l’hostilité d’une large frange de l’Eglise, très influente dans le pays. Pour ne rien arranger, des rumeurs persistantes font état de l’acheminement en Libye via Kampala d’opposants devant y recevoir un entrainement militaire pour revenir susciter des troubles.
 
Il y a trente et un ans, la défaite de l’insurrection Mau-Mau
 Par Moussa Paye
 Ceux à qui l’indépendance nationale a octroyé le privilège de remonter les grandes avenues en cortège présidentiel ne sont pas toujours les artisans de la  liberté recouvrée.
Dès 1947, les services de renseignement britanniques s’inquiètent des activités d’une certaine Mau-Mau, association qui s’organise clandestinement dans le Hight Valley au cœur du pays Kikuyu. Pendant les cérémonies d’initiation nocturnes, les autochtones jurent devant Dieu de combattre « Nyakeru » (l’homme blanc) jusqu’à la libération de la dernière portion de la terre kenyane. L’épopée Mau-Mau commençait en 1950 dans 1e feu et dans le sang.
Selon 1e schéma classique des colonisations africaines, les Britanniques avaient exproprié les hautes terres appartenant aux Kikuyu et nourrissaient le dessein de bâtir là un paradis pour l’homme blanc, à l’image de ce qui se fit en Rhodésie (actuel Zimbabwé) et en Afrique du Sud. Trente mille fermiers blancs profitèrent de ce partage foncier inégal ne concédant aux autochtones que des réserves qui, bientôt, ne suffirent plus à nourrir une population en rapide expansion.
L’insurrection éclata bientôt: des postes de police, des fermes et des champs furent attaqués et incendiés. Les autorités britanniques proclamèrent l’état d’urgence sur tout le territoire kenyan d’août 1952 à septembre 1959. Pendant cette période de guerre civile intense, la puissance coloniale aligna onze bataillons d’infanterie, environ vingt mille policiers et des milliers d’auxiliaires africains. Elle utilisa massivement les bombardiers lourds pour pilonner les zones rebelles.
En face de cette armada, les forces rebelles, qui ne comptaient pas plus de quinze mille combattants répartis en petites unités mobiles et essentiellement équipées d’armes blanches, surent tenir le terrain grâce à la complicité d’une très grande partie de la population.
.Rares sont les armées qui consentirent, au cours de toute l’histoire des guerres humaines, un sacrifice proportionnellement aussi lourd. Isolés par la politique colonialiste de quadrillage militaire du pays, les Mau-Mau perdirent onze mille cinq combattants au feu. Pour les couper de leurs réserves humaines, les
Britanniques enfermèrent dix-huit mille Kényans dans des camps de rééducation. 
La pendaison de Kimathi
La capture du chef le plus prestigieux de l’insurrection, Dedan Kimathi, 1e 21 octobre 1956 dans le massif des Aberdares, marque la fin de l’insurrection mau-mau. Condamné à mort, il sera pendu le 13 février 1957 à la prison de Kamiti, près de Nairobi. Sa mémoire est perpétuée par les œuvres de l’universitaire marxiste kenyan exilé à Londres, Ngugi Wa Thiongo, qui lui a consacré une pièce de théâtre : « The trial of Dedan Kimathi »(Le procès de Dedan Kimath », et dont les livres, tels « Petals of blood » (Pétales de sang) », retracent la glorieuse aventure Mau-Mau.
L’organisation politique d’extrême gauche « Mwakenya », dont Ngugi wa Thionqo est l’un des dirigeants, réclame l’exhumation du corps de Kimathi de son lieu de supplice afin de lui donner une sépulture décente et de construire un monument à sa gloire. En outre, l’extrême gauche universitaire suggère de remplacer le Kenyatta Day par un Mau-Mau Day. Car à leurs yeux, il vaut mieux rendre hommage à ceux qui avaient contribué de manière décisive à la conquête de l’indépendance plutôt qu’à ceux qui avaient profité d’elle, sans s’être jamais réellement alliés aux combattants Mau-Mau. Et qui, une fois au pouvoir, ont trahi leur idéal de liberté.
Symbole poignant, les derniers rebelles ne se sont décidés à sortir des forêts qu’une fois l’indépendance proclamée. Alors, dignes et fiers, ils ont rendu leurs armes à Jomo Kenyatta, le tout nouveau chef de l’Etat, un jour de 1963 au stade Nyéri. Ils ont, depuis, ruminé leur amertume : ce ne sont pas les masses qui ont pris en main le destin du pays mais, les loyalistes, les collaborateurs du colon. On comprend que les pouvoirs successifs de Kenyatta et de Daniel Arap Moi aient cherché à les effacer de la mémoire des Kenyans.
 
GOLFE
L’intoxication
Par Babacar Justin Ndiaye
Renvoyant dos à dos Washington et Moscou, au nom de l’Islam, les mollahs de Téhéran doivent faire face à une opinion publique – occidentale notamment – intoxiquée à forte dose pour légitimer tous les coups contre l’Iran.
La guerre du Golfe, déclenchée à l’initiative de l’Irak, constitue un prétexte à l’exécution de tous les plans.
Une myriade de navires de guerre hérissés d’antennes et de tubes lance torpilles. Des requins transvasés d’un océan à  l’autre pour précéder et appuyer les dragueurs de mines. Spectaculaire image que ce carrousel aéronaval des Occidentaux dans le Golfe. Par une savante mise en scène, l’Occident, remorqué par les Etats­Unis, dresse un épais écran politico-militaire entre les réalités fondamentales d’un conflit et  l’opinion publique de plus en plus  chloroformée par une campagne de presse très orientée.
A coup sûr, la guerre du Golfe n’est pas un conflit comme les autres. Jamais affrontement entre deux pays n’aura mis en branle manœuvres aussi complexes et calculs aussi souterrains. Deux éléments : la nature du régime de Téhéran et les préoccupations géostratégiques ont déterminé la conduite de tous les protagonistes, à  savoir les deux  belligérants et  les inévitables grandes puissances.
S’agissant du régime de Téhéran, on peut dire que son équidistance politique vis-à-vis de Moscou et Washington, avec son corollaire d’hostilité idéologique tous azimuts (capitalisme et communisme sont renvoyés dos à dos au nom de l’Islam)  pulvérise tous les schémas et les grilles d’analyse commodes par lesquels tous les politologues influencés par le nombrilisme occidental asseyent leurs jugements. En un mot, le régime des mollahs agace quand il ne menace pas des intérêts. Comble de désarroi, l’intégrisme triomphant à Téhéran combine à la fois, la rhétorique enflammée du clergé et la froide efficacité de ministres formés dans les meilleures universités de l’Ouest.
D’où le déluge d’accusations calculées, faites d’amalgames et de contre-vérités destinées à  justifier d’avance toute initiative aventureuse. Et ce tumulte éclipse les données limpides du drame : -n’est-ce pas le but recherche?
Premièrement : c’est l’Irak cosignataire des accords d’Alger sur le Chatt-El-arab (frontière fluviale) qui a attaqué l’Iran, tout absorbé par sa révolution, en septembre 1980. Une agression qui ressemble d’autant plus  à un coup de poignard dans le dos que Saddam Hussein a apposé personnellement sa signature sur le document d’Alger.
Tandis que Khomeiny, tombeur de l’autre cosignataire (le Chah) s’est montré jusque-là respectueux d’un accord  qui ne l’engage personnellement en rien.
C’est sous cet éclairage que se comprennent les réserves de l’Algérie à l’égard de tout sommet arabe belliciste vis-à-vis de l’Iran.
Deuxièmement : c’est toujours l’lrak qui a inauguré la guerre des pétroliers. Mieux, le premier navire US touché dans le Golfe l’a été par un bombardier de Bagdad dont l’aviation bat le sinistre record de navires civils incendiés dans les parages.
Troisièmement : enfin, c’est encore l’Irak qui a démarré la guerre des villes, indigne de toute armée qui a confiance en elle-même, et utilise les armes chimiques à la grande indignation de certains de ses alliés. Mais au-delà ou en-deçà des données ci-dessus que la désinformation a magistralement et vainement tenté d’occulter, un faisceau de questions sollicitent l’attention : pourquoi cette guerre, quel sens lui conférer et comment la finir ?
Précipitation coupable
Pour le premier point, on peut fonder une ébauche de réponse – c’est tentant- sur l’inéluctabilité du conflit à partir de février 1979. En effet, maints analystes mettent l’accent sur le caractère messianique de la révolution iranienne et sa vocation panislamique. Cette thèse qui absout politiquement l’Irak présumé en danger, justifie bien entendu la guerre préventive de Saddam Hussein. Certes, l’Irak renferme une forte communauté chiite sensible aux sirènes intégristes de Téhéran.  Mais de là à provoquer une guerre de cette envergure, il y a une précipitation coupable. D’autant que l’Iran n’a pas le monopole de l’exportation des doctrines. Le parti Baas fondé par Michel Allak est aussi un mouvement politique et social non seulement conçu pour l’Irak mais pour le monde arabe dans lequel il dispose de ramifications jusqu’en Mauritanie.
Exploiter les failles
Une deuxième thèse, qui fait jonction avec la première, invoque la persistance des querelles territoriales. Argument de portée d’autant plus limitée que ces querelles ont trouvé un dénouement solennel sous le brillant et désintéressé arbitrage d’Alger.
Le deuxième point (quel sens conférer à cette guerre visiblement absurde et révoltante pour le Tiers Monde ?) immerge l’observateur dans les profondeurs abbyssales des calculs géopolitiques chers aux super-grands. En effet,  l’Administration Reagan considère que « l’Iran possède l’une des géographies les plus dangereuses du monde; car il est situé entre l’Union
Soviétique et l’accès aux eaux chaudes de l’Océan indien ».
Voilà qui éclaira un pan entier de  l’lrangate et rend intelligible le jeu de la Maison blanche. En clair, pour Washington, le régime théocratique et « terroriste de Téhéran est horrible; mais son fanatisme religieux est la meilleure digue contre la poussée communiste. Appréciation que semble corroborer la double liquidation politique et physique du parti communiste
Toudeh et de son Secrétaire général Kianouri. Cependant, la politique américaine dans cette partie du monde est loin d’être un modèle de cohérence.
Comment peut-on soutenir farouchement l’Islam en Afghanistan et masser une telle armada contre la république islamique d’Iran?
Quant à l’autre super-grand, qui assure 80% des fournitures militaires de Bagdad et partage un traité d’amitié et de coopération avec l’Irak, a été sûrement -compte tenu de son degré d’implantation politique et militaire dans le pays- au courant de la décision d’agresser l’Iran. Mais Moscou, qui n’improvise jamais en diplomatie, subordonne celle-ci à ses intérêts.
Ainsi, en ayant un bon pied à Bagdad, le Kremlin exploite toutes les failles qui se dessinent parmi les multiples démarches interférées dans le Golfe. Présentement, l’URSS est en odeur de sainteté à Téhéran, où s’élaborent des projets économiques conjoints (chemins de fer et oléoducs reliant les deux pays). En outre, pour Moscou, l’Iran qui abrite plus d’un million de réfugiés afghans détient une des clés de l’imbroglio afghan.
Enfin – et c’est toute la dimension  inconséquente du conflit – la guerre du Golfe renverse la hiérarchie des priorités politiques qui commandent l’avenir de cette région du globe. Sa poursuite offre un répit réconfortant à Israël et renvoie aux calendes grecques la cause palestinienne. Par cette guerre, l’Irak et ses alliés locaux (Egypte, Arabie Saoudite, Koweit et Jordanie), frappent à côté de la cible et se trompent d’ennemis.
Par contre, Tel Aviv ne se trompe pas d’ennemis. Il trempe dans l’lrangate et manipule les marchands d’armes. Car Israël sait surtout que son équilibre politique et démographique ne supporterait pas sans craquer, des batailles monstrueuses comme celles de Fao et Bassorah avec leurs bilans  de 60 000 morts.
Comment s’en sortir ?  Pour éviter de patauger dans une prospective au rabais, on avoue à juste raison que l’horizon militaire est aussi bouché que le couloir conduisant au tapis vert des diplomates.
 
SPECIAL MAURITANIE
LA DYNAMIQUE DE LA RESTRUCTURATION 
L’unité dans la diversité
Ceux qui cherchent à faire de la Mauritanie un second Tchad ou un autre Liban en seront pour leurs frais. L’opinion mauritaniennes toutes ethnies confondues, est catégorique sur ce point, La Mauritanie n’a pas l’apanage des problèmes de coexistence nationale et la diversité de sa population devrait être source de richesse  pour le plus grand bien de notre continent où deux Arabes sur trois sont Africains. Les extrémistes arabo-berbères ou négro-africains qui font du particularisme leur cheval de bataille devraient se rendre à l’évidence: l’unité profonde d’un peuple multinational se forge à  travers des siècles et les problèmes qui peuvent se poser ne sauraient être résolus par la violence ni par un coup de baguette magique. Une autre évidence voudrait que sur une telle question, soit utilisée l’arme du dialogue, de la franche discussion, dans un esprit d’équité et de justice face à la tentation de l’exclusion ou du séparatisme. La folle aventure des conjurés du 22 octobre a fait frôler la catastrophe tant ses conséquences en Mauritanie mais aussi dans la sous-région, auraient été incalculables et auraient constitué un dangereux précédent.
Déjà, le Sénégal est confronté à l’irrédentisme casamançais la Guinée-Bissau à des frictions dans la coexistence entre métis et indigènes, la Guinée Conakry à une nouvelle question malinké (après la question peulh sous Sékou Touré).
Dans un tel contexte, on peut aisément imaginer ce qui allait comme une traînée de poudre, déstabiliser celle partie du continent jusqu’alors épargnée, par les démons de l’irrédentisme. Certes il s’avère nécessaire de donner une impulsion nouvelle à la dynamique unitaire dans nos pays notamment par la démocratisation effective de la vie publique et des institutions. Il n’en est pas moins vrai que le tissu encore fragile de nos sociétés désarticulées par la crise économique internationale et les séquelles de la domination a besoin d’être· constamment remis sur le métier. La construction nationale requiert persévérance et esprit d’ouverture. Nul doute que les autorités mauritaniennes, qui se sont engagées dans un processus de démocratisation dont la seconde phase se déroulera le mois prochain, sauront garder le cap afin de faire pièce à des entreprises de division et de diversion. Les mesures en faveur d’un développement harmonieux de pays, sont aujourd’hui plus qu’hier d’une brulante actualité sur la question de l’unité nationale comme· sur tous les grands problèmes engageant le pays. La libre expression de toutes les parties concernées dans un esprit d’unité et de respect de la diversité demeure une condition incontournable.
Au moment où la direction fête le 3ème anniversaire de la restructuration qui l’a amenée à prendre en charge les destinées du pays, le 12 décembre 1984, Sud Magazine présente à ses lecteurs les efforts entrepris par le pays et ses dirigeants pour sortir de la crise· et du sous-développement.
SPECIAL MAURITANIE
Chaude alerte
Le colonel Ann Amadou Babali, ancien ministre mauritanien de l’Intérieur, accusé d’avoir planifié un coup d’Etat ethnique pour le 22 octobre dernier, de concert avec cinquante autres officiers de l’armée, est désormais libre de ses mouvements. La Cour de Sûreté de l’Etat, juridiction mauritanienne d’exception, en a décidé ainsi le 3 décembre dernier en le relaxant des fins de la poursuite. Qui pouvait prévoir un tel acquittement après le réquisitoire du procureur de la République qui le condamnait d’avance aux travaux forcés à perpétuité avec quinze de  ses  semblables?
Le verdict de la Cour peut être sujet à discussion sur ce point, au regard des éléments de droit soulevés par le procureur. M. Babali était au courant du putsch qui se préparait.  Il dira lui-même à la barre de la Cour qui siégeait à la base militaire de Jreida, à trente kilomètres de Nouakchott, qu’il· avait « été contacté » au sujet de ce putsch. Mais il n’avait pas trouvé sinon nécessaire, du moins le temps d’en informer les autorités mauritaniennes.  Par son seul silence, il est devenu co-auteur selon l’argument développé par  l’accusation. Mais les juges en ont décidé autrement en déclarant M. Babali non-coupable.
Son acquittement apparaît, à bien des égards, comme un geste d’apaisement Apaisement en direction de ses anciens camarades de l’armée. Apaisement enfin en direction de toutes les communautés mauritaniennes pour qui le colonel à la retraite représente un symbole. Un geste d’apaisement qui est également perceptible dans les autres décisions rendues à la fin de ce procès marathon qui avait débuté le 18 novembre. Au lieu des onze condamnations à mort requises par le ministère public, la peine capitale ne sera applicable qu’à trois accusés,  notamment MM. Bâ Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou, respectivement commandant de la base maritime de Nouakchott, officier à l’Etat-major général des Forces armées et officier de la Gendarmerie.
Pour avoir clamé dans le prétoire que seul « un acte d’éclat peut attirer l’attention du pouvoir sur la nécessité de réduire les inégalités entre Négro africains el  Beïdancs » (ndlr les Maures blancs), la Cour a retenu qu’il s’agissait d’un aveu, suivant en cela le réquisitoire du procureur. Et parce qu’ils n’ont éprouvé aucun regret durant leurs auditions, elle ne leur a pas fait cadeau de circonstances atténuantes.
 
Pour les autres peines, elles vont des travaux forcés à perpétuité à une condamnation de cinq ans avec sursis. Ainsi, les plus connus des insurgés : Sy Bocar, adjoint au chef de cabinet militaire de la présidence de  la République, Ngaïdé Ali Moctar, chef de la garde présidentielle, Bâ Abdoul Koudoss, attaché à l’ambassade de la Mauritanie à Alger, les officiers Dia  Abderrahmane et Bâ Alassane Moctar sont condamnés à la galère à perpétuité, en compagnie de treize autres détenus. Leurs déclarations contradictoires devant les juges ont certainement pesé de leur poids dans le délibéré de ces derniers.
En tout cas, en organisant ce procès, le gouvernement mauritanien a tenu un de ses paris : juger en toute transparence. Les règles de droit ont été respectées, à en croire le délégué mauritanien de la Ligue des Droits de l’Homme qui a suivi d’un bout à l’autre le procès.·
Etat de droit
Les autorités mauritaniennes tiennent en effet beaucoup à ne pas rééditer les jugements expéditifs d’antan. Le président Taya l’a d’ailleurs réaffirmé dans son discours à la Nation, à la veille de la fête de l’indépendance de son pays le 28 novembre. Il l’a aussi montré en faisant juger les insurgés par une juridiction qui, bien que d’exception, n’en n’est pas moins ordinaire. Or, il s’offrait à lui la possibilité de les faire comparaître devant la Cour martiale,  juridiction expéditive par excellence.
Primo : les accusés sont, à trois exceptions près, tous des militaires en activité. Secundo : les deux chefs d’accusation, à savoir la tentative de coup d’Etat et le projet de liquidation physique des principaux membres  du Comité militaire de salut national (CMSN), étaient suffisamment graves dans un pays à la recherche d’une stabilité politique pour leur valoir un jugement rapide sans témoin, ni ‘avocat librement choisi.
L’illustration de l’Etat de droit cher au président Taya ne pouvait souffrir de taches.  L’affaire, qui a plongé Nouakchott dans une atmosphère malsaine est avant tout un problème politique. En fait, c’est sous la justification de réclamer un peu plus de droits pour leurs communautés négro-africaines. Si la chose publique, que ces officiers ont choisi d’agir. Mais ils auront mal agi car ce n’est pas dans la tuerie et la haine que l’on résout les problèmes d’un pays.
Le gouvernement mauritanien ne manquera pas de percevoir cette affaire comme une alerte et ne va pas se laisser distraire dans le sens d’une concertation large et franche: entre toutes les communautés, pour que la nation mauritanienne se consolide dans l’unité et la solidarité de toutes ses composantes. Il est en effet temps que les Mauritaniens ne raisonnent plus en termes de tribu, de clan, d’ethnie, mais en terme de Nation… Pour cela, chacun doit se persuader que l’Etat prime tout parce: qu’il est le bien de tous.
 
SPECIAL MAURITANIE
 Interview Cheikh Ould Ahmed Louly
Une croissance soutenue grâce au PREF
Au lendemain de la restructuration du 12 décembre 1984, la Direction Nationale a élaboré et mis à exécution un programme de Redressement Economique et Financier (1985-1988) dont je rappelle ici les quatre objectifs fondamentaux :
Nous sommes, à l’heure actuelle, dans la troisième année d’exécution de ce Programme de Redressement Economique et Financier (PREF) et nous estimons que celui-ci se réalise dans de bonnes conditions. Il faut dire que depuis sa présentation à la communauté internationale (lors de la réunion du Groupe Consultatif à Paris en novembre 1985), celle-ci a continué à lui apporter son soutien technique et financier qui s’est matérialisé par des accords de confirmation, des accords de rééchelonnement des dettes, des facilités d’ajustement structurel, des crédits d’ajustement structurel, mais aussi par le financement  de projets et des aides en nature.
L’année 1987 a vu les grands thèmes de politiques sectorielles traduits en programme de réformes détaillées et qui verront leur réalisation 1988. Quant au degré de réalisation des objectifs, il s’apprécie en rapport avec la croissance économique, le déficit du Budget, de la balance de paiements et les niveaux d’investissement réalisés.
CROISSANCE ECONOMIQUE
Une croissance globale soutenue appréciable a pu être enregistrée pendant deux années 1985 et 1986; les taux de croissance du PIB en termes réels ont été respectivement de 3,1 % ‘et 3,8 %, dépassant le taux croissance de la population, ceci grâce notamment au secteur de la pêche (dont les exportations sont passées de 346 000 tonnes en 1985 à 354 000 tonnes en 1986). Pour l’année 1987, taux de croissance projeté du PIB doit être de  4 %.
FINANCES PUBLIQUES
Le déficit consolidé des opérations de l’Etat a été ramené à 4,7 % du PIB en 1985, 19 % en 1986 contre 7,9 % en 1984, tandis que pour les opérations du Trésor,  le déficit n’a été que de 0,4 % du PIB en 1985 contre 1,8 % du PIB en 1984. Ces mêmes opérations se sont soldées par un excédent de 630 millions d’UM, soit 1,1 % du PIB, dépassant ainsi les prévisions du PREF.
BALANCE DES PAIEMENTS
Le déficit du compte courant a été de 12,8 %  et de 9 % (transferts officiels inclus), respectivement en 1985 et 1986, contre 22,4 % du PIB en 1984. Ce déficit devrait être ramené à 2 % du PIB en 1990 (transferts officiels inclus).
LES INVESTISSEMENTS
L’enveloppe globale des investissements du PREF est de 55.100 millions
d’UM; les réalisations sont de 12.336 millions d’UM en 1985 et 13.412 millions d’UM en 1986 et 12.971 millions d ‘UM. Des travaux de recensement précis et détaillés des réalisations sont en cours et seront terminés avant la fin du mois. D’ores et déjà, pour le secteur rural,  secteur prioritaire du secteur prioritaire du PREF, plus de 3.700 millions d’UM d’investissement ont été réalisés en 1987.
Pour ce qui est des objectifs en matière de mobilisation de ressources extérieures, le plan a permis de sensibiliser la communauté internationale sur les besoins de financement de la Mauritanie et d’obtenir son engagement de principe à aider le pays dans son effort de redressement.  Cette attitude favorable des bailleurs de fonds et des  donateurs de la Mauritanie a été  d’autant plus facile que le plan présentant un cadre approprié pour une utilisation optimale de l’aide extérieure.
C’est ainsi que pour  les secteurs comme le développement rural, l’hydraulique urbaine et rurale, la pêche, les infrastructures routières et de télécommunications, des financements importants ont été obtenus ou sur le point de l’être. Il faut toutefois préciser, que certains décalages ont été subis par rapport à la programmation des investissements.
Ces décalages s’expliquent par l’environnement administratif difficile pour l’exécution des projets d’une part, et par  la rigueur des procédures’ d’approbation des projets des bailleurs de fonds d’autre part. Il faut aussi signaler que pour les secteurs sociaux, comme l’Education et la Santé, où les apports faits l’ont’ été essentiellement sous forme d’appui « non-projet », c’est-à-dire la fourniture de médicaments ou d’équipements didactiques, aides d’urgence etc., nous pensons que cette’ situation changera avec les les projets d’Education et de Santé en cours de préparation par la Banque mondiale, ainsi qu’avec les  volets concernant ces deux secteurs du IVème FED dans le cadre des objectifs de ce programme en matière d’amélioration des conditions de vie des populations rurales.
 
SPECIAL MAURITANIE
Assainir le système bancaire
La dévaluation de l’Ouguiya d’environ 30 % a permis de décourager la surimportation. Avec la confiance retrouvée en la monnaie nationale, Mohamed Ould Namy, gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie symbolise la sérénité,  la confiance et le dynamisme qui, désormais,  caractérisent le système bancaire du pays. C’est ainsi qu’on prévoit, en 1988,  l’assainissement complet du système bancaire.
Des mesures concernant l’apurement des bilans des banques, le règlement de toutes les créances étrangères, la mise en place d’organes de gestion compétents seront certainement de nature à  créer la  confiance entre le public et les banques dont la capacité d’intervention, notamment en faveur des secteurs prioritaires de la pêche, de l’agriculture, de l’élevage et de la petite et moyenne entreprise/ industrie, a été mise à rude épreuve ces dernières années.
L’ajustement passe nécessairement par des mesures douloureuses. Cependant, comme l’affirme M. Ould Namy, c’est maintenant qu’il faut préparer les bases de la croissance future. La preuve, c’est qu’avec la politique de rigueur actuellement en cours, la Mauritanie est en mesure de couvrir, avec ses réserves en devises, l’équivalent de 4 mois d’importation.
 
SPECIAL MAURITANIE
Vaincre la pénurie grâce à la campagne
En réalisant près de 80 % de l’ambitieux programme de développement rural inité depuis la Restructuration du 12 décembre 1984, le ministère mauritanien du Développement rural est en train de gagner un pari dont la difficulté a été perçue très tôt par M. Messaoud Ould Boulkheir qui dirige ce département
En effet, les dures années de sécheresse connues par la Mauritanie ont décimé près de la moitié du cheptel, exception faite des camélidés, tout en favorisant l’avancée du désert et, par conséquent, la raréfaction des surfaces arables du pays. Le résultat de ces années sans eau a été, selon les termes de Ould Boulkheir, l’apparition de grands déséquilibres économiques et l’afflux ininterrompu des paysans vers les centres urbains, dans un pays où le nomadisme était déjà un facteur limitant au développement de l’activité agricole.
Dans l’esprit des rédacteurs du Programme de redressement économique et financier, trois objectifs majeurs devaient être atteints par le ministère du développement rural : l’autosuffisance alimentaire, la restauration de l’environnement écologique et la lutte contre la désertification.
Pour le développement de la production agricole, l’accent a été surtout mis sur l’incitation au « retour à la terre » avec l’aménagement de périmètres irrigués pour l’extension des cultures sèches et le développement des cultures d’oasis. C’est ainsi que le PREF a prévu la réhabilitation de 2 600 ha de petits périmètres villageois tout au  long du fleuve Sénégal et l’aménagement de  2000 ha dont 50 % de petits et moyens périmètres.
Grâce à cette politique d’aménagement accompagnée de mesures institutionnelles (encadrement des paysans par la Sonader, mise en place d’un crédit agricole, etc.), la Mauritanie fournit actuellement 40 % des 300 000 tonnes de céréales nécessaires à la consommation intérieure, 20 % de sa consommation en fruits et légumes et plus de la moitié de ses besoins en produits laitiers.
Dès la première année d’application du PREF, la production céréalière a fait un bond passant de 20 à 60 000 tonnes pour atteindre 95 000 tonnes durant la campagne 86/87,  alors que selon les évaluations conjuguées du CILSS, de la FAO et du Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA), elle pourrait atteindre au moins 107 000 tonnes pour la campagne en cours. L’Etat mauritanien, par l’entremise du CSA, a ainsi injecté dans le monde rural successivement 12, 14, et 18 millions d’UM en 1984, 1985 et 1986 pour l’achat de riz paddy, 17, 21 et 21 millions d’UM durant les mêmes périodes pour le mil et le sorgho.
Cette augmentation à la production et de la masse monétaire injectée en milieu rural s’explique par le retour des pluies durant ces années, l’augmentation des prix aux producteurs, une meilleure politique de distribution du matériel et des semences et par une protection accrue des végétaux.
Actuellement, les autorités mettent en chantier un programme de libéralisation des prix pour enrayer toute velléité d’écoulement des récoltes vers les pays limitrophes. Pour atteindre ces résultats encourageants, le  budget du ministère du Développement rural a été consacré pour l’essentiel à l’investissement (311 sur 480 millions d’UM en 1985 alors qu’au 20 octobre 1987, 359 millions d’UM ont déjà été investis sur un budget de 500 millions d’UM).
Concernant l’élevage, le pays fonde les plus grands espoirs dans la réalisation du projet « Elevage 2 » qui sera exécuté grâce à un financement de 22 137 000 $, obtenu auprès de la Banque mondiale, du FAD, de l’OPEP et du budget national. Par ce biais, l’Etat veut assurer son désengagement total d’un secteur qui sera contrôlé par des associations pastorales, entièrement et directement responsables de la sauvegarde des pâturages, de la gestion des points d’eau, de la prophylaxie du bétail, de l’organisation et de la création de petites unités de productions, etc.
Actuellement autosuffisante en viande,  la Mauritanie pourra renforcer son autonomie grâce à « Elevage 2″ et songer à l’exportation de viande, puisque jusqu’à présent ce pays, n’exporte que du bétail sur pied à travers un circuit que l’Etat est loin de maîtriser.
Au total, le secteur rural a absorbé 36% des 55 milliards d’UM prévus dans le budget d’investissement du PREF pour initier l’irrigation (5 milliards), les cultures  sèches (3 milliards), l’élevage, la recherche, etc.
En même temps, 1 milliard 488 millions d’UM ont été mobilisés pour aménager 5 OO0 ha d’oasis et y fixer 14 000 exploitations industrielles qui ont déjà produit 16 200 tonnes, de dattes et 1 800 tonnes ·de fruits. Si le finance- ment de ce projet a été obtenu en dehors  des canevas traditionnels, c’est que l’Etat mauritanien veut également promouvoir le’ développement de zones agricoles situées en dehors de la vallée du fleuve qui a les faveurs des bailleurs de fonds.
Pour M. Messaoud Ould Boulkheir, le développement intégré partout où existent des possibilités constitue le crédo de la politique menée en direction du monde rural  depuis la Restructuration.
  
 SPECIAL MAURITANIE
Quand l’eau va …
L’approvisionnement en eau des populations constitue un véritable casse-tête en milieu sahélien. Quand ce Sahel se conjugue avec le Sahara, alors on en perd le Nord.
La Mauritanie dont le territoire confine à la fois au Sahara et au Sahel a fait de la bataille pour l’eau, son credo. Le rôle moteur qu’elle joue dans le cadre de l’OMVS aux côtés du Mali et du Sénégal pour l’irrigation du bassin du Fleuve Sénégal se double d’une politique conséquente de l’hydraulique  pastorale villageoise et urbaine.
Des efforts particuliers tendent à réaliser l’objectif d’un point d’eau dans toute1ocalité de 100 habitants et de mettre à la disposition des populations 20 litres d’eau par jour et par personne. Dans les  localités de plus de 2000 habitants (de 2000 à 4000), la ration journalière par personne visée sera de 40 litres tandis que pour les zones de plus de 4000 habitants, 80 litres quotidiens par individu seront nécessaires. En outre, il s’agira de multiplier les, points d’eau (un ‘point d’eau tous les 30 kilomètres) et de réhabiliter l’environnement.
C’est ainsi que depuis 1984,1003 forages et plus de 130 stations de pompage ont été réalisés contre seulement une quarantaine avant cette date. Ici, plus qu’ailleurs, on aura compris que quand l’eau va, tout va.
 
SPECIAL MAURITANIE
Pari sur l’emploi non salarié
Les premiers effets de l’application du Programme de redressement économique et  financier comme partout ailleurs en Afrique, se sont faits sentir dans le secteur de l’emploi  salarié et la Mauritanie doit  aujourd’hui faire face au chômage des 422 cadres officiellement inscrits sur les registres du ministère de la Fonction publique, de l’Emploi, de la Jeunesse et  des Sports que dirige depuis trois mois à peine le capitaine Dia El Hadj Abderrahmane, membre du Comité Militaire de Salut National et ancien ministre  du Commerce,
Pour le capitaine Dia, la crise de l’emploi est la  conséquence de la formation tous azimuts de cadres au lendemain de l’indépendance pour la mise en place des structures de l’Etat jusqu’alors inexistantes.
La croissance économique aidant, la capacité d’absorption des cadres par la fonction publique semblait sans limite jusqu’en 1985, quand apparaît le dysfonctionnement du système: l’Etat n’ayant plus les ressources nécessaires pour maintenir et renforcer le personnel du secteur public et parapublic. D’où les mesures du 2 avril 1986, qui ont permis le désengorgement du secteur public par la mise à la retraite de 143 personnes, pour cependant, embaucher 182 cadres, surtout des ingénieurs et des techniciens ainsi que 12 administrateurs recrutés grâce à la nouvelle politique d’administration territoriale initiée par le ministère mauritanien de l’Intérieur.
Dans la même foulée, près de 1 500 personnes ont été licenciées, notamment dans les secteurs des mines  (SNIM et SAMINE) et de l’équipement (Port en eau profonde de Nouakchott et SONELEC).
L’assainissement et la restructuration du secteur public et parapublic se manifestent ainsi par le gel et  la régression des recrutements sauf dans les secteurs de la Santé et de l’Education et par la prise d’une série  de mesures d’accompagnement destinées à insérer les fonctionnaires déflatés dans le secteur de l’emploi non salarié.
Le gouvernement mauritanien a été particulièrement vigilant pour le paiement des indemnités de licenciement alors que la Sonader a été requise pour l’aménagement de 12 000 ha dans la vallée du Fleuve Sénégal au bénéfice des
« nouveaux » chômeurs.
De plus, le Fonds d’insertion et de réinsertion dans la vie active (FIRVA) leur alloue des crédits – 100 millions d’UM ont· déjà été décaissés – à des taux  préférentiels. Si jusqu’à présent, des individus ont bénéficié de ces crédits, la direction de l’Emploi souhaite que désormais les ayants-droit se constituent en  Groupement d’intérêt économique avant de solliciter le concours du FIRVA
Le pays s’est également doté d’un Code d’investissement pour inciter à la création d’emplois alors qu’une « mauritanisation » accrue des emplois  est envisagée pour résorber le chômage, ainsi que l’exécution d’un projet financé par le Programme des  Nations-Unies pour le développement’ (PNUD), visant  à combler le fossé entre les besoins exprimés par les entreprises et les formations dispensées dans les écoles et instituts professionnels du pays.
Plus original, la Mauritanie profite de ses bonnes relations avec les pays arabes et africains pour y envoyer des travailleurs (maîtres d’école coranique, chauffeurs,  mécaniciens, pasteurs, agents de maintien de l’ordre public, etc.). Ils sont, actuellement près de 40 000 répartis en Libye (18 000), dans les Emirats arabes du Golfe (2 900), en Arabie Saoudite (5 000), etc.
Chaque fois cependant, Nouakchott essaie d’établir une convention avec les
Etats « importateurs » pour préparer le retour des immigrés au bercail. C’est ainsi qu’un cadre juridique a été signé avec Paris ; au profit des 14 000 Mauritaniens travaillant en France,
Pour réaliser le vaste programme de restructuration de l’administration, la Mauritanie bénéficie d’un appui financier de 10 millions de dollars de la
Banque mondiale pour réorganiser en priorité, les services de la Présidence et des ministères de l’Education nationale, de la Fonction publique, des Pêches et de l’Economie maritime.
Malgré ces efforts, les autorités mauritaniennes sont conscientes que seule une relancé soutenue de l’économie nationale peut encourager le  développement de l’emploi non salarié, notamment dans les secteurs porteurs: que sont la pêche et l’agriculture dans la perspective de l’après-barrage et  de l’aménagement du bassin du fleuve Sénégal.
 
SPECIAL MAURITANIE  
L’économie détermine l’orientation
« Pour nous, la question linguistique est purement technique et la querelle qu’elle a suscitée ne concerne que les élites des différentes composantes de notre pays » Pour M. Hasni Ould Didi, le ministre de l’Education nationale de la Mauritanie, l’introduction de l’arabe comme langue d’enseignement dans les écoles n’a jamais été un problème jusqu’en 1979. Or, selon lui, la politique suivie jusqu’ici relève d’un « pragmatisme » qui explique « l’adhésion de la grande majorité de la population à notre volonté d’atteindre un bilinguisme justifié par la géographie et la culture du pays ».  
Pour M. Hasni, la Mauritanie est d’abord « un Etat ouest-africain pour qui l’arabisation n’a jamais signifié « assimilation ». Actuellement, le système est fondé sur une triple option : religieuse, arabe et française. L’enfant mauritanien aborde l’enseignement fondamental par le biais des classes  coraniques et ce n’est qu’une année après que ses parents optent pour lui la langue dans laquelle il va recevoir ses enseignements. Il est inscrit alors dans les classes arabes ou dans les classes « bilingues » qui désignent ici les classes où le français sert de langue de transmission du savoir.
Cependant, reconnaît M Hasni, l’enseignement en et  du français a connu quelques difficultés et les solutions actuellement mises en œuvre ont pu  donner « la fausse impression que la Mauritanie aborde un retour vers le français ». En fait pour le ministre de l’Education, « le français n’est jamais parti » et il n’est pas « question de lui donner une place plus importante qu’avant ».
 Il se trouve que la France a unilatéralement décidé de réduire son assistance dans le secteur de l’enseignement du français au moment même où les pays arabes renforçaient la leur dans l’enseignement arabe notamment en ce qui concerne l’édition des manuels. Pour pallier le déséquilibre, Nouakchott a obtenu de Paris la signature d’une « Convention pour améliorer la qualité de l’enseignement du français, langue étrangère en Mauritanie ».
En dehors de la question linguistique, le ministère mauritanien de l’Education nationale doit résoudre des problèmes liés à l’insuffisance des moyens, à la  qualité de l’enseignement (effectif pléthorique dans les centres urbains), et à des disparités régionales trop criantes de l’avis de M. Hasni. Tous ces phénomènes négatifs trouvent leur origine, selon les autorités, dans la politique menée par le colonisateur qui, en matière d’éducation, n’a pris en charge ni les populations arabophones ni celles vivant dans des régions considérées de peu d’intérêt pour lui.
Les efforts consentis par l’Etat ont surtout porté sur l’enseignement de base pour généraliser l’enseignement primaire avec la création d’une salle de classe pour 25 enfants dans tous les villages, l’introduction des langues nationales dans le système éducatif, la départementalisation de l’enseignement secondaire et l’orientation de l’enseignement supérieur vers les secteurs économiquement porteurs (mines, pêche, élevage, secteur tertiaire). Cette politique a permis d’atteindre un taux brut de scolarisation de 41 pour cent, contre 24 % en 1978 et 5% en 1960. Et encore, la Banque mondiale avance le chiffre de 51 % pour rendre des efforts du pays dans ce domaine.
Grâce à ces efforts, la Mauritanie compte présentement 3 200 salles de classes avec 150 000 élèves dans l’enseignement primaire, 48 lycées et collèges (37000 élèves), 8 000 étudiants dont 5 400 fréquentent l’université de Nouakchott (le reste étant réparti dans 30 pays étrangers) et 2 000 élèves élans les établissements d’enseignement technique.
Le taux de « mauritanisation » du personnel enseignant atteint 100 % dans l’enseignement primaire, 74 % dans le secondaire et 40 %’ dans le supérieur. Jusqu’à présent l’Etat prend en charge tout le coût de l’éducation nationale (constructions et équipements des salles de classe, fournitures scolaires, etc.). Cependant, en cette période d’ajustement économique et financier, la politique de gratuité de fournitures est en voie d’être remise en cause dans les lycées et les écoles primaires sauf pour les élèves issus de familles aux moyens limités. En même temps, des mesures ont été prises par le gouvernement pour favoriser le développement de l’enseignement privé (de plus en plus ‘fréquenté) par le biais d’allègement fiscal et douanier. Last but not least, l’université de
Nouakchott peut s’enorgueillir d’abriter le seul département de chinois d’Afrique où déjà 20 étudiants se penchent sur la langue et la littérature chinoises. La création de ce département, selon le ministre de l’Education nationale, obéit à des raisons économiques (forte présence· de la Chine en Afrique de l’Ouest  devrait  surtout permettre d’accentuer le rayonnement international de l’Université mauritanienne qui peut être désormais le point de passage des étudiants africains qui doivent poursuivre leurs études supérieures dans les universités chinoises et qui, par conséquent, bénéficieront des prestations du Département de Chinois pour s’initier, une année durant à la langue chinoisé. Il ne s’agit nullement donc d’un snobisme ou  d’une « chinoiserie » comme on pourrait être porté à le croire, conclut M Hasni Ould Didi, pince-sans-rire.
 
SPECIAL MAURITANIE
 PECHE
Le boom des années 80 
Cendrillon de l’économie mauritanienne, la pêche a connu un développement fulgurant avec la  création de la Société mauritanienne pour la commercialisation de poissons (SMCP). Grâce à cet instrument de souveraineté, l’Etat mauritanien devient le principal opérateur dans ce secteur vital.
Conséquence hautement positive : une plus grande maîtrise de la production avec l’obligation de débarquement pour tous les bateaux munis d’une licence délivrée par les autorités mauritaniennes et des prix dont le contrôle échappait totalement au pays avant 1984, devait nous déclarer Cheikh El Afia qui préside aux destinées de la SMCP et qui ajoute que « l’effet de pool a permis à la  société de jouer sur les prix face aux clients étrangers ».
En 1986, 153 millions de dollars sont tombés dans l’escarcelle de la SMCP pour une production commercialisée de 60 000 tonnes et au 31 décembre  1987, il est prévu un chiffre d’affaires oscillant entre 160 et 165 millions de dollars pour environ 70 000 tonnes de poissons mises sur le marché. Si l’on se réfère  à l’année-témoin 1982, quand le pays ne possédait qu’un seul chalutier-congélateur, on peut apprécier, à leur juste valeur, les résultats obtenus aujourd’hui : 103 chalutiers-congélateurs et 40 bateaux-glaciers exclusivement entre les mains des nationaux mauritaniens.
A la création de la SMCP, en 1984, le secteur de la pêche comptait une seule entreprise artisanale. Actuellement, la centrale d’achat qu’est la SMCP offre  des débouchés certains et des prix garantis à près de 150 unités de production. Cette situation consistant à rentabiliser et à multiplier le nombre le nombre d’unités a eu un réel effet d’entrainement sur les industries. La SMCP verse quelque 200 millions d’Ouguiya à ces industries, dont la plupart battaient de l’aile ou étaient sur le point de fermer leur porte, avant son avènement Le soutien et la redynamisation de l’industrie de la pêche ont eu pour répondant l’émergence d’activités annexes (consignation, manutention, etc).
Le fléau de la piraterie
Après la conquête du marché japonais (30 %) et la stabilisation de certains marchés occidentaux, deux cibles font désormais l’objet d’une attention particulière : les Etats-Unis d’Amérique et, en particulier, la communauté japonaise de cc pays. Cette démarche permettrait également de rompre le face à face avec le Japon par la diversification des partenaires.
A propos du Japon, on explique l’engouement des fils de l’Empire du Soleil Levant pour les poulpes par la tradition qui en exige la consommation lors de certaines cérémonies auxquelles les ancêtres disparus sont censés participer.
Mais une autre hypothèse, si cela était vérifié scientifiquement, devrait stimuler la consommation du poulpe à travers le monde grâce aux vertus préventives et thérapeutiques qu’on lui prête dans les cas de maladies cardiovasculaires. Il semble que la réduction du taux de cholestérol en est le premier bienfait.  Vaste perspective pour la Mauritanie si cela était.
Cependant, le tableau clignote au rouge par endroits notamment avec la piraterie. On estime qu’entre 150 et 200 bateaux pirates· fréquentent les eaux mauritaniennes et prélèvent autant de poissons que les bateaux munis d’une licence en bonne et due forme, d’où un accroissement des moyens logistiques pour la surveillance des côtes. Dans ce domaine comme dans celui de la constitution d’une « OPEP du poisson », le rôle d’avant-garde de la Mauritanie pourrait inspirer une politique régionale plus hardie et plus rentable face  aux partenaires que les scrupules n’étouffent pas.
 
FIN CAHIER SPECIAL MAURITANIE
SAHEL
La famine persiste
Par Chérif Elvalide Sèye
Après deux saisons successives très pluvieuses, le Sahel s’était mis à espérer le retour des années fastes. L’hivernage de 1987 a remis les pendules à l’heure des insuffisances. En eau comme en nourriture.
Une hirondelle ne fait décidément pas le printemps. L’éclaircie dans la production agricole du Sahel qui a culminé l’année dernière avec une récolte record, ne s’est pas poursuivie cette année. Le cycle de sécheresse dont on se mettait à espérer la fin est donc toujours à l’ordre du jour.
Cette année, les caprices de la pluie ont repris de plus belle. Les premières précipitations sont arrivées qui, très précocement, dès le mois de mai, se sont ensuite arrêtées axant de reprendre ici et non là.  Tous les ingrédients de l’instabilité se trouvaient réunis avec des pluies finalement mal réparties aussi bien dans le temps que dans l’espace.
Les campagnes agricoles 1985/1986 et 1986/87 ne se sont pas  confirmées. La campagne agricole 1987/88, avec une production de 6 689 000 tonnes, accuse une baisse de 12% par rapport à l’année dernière (7 593 000 t). Elle est donc déficitaire de 1 709 000 t par rapport aux besoins du Sahel.
Le déficit à combler par l’aide d’urgence se réduit cependant notablement grâce aux stocks existants, à l’aide planifiée et aux importations commerciales. Il n’est plus que de 635 000 tonnes. La situation, pour insatisfaisante qu’elle soit pour les Etats sahéliens qui font de l’autosuffisance alimentaire leur leitmotiv, n’est pas, loin s’en faut, catastrophique. Elle est sans commune mesure avec la situation dans la Corne de l’Afrique.  Les besoins d’aide alimentaire pour le Sahel n’atteignent même pas la moitié de ceux de  la seule Ethiopie.
Cette situation générale cache cependant de grandes disparités. Le Sahel oriental, Tchad (Niger, Burkina, Mali est déficitaire alors que le Sahel occidental (Sénégal, Guinée-Bissau, Gambie) est excédentaire. L’année dernière, la situation avait été l’inverse.
La production reflète parfaitement la physionomie de la pluviométrie. Après les pluies précoces du mois de mai, les précipitations s’étaient longuement arrêtées. Puis elles reprenaient à l’ouest pour se prolonger utilement jusqu’en octobre. L’établissement d’un bilan global constitue assurément pour le Sahel un acquis positif. Il ne doit pas cependant cacher la réalité. Ce bilan global n’a pour l’heure qu’une existence théorique. Il ne peut avoir de sens réel que dans la mesure où il y a dans le Sahel un système de vases communicants. Le déficit nigérien, pouvant être comblé par l’excédent gambien par exemple.
Ce n’est pas encore le cas. Même à l’intérieur d’un même pays, le bilan national connaît les mêmes contingences. L’excédent de 5 820 tonnes du Sénégal occulte l’existence de zones sinistrées dans le nord du pays. La faiblesse des moyens financiers de l’Etat l’empêche de pouvoir faire face tout seul aux besoins alimentaires de ces populations qui n’ont rien produit. Pour ces zones, le pays reste donc tributaire de l’aide alimentaire.
Compte tenu de cette situation, les pays membres du CILSS (Comité permanent Inter­Etat de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel), au cours du conseil extraordinaire des ministres, tenu le 27 novembre dernier à Dakar ont mis l’accent sur ces difficultés.
L’assistance internationale doit aider à surmonter ces écueils. Il faut qu’à l’intérieur d’un même pays comme d’un pays à l’autre, les excédents puissent être mobilisés. C’est-à-dire, qu’un financement extérieur permette de les acheter pour desservir les zones ou pays déficitaires. C’est ce qu’on appelle communément échanges triangulaires, puisqu’il implique deux partenaires (les pays concernés), le bailleur de fonds, qui constitue le troisième élément
Les échanges triangulaires connaissent un début d’exécution. Les tonnages restent cependant très faibles. Les tentatives patronnées par la France pour faire transiter 100 mille tonnes du Mali vers le Sénégal n’ont pas abouti, de même que celles du Burkina vers le Cap Vert, la Mauritanie et le Sénégal. Sept mille cinq cents tonnes du Mali ont pu néanmoins être placées en Mauritanie.
Les raisons· de cet échec sont nombreuses. Les prix de cession sont généralement supérieurs à ceux du marché mondial généralement subventionnés. Le problème des normes de qualité (certains donateurs sont exigeants à cet égard – les contraintes de transport, l’inexistence d’un cadre juridique et la nature des intervenants, privé ou public, constituent d’évidentes limites à surmonter.
Faible commercialisation
Ces limites ne concernent pas les seuls échanges triangulaires. La campagne de commercialisation, même dans les pays s’est heurtée aux mêmes difficultés. Les tonnages commercialisés n’ont ainsi représenté que 155 929 tonnes sur une production totale de plus de sept millions de tonnes. Les raisons en sont connues. Outre celles empêchant le développement des échanges triangulaires, il y a l’insuffisance des moyens des offices céréaliers, chargés de la commercialisation, l’inadaptation de la  politique des prix par laquelle on tente d’assurer au producteur une juste rémunération et au consommateur, un prix à la portée de sa bourse. Les moyens de cette ambition légitime n’existent cependant pas.
Cette politique se heurte aussi à l’existence de stocks importants, malgré lesquels, le Sahel a encore accepté en 1986/87, bien plus d’aide qu’il n’en avait besoin, 165.536.000 t soit 165,43 % des besoins). Seul le Burkina Faso a su résister aux sirènes de l’aide alimentaire.
Une autre question mérite attention. Il s’agit de la protection des cultures. Les surfaces traitées n’ont atteint que 30.000 hectares alors qu’elles étaient de 800.000 ha en 1986/87.  La longue période de sécheresse après les premières éclosions, y a certes été pour beaucoup.
 La remarquable organisation de la lutte aussi. Grâce à la réunion des bailleurs de fonds organisée les 2 et 3 avril à Paris par  le CILSS et la FAO, les engagements des différents partenaires ont été connus assez tôt.  Les moyens nécessaires mis en place, les brigades paysannes formées, les quelques attaques de sauteriaux ont donc pu être enrayées. Sur le front des criquets, le danger demeure néanmoins. Des essaims ont été repérés en Mauritanie et au Mali en novembre dernier.
Au bout du compte, avec cette année somme toute moyenne, le Sahel sait que les efforts à consentir restent nombreux. Ils ne sauraient cependant remettre en question la volonté politique des Sahéliens de se nourrir eux-mêmes. La  disponibilité sur le marché mondial de céréales à prix plus compétitif n’y fait rien. Si ce  raisonnement devait être appliqué en tout, il ne resterait plus, au
Sahel, à l’Afrique Noire, aux pays en développement d’une manière générale qu’à se croiser les mains et à ne plus s’en faire. En tout, ou presque la productivité reste encore en-deçà de celle des pays développés. Mais c’est en forgeant que l’on devient forgeron et en l’espèce, en .cultivant que l’on devient cultivateur.
 
BRAH MAHAMANE
Une solution régionale aux problèmes du  Sahel
 Au sortir de deux conférences interministérielles organisées à Dakar en novembre dernier et à la veille du sommet de Ndjamena en janvier, le Secrétaire général du CILSS s’est confié à Sud Magazine.
 
Sud Magazine : L’hivernage 1987 n’a pas porté les fruits dont les deux précédentes saisons avaient porté les fleurs. Le Sahel est-il contraint à un éternel recommencement?
Brah Mahamane: La lutte contre la désertification est un long processus qui exige qu’il y ait plus d’hommes préparés, ce qui appelle donc la formation de nos enfants, puisqu’on ne peut pas lutter contre la désertification sans la participation des populations et, parmi celles-ci, la touche la plus sensible, la plus importante face à l’avenir. Qui veut préparer l’avenir doit préparer ses arrières. Comme nous devons tout léguer à la génération montante, il faut engager l’ensemble des Etats sahéliens à une réflexion pour voir comment façonner l’Education de telle manière que la lutte contre la désertification soit l’affaire de nos enfants.
La conférence ministérielle a eu à approuver ce programme qui, il faut le préciser, est d’abord sahélien parce que conçu par les Sahéliens. Il exige des réformes du système éducatif dans nos Etats, mais il ne faut pas que ces réformes sa fassent en ordre dispersé. Comme a l’habitude de dire le président Diouf, (Ndlr : président en exercice du CILSS), il est important que de Praia à Ndjamena, nous puissions nous référer à la même syntaxe, parler le même langage.
Voilà pourquoi la réforme du système éducatif doit se faire suivant les modules acceptés par les uns et par les autres.
Réforme du système éducatif mais aussi démarrage d’un programme d’appui aux Etats, grâce à la mobilisation des ressources de nos partenaires de la communauté internationale pour appuyer cette volonté politique de nos Etats.
Voilà les grandes conclusions de la première rencontre de Dakar.
La deuxième rencontre devait établir le bilan de la campagne agropastorale 1987/88 qui a été meilleure dans l’ouest sahélien, grâce aux pluies tardives du mois d’octobre, qui se sont prolongées au-delà d’octobre, ce qui a fait que là où il y avait désespoir, celui-ci s’est transformé en espoir. Mais la production globale au niveau de la région est inférieure à celle de l’année dernière au moins de 12 pour cent. Un bilan global a été fait, qui montre que le Sénégal ; le Cap Vert, la Guinée Bissau, n’auraient pas besoin d’aide alimentaire.
Ces pays ont même dégagé certains excédents, grâce à une maîtrise et à une meilleure planification de l’aide alimentaire programmée, grâce également aux importations, aux stocks existant dans les différents Etats et aux disponibilités de la campagne.
Plus à l’Est et au Nord, le Niger dégage un déficit de 274 000 tonnes, le Burkina Faso (150 000), le Tchad (140 000), la Mauritanie (49 000) et le Mali (14 000), d’où une demande supplémentaire pour la campagne actuelle de 636 000 tonnes. Au-delà de la nécessaire demande supplémentaire, d’aide alimentaire pour les Etats sahéliens, la conférence a eu à se pencher sur l’importance de la commercialisation des excédents enregistrés dans certaines zones déficitaires et les ministres ont mis l’accent sur l’importance des échanges triangulaires entre Etats membres du CILSS.
Ce sont les principales conclusions de ce conseil extraordinaire. Nous savons qu’aujourd’hui encore, le Sahel est très loin de l’autosuffisance alimentaire, parce que la différence entre ce que nous produisons bon an mal an et ce dont on a besoin est assez importante. D’où la nécessité encore, pour les Etats sahéliens de faire de l’autosuffisance alimentaire une première priorité.
Grâce à une meilleure planification et une meilleure organisation, il nous faudra parvenir à faire en sorte que l’aide alimentaire ne soit pas seulement perçue comme un élément des politiques de développement des Etats.
 
SM : S’agissant de la conférence des ministres de l’Education et de l’Environnement, ce que vous prévoyez me parait comme un programme à plus ou moins long terme, en pensant aux petits enfants. Avez-vous mesuré le temps qu’il faudra attendre pour voir les enfants d’aujourd’hui se mettre en première ligne demain ? N’y a-t-il pas urgence ?
 
BM : Il est certain que le programme d’éducation, n’est pas pour le CILSS, l’unique voie à explorer. Aujourd’hui au Sahel, on ne peut pas croiser les bras, mais il faut préparer nos enfants et cela est important. On aurait pu commencer par là dès le début. Mais mieux vaut tard que jamais.
Nous avons à résoudre le problème de la dépendance énergétique au Sahel, ce qui est fonction de la gestion de notre environnement. Ainsi, il faut un programme pour résoudre la pression que l’on exerce sur le milieu. Le programme que nous avons devant nous, nous concerne à court terme.
Mais il est important que ne Sahel ne continue pas à consommer son capital forestier d’année en année. Si nous continuons notre rythme actuel de déboisement, nous allons rapidement consommer ce capital forestier et compromettre les bases de la production agricole.
Chaque Etat membre a un plan directeur de lutte contre la désertification, les programmes sont en train d’être mis en place, car la dépendance alimentaire ne peut être résolue que par la recherche d’une meilleure gestion du capital forestier et la relance de la production agricole ne sera possible que si nous arrivons à gérer celui-ci pour les générations futures. On a  beau former nos enfants, les préparer, si nous ne gérons pas encore ce capital, nous allons leur léguer une situation difficilement gérable.
SM : Il y a un problème politique dans la gestion de ce qui existe aujourd’hui. Certains peuvent décider que le charbon de bois n’entrerait plus dans la consommation d’énergie, tandis que d’autres, pour des raisons diverses, éprouveraient quelques difficultés à imposer à la population, la consommation de gaz et à interdire la coupe de bois. Le CILSS a-t-il les moyens de faire surmonter ces difficultés politiques ?
 BM : Pour réduire la dépendance énergétique du Sahel, nous avons plusieurs possibilités. D’abord il faut trouver une solution rapide à la satisfaction des besoins des grands centres. Et ça, ne peut être que l’énergie de substitution. Je crois qu’on ne peut pas continuer à exploiter des ressources forestières qui ne sont plus importantes. Sinon la Casamance, (NDLR : zone forestière dans le Sud du Sénégal) va disparaitre d’ici peu de temps. La consommation de bois de chauffe est une solution forcément suicidaire pour les Etats. C’est pourquoi, nous entendons démarrer un programme important avec la CEE pour l’utilisation du gaz butane subventionné pendant 3 à 5 ans au profit des petits ménages.
Certains peuvent toujours rétorquer qu’on crée alors une autre dépendance, puisque nous ne disposons pas de ressources naturelles pour produire le gaz butane. Cependant, si le Sahélien se donne le luxe de rouler en voiture et qu’on accepte la dépendance en carburant, je ne vois pas pourquoi, pour préserver le capital forestier du Sahel, nous ne réduirions pas notre consommation d’essence pour qu’au moins le peu de ressources ligneuses soit préservé.
La deuxième solution consiste à exploiter les possibilités d’un échange triangulaire entre zones forestière et sahélienne. L’exploitation des forêts ivoiriennes génère un sous-produit dont le dixième pourrait satisfaire l’ensemble des besoins du Sahel en bois de chauffe. Ce sous-produit est commercialement inexploitable et il est laissé sur place. On vend le tronc des arbres et on laisse pourrir le reste. Peut-être que ces déchets participent à la reconstitution des sols, mais toujours est-il que les échanges triangulaires sont une possibilité que nous allons exploiter.
Au-delà de la satisfaction des besoins énergétiques  qui n’est possible, quoi qu’on puisse en penser qu’avec la recherche d’une énergie de substitution au bois de chauffe, il faut songer à faire des économies d’énergie grâce à des mécanismes maitrisés par les populations. C’est ce que nous appelons communément le programme de diffusion à grande échelle des foyers améliorés.
Economie d’énergie, énergie de substitution sont deux voies possibles aujourd’hui pour réduire la consommation du bois de chauffe, qui satisfait 80 pour cent des besoins en énergie dans le Sahel.
NORD- SUD
La nouvelle donne soviétique
Dossier réalisé par Sidy Gaye
Le redéploiement de la stratégie économique soviétique dans les rapports Nord-Sud, le crash boursier qui a secoué le système financier international et le cercle vicieux de la dette font l’objet de ce dossier 
Si en douze mois de coopération internationale, il est un dirigeant qui aura touché du doigt les problèmes majeurs qui préoccupent le plus l’humanité, c’est assurément le numéro Un soviétique.
Que ses idées novatrices soient sincères ou calculées, qu’elles aient suscité ou non l’attention qu’elles méritent, elles n’en secouent pas moins à leur simple énoncé, l’abondante crasse qui recouvre depuis plusieurs décennies, les actes de solidarité planétaire.
En prenant tout au long de l’année 87 des initiatives hardies au double plan militaire et économique, Mikael Gorbatchev a indiscutablement laissé son empreinte sur l’espace temporel qui se meurt. Gorbatchev ne se résume guère aux réformes de politique intérieure ou aux efforts en cours, pour le désarmement de l’Europe centrale.
Ces aspects, certainement les plus perceptibles du style Gorbatchev, mais surtout les plus sensibles au regard des priorités européennes, ne devaient occulter d’autres signaux, certes timides, mais combien prometteurs. Ceux-ci sont d’autant plus captivants de ce côté-ci de la planète qu’ils esquissent en apparence, les contours d’une nouvelle approche de la coopération économique internationale.
Jugez-en.
Le lundi 27 aout 1987, Moscou ouvrait à Washington en se payant pas moins de neuf pages de publicité dans le Wall Street Journal, la bible médiatique des milieux d’affaires américains.
L’opération somme toute banale, serait passée inaperçue, si elle venait d’un autre pays. Mais intervenant pour le compte et aux frais du Kremlin, cet encart publicitaire servi en appât aux capitaux américains, arborait une haute signification politique. Il ouvrait une brèche sans précédent sur ce qu’on pourrait appeler le « begnin neglect » soviétique, qui, de tout temps, résumait son attitude vis-à-vis des échanges économiques internationaux.
De Staline à Andropov, en passant par Kroutchev et autre Brejnev, la politique soviétique en matière de coopération n’a souffert, à de rares exceptions près, d’aucune modification profonde. Le capital « abject » étant perçu et condamné dans sa globalité tout commerce avec ce « mal des maux » avait été banni t ne pouvait bénéficier d’une indulgence circonstanciée que dans la mesure où il servait une stratégie plus globale ou un intérêt ponctuel.
Requête insistante
C’est  tout le contraire de ce qui s’est passé l’été dernier, processus auquel l’encart du Wall Street Journal n’est venu apporter qu’une plus évidente confirmation.
D’une attitude résolument  flegmatique, condamnant en bloc et sans discernement, toute tentative d’adaptation ou de remodelage des rapports économiques dans le contexte d’une division internationale du travail, Moscou semble passer à une plus grande compréhension. Il revendique même au passage, en certaines occasions, le rôle qui devait être le sien dans les relations économiques internationales.
La première note de cette partition a été certes jouée bien avant Gorbatchev, sous la forme d’une adhésion formelle –jusqu’ici restée sans suite- à l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT). Mais ce premier pas encore timide sera nettement approfondi ces derniers mois non seulement par une requête encore plus insistante aux portes du GATT, mais aussi, par une participation plus remarquée aux assises de la CNUCED, dont la 7ème session quadriennale  a été convoquée en juillet dernier à Genève.
En rompant en cette occasion avec un silence qui n’avait pas manqué de porter ombrage à ses relations avec le Tiers-Monde, Moscou avait ravi la vedette à ses concurrents traditionnels par son adhésion de dernière heure au fonds commun de stabilisation des produits de base.
La même logique
Jusque-là, « le bastion de l’anti-impérialisme » avait fait corps avec Washington, pour empêcher par sa non souscription, toute mise en œuvre de ce fonds de soutien aux produits de base proposé par les « 77 » et dont le principe a été retenu à Naïrobi en juillet 1976.
Le tournant d’envergure amorcé depuis lors, semble avoir dicté en d’autres circonstances de légères modifications dans l’attitude soviétique. Ainsi, en est-il de ses rapports avec le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale.
Ces gendarmes de l’orthodoxie capitaliste semblent avoir bien subitement attiré les bonnes du Kremlin du moins, si l’on s’en tient aux déclarations faites le vendredi 16 octobre par M. Ernest Obminsky, responsable des organisations économiques au ministère soviétique des Affaires étrangères. Selon ce diplomate, « l’URSS serait prête à avoir dans un premier temps, des contacts informels avec le Fonds et la Banque ».
Ballon d’essai ou formulation d’une intention délibérée ? Quoi qu’il en soit, de tels propos ne souffrent d’aucune équivoque. Ils servent à l’évidence, cette même logique qui avait fait dire une semaine plus tôt à M. Nicolaï Rijkov, président du conseil des ministres du COMECON qu’il « est désormais souhaitable que cette organisation dispose en plus d’une monnaie collective, dune unité de change convertible comme toute autre devise internationale ».  Ces indiscrétions sont trop rares et trop  nombreuses pour ne guère exprimer en toile de fond, un éventuel redimensionnement de la stratégie économique du Kremlin.
 
C’est dire toutes les nouvelles opportunités qui s’offrent ainsi au groupe des 77. Déjà nettement perceptible dans les coulisses du GATT et les forums de la CNUCED, cette nouvelle volonté soviétique d’intégrer les rapports Nord/Sud ne devra guère laisser indifférents les diplomates de l’hémisphère Sud.
Intentions méritoires
Leur appui ajusté aux efforts du Kremlin serait de nature à bouleverser les  relations de suzeraineté qui caractérisent le débat interne au niveau des organismes multilatéraux de coopération économique. L’unilatéralisme qui caractérise de fait, le fonctionnement de ces institutions participe pour beaucoup, au chaos organisé que reflète l’ordre économique actuel. S’ils comprenaient à temps et agissaient en conséquence avec l’active complicité des autorités soviétiques, les « 7  trouveraient ainsi à leur portée, un levier autrement plus déterminant que tous les outils intellectuels déployés depuis le discours de Boumediene, qui consacrait dès 1974, le concept du  Nouvel Ordre Economique International.
Pour avoir tardé à domestiquer la manne pétrolière en dépit des orientations radicales prises au sommet d’Alger, le Tiers-Monde avait raté le train de  l’histoire. Aujourd’hui qu’un nouveau départ se profile à l’horizon sibérien, toutes les valises devraient être scellées pour mettre enfin un terme, à sa tête exclusif avec l’Occident.
Le récent échec du Sénégalais Makhtar Mbow à la Direction Générale de l’UNESCO est encore trop frais dans les mémoires pour ne guère rappeler ce qu’il peut en coûter de négliger le facteur équilibrant que constitue pour nous, la diplomatie soviétique.
Par-delà les intentions de dénucléarisation certes méritoires, mais qui ne peuvent être que sélectives et sectorielles dans l’état actuel des rapports de force militaires, c’est ici que réside pour l’opinion ·tiers-mondiste, tout l’intérêt de l’ère Gorbatchev. Reste à savoir si l’on saura en tirer partie  par un appui diligent à toutes les demandes  d’adhésion de la seconde puissance mondiale.
 
WALL STREET
LA FIN D’UN MYTHE
Mille milliards de dollars partis en fumée en une seule journée, une instabilité aux conséquences incalculables, c’est le démenti le plus cinglant qui pouvait être apporté à ceux qui voyaient dans la dette du Tiers-monde la principale menace contre le système financier International.
Le séisme qui a secoué le 19 octobre dernier toutes les places boursières de la planète, a allégé de plus de 1000 milliards de dollars le portefeuille des riches. Cette somme équivalente à la, dette globale du Tiers-Monde, s’est envolée en
Fumée en une seule séance comme elle l’avait été gagnée sur papier. Pourtant, il n’y eut ni discours fracassants, ni mouvements de troupes, ni campagne de presses hystériques.
L’Occident responsable de sa propre déconvenue, a simplement marqué le coup avant de fermer les vannes, prenant définitivement conscience des risques qu’il a imprudemment côtoyé depuis le tournant des années 70.
Pour comprendre cette bourrasque, il faut prendre la mesure de la panique qui avait gagné l’épicentre tellurique avant et pendant les vingt-quatre heures les plus meurtrières de l’économie d’après-guerre.
Ce fut un lundi d’octobre, à Wall Street, premier pôle financier de la planète. Trois nouvelles d’apparence anodine, mais hypersensibles pour les cambistes, venaient de faire simultanément le tour de la planète.
Premièrement le déficit commercial des Etats-Unis qui oscillait autour de 14 milliards dollars depuis dix mois, avait subitement plongé jusqu’à 16 milliards au sortir du mois de septembre.
Deuxièmement: Les autorités allemandes, soucieuses de défendre leur monnaie, et d’attirer les capitaux flottants pour le  financement de leur économie, avaient légèrement relevé leurs taux d’intérêt.
Troisièmement : Le Secrétaire américain au Trésor M. James Baker, qui fut piqué au vif à la fois par ses contre-performances commerciales et le « manque de loyauté  » de Bonn, menaça avec fracas de lâcher » encore plus de dollars et de tourner désormais le dos aux accords du Louvre.
Ramenées aux réalités boursières, ces trois informations tombées le même jour sur les téléscripteurs, véhiculaient une double implication.
D’une part, elles laissaient entendre chez tous les initiés, que le cours du billet vert « devait connaitre une forte baisse dans les jours à venir »
 Reflexes d’anticipation
C’est pourquoi tous ceux dont les avoirs boursiers (obligations notamment) étaient libellés en devises américaines, ont cherché à s’en débarrasser au plus vite. D’autre part, au lendemain de la décision de Bonn, une certitude avait germé, selon laquelle, les taux d’intérêt allaient recommencer à grimper.
Cela voulait dire que l’argent à prêter allait devenir encore plus cher. Par conséquent, on allait emprunter moins, pour investir où relancer la consommation. Alors que toute baisse de l’investissement et de la consommation ralentit les affaires, donc réduit les bénéfices des entreprises.
Si l’on sait que tous les détenteurs d’actions (voir encadré) spéculent sur ces bénéfices potentiels, on comprend dès lors pourquoi il y a eu vente massive et précipitée d’actions en ce lundi 19 octobre. Ces réflexes d’anticipation ont tellement pesé sur le comportement des cambistes, qu’en l’espace de vingt-quatre heures, Wall Street a battu tous les records mondiaux de baisse.
Dès lors, le feu allait s’étendra sur toutes les places boursières de la planète. Cette volatilité du krach s’explique par l’interconnexion des différents pôles boursiers dans le contexte d’une mondialisation des technologies d l’information, qui uniformise désormais l’espace-temps financier. Le même jour, de Tokyo à Francfort, de Paris à Londres, les indices boursiers ont piqué du nez, ranimant chez nombre d’analystes, le souvenir macabre du 28 octobre 1929, date du premier krach boursier annonciateur de la grande dépression des années 30.
Si le krach de Wall Street a fortement impressionné en Occident comme ailleurs, fut d’abord en raison de ces mauvais souvenirs d’avant-guerre.
Des mythes consumés En effet, bien avant même la première plongée spectaculaire du Dow Jones, d’éminents économistes au nombre desquels Ravi Batra, Paul Erdman, J.K Galbraith et Roger W. Babson, anglo-saxons pour la plupart, avaient sonné la tocsin pour ramener la communauté boursière dans les normes de l’orthodoxie financière.
Dans un pays comme les Etats Unis dont les déficits cumulés prouvent qu’ils vivent nettement au-dessus de leurs moyens, les actions boursières ont pu gagner 100 pour cent de leur valeur en l’espace de deux années seulement. Selon ces éveilleurs de conscience, c’était  la preuve que les milieux boursiers vivaient davantage de la spéculation que d’un réel regain économique. Alors que la production marquait le pas et que le chômage se développait dans des proportions  alarmantes, la nette vigueur des marchés financiers présageait selon ces théoriciens, des mêmes conditions spéculatives qui avaient accouché de la grande dépression des  années 30.
S’ils ont eu raison sur le fond, ces économistes n’ont guère pu vérifier cependant leurs déductions alarmistes. Même si les indices boursiers ont pulvérisé les records de baisse de toute l’histoire économique, plus d’un mois après ce cataclysme, les cours font semblant de monter, les monnaies tiennent encore mais rien n’est définitivement acquis. Loin s’en faut!
Après 1929, le Produit National Américain avait diminué de moitié (en valeur), le commerce international s’était réduit des deux tiers et plus de mille banques avaient fait faillite en Amérique et en Europe.
Pour l’heure, on n’en est pas encore à ses extrêmes puisqu’en dépit de ses imperfections, le système financier international dispose désormais de fusibles qu’il est loisible de faire sauter à chaque fois que la machine menace de se détraquer.
C’est ce qui fut fait au mois d’octobre, dès après les premières secousses, par le biais du communiqué germano-américain qui réitérait avec force, l’adhésion totale des deux pays au consensus du Louvre. Cet accord arrête une plage de fluctuation rigide entre les principales devises occidentales: Il écartait ainsi, toute nouvelle baisse incontrôlable du dollar et réchauffait le principe de la coordination économique sur les taux d’intérêt entre autres indicateurs, Ce fut suffisant pour ramener un calme précaire il est vrai, sur les différentes places boursières.
Mais entretemps, bien des mythes se sont  consumés, Les économistes ne sont plus les seuls à penser qu’il devrait y avoir une plus grande adéquation entre les flux commerciaux et les mouvements internationaux de capitaux. De ce point de vue, le krach pourrait aider à ramener les places boursières à la réalité du rapport historique entre le marché de l’argent et la valeur réelle du capital.
Ce n’est pas là, la seule évidence mise à nu. Ce « Maelström boursier » a indiscutablement prouvé qu’en dépit des gros titres alarmistes, la dette du Tiers-Monde est insignifiante par rapport aux sommes alors en jeu, était loin d’être la principale menace à peser sur le système financier international. La preuve : la fortune mondiale vient de se soulager en une seule journée, d’une somme équivalente, sans que les dépôts de bilan ne soient mis en exergue.
Enfin, le dernier enseignement de ce « séisme » est décortiqué à l’heure qu’il est, dans toutes ces pétromonarchies qui  avaient préféré, elles sont nombreuses placé  en bourse, leurs fortunes personnelles, plutôt que de soulager la misère et la souffrance dans leurs propres pays d’abord, dans la Umma ensuite.
Les spéculateurs les plus imprudents se sont relativement appauvris. Les petits porteurs inexpérimentés encore plus. Toutes choses qui ne manqueront pas de peser sur les mentalités et d’agir proportionnellement sur l’initiative et la générosité des riches.
LE MARCHE BOURSIER
 
Toute entreprise, grande ou petite, dispose d’un capital. Il peut arriver que ce capital soit détenu par un seul propriétaire comme c’est le cas dans certaines PME PMI ou petites unités familiales.
Mais il arrive plus souvent, que ce même capital soit réparti entre plusieurs co­propriétaires. Il est alors divisé en plusieurs actions. Les détenteurs de ces actions constituent le groupe des actionnaires, représenté par un conseil d’administration.
Détenir des actions dans une entreprise peut impliquer des risques en cas de faillite ou de mauvaise gestion. Il procure plus souvent, des avantages au nombre desquels, la possibilité d’épargner ses avoirs. Mais aussi, celle de percevoir des bénéfices -dividendes- lorsque l’entreprise en fait
Ainsi, l’action se définit comme un titre à revenu variable. Son cours, c’est à
dire-sa valeur ponctuelle, dépend des bénéfices (dividendes) servis ou attendus d’une entreprise. Plus l’entreprise fait des bénéfices, ses actions seront élevées et recherchées. Moins elle en fait, ses actions seront bon marché.
Mais qui parle de cours, introduit la notion de valeur et en même temps, des activités d’achat et de vente. Si les actions de telle entreprise rapportent moins que celles d’une autre, on peut être tenté de les vendre pour acquérir celles qui rapportent plus. Ces échanges d’actions se font sur un marché précis qu’on appelle la bourse.
·Mais il n’y a pas que des actions qu’on peut vendre  ou acheter en bourse. On y échange également des obligations. Ces dernières correspondent en fait, à des prêts qu’on peut consentir soit directement à des Etats, soit aux secteurs publics et privés,
En fonction du taux d’intérêt applicable dans certaines circonstances, il peut être plus profitable pour l’épargnant averti, d’échanger des obligations plutôt .que des actions. En règle générale, les taux d’intérêt portés sur les obligations peuvent aller jusqu’à 12 pour cent alors que les dividendes (bénéfices perçus) sont rarement supérieurs à 3 pour cent du cours de l’action.
Toutefois, les gains que peuvent ces obligations n’en connaissent pas moins des hypothèques liés aux. Risques de non recouvrement d’une part aux fluctuations de l’autre. En raison de tous ces impondérables liés à la détention d’actions où d’obligations, certains épargnants intervenant en bourse, choisissent d’autres type de placement.
Ils peuvent préférer d’autres branches de la bourse en investissant leurs avoirs sur le marché de l’or par exemple, des pierres précieuses de diamant ou des matières
premières. Autant dire que la bourse qui donne le pouls de toutes les transactions, peut-être, au plan macro-économique également, un des baromètres pour mesurer la santé économique d’une nation. Toujours est-il qu’un moyen commode a été inventé pour ce faire, dans toutes les bourses du monde. C’est l’indice boursier.
Ainsi, à Wall Street par exemple, il existe ce qu’on appelle l’indice Dow Jones. Il s’agit ni plus ni moins, de la moyenne des 30 premières valeurs de la bourse de New York. Il existe également l’indice Standard.& Poor’s, moins connu, mais plus fiable parce que rassemblant les 500 premières valeurs de Wall Street. Ce sont les fluctuations de ces indices qui intéressent le plus les analystes. Selon qu’ils montent ou descendent, ils. Offrent autant de grilles d’interprétation de la situation économique.
Ce qui s’est passé le 19 octobre et que les spécialistes ont appellé sans aucune exagération : la « maelstrom », la « bourrasque » ou le « trou-noir » boursier, c’est une chute précipitée et sans précédent du Dow Jones, qui a perdu en une seule  séance, cinq cents (500) points, soit une baisse de 22 pour cent. C’est un record mondial Du jamais vu dans l’histoire pourtant mouvementée de la bourse.
Cette nouvelle a eu un effet boomerang sur toute la planète puisque la chute qui
avait précédé la grande dépression de 1929 n’était que de 13 pour cent. Elle était
annonciatrice de la plus grande dépression jamais connue dans l’histoire économique mondiale.
 
DETTE
LES DEBITEURS SE CONCERTENT
Les mois de novembre et décembre ont été scellés par deux conférences régionales sur la dette. Alors que la première avait pour cadre l’Amérique latine, la seconde réunissait les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine.
A Acapulco, station balnéaire mexicaine, les chefs d’Etat d’Argentine, du Brésil, de Colombie, du Vénézuéla, du Mexique, du Pérou, de Panama et de l’Urugay, réunis au sein du  »Groupe des· huit » se sont attachés pendant soixante-douze heures (du 27au 28 novembre) à approfondir leur coopération politique autour d’une ardoise globale estimée aujourd’hui à quelques 400 milliards de dollars.
Cette rencontre, la quatrième du genre convoquée dans le sous-continent américain depuis  l’éclatement de la crise mexicaine de 1982, n’a guère accouché de décisions radicales susceptibles de traduire un changement d’attitude de la part des Latino-américains.
Comme à Caracas en juin 1984 ou à Mar Del Plata en septembre de la même année, les responsables politiques se sont gardés de franchir le Rubicon, consacrant plutôt leurs efforts à la gestion « intelligente » et « coordonnée » de la crise.
C’est ainsi qu’au terme du communiqué publié au sortir des travaux, le Groupe d’Acapulco a implicitement écarté toute idée d’un cartel des débiteurs. Reconnaissant à chaque pays le droit d’adopter ses propres solutions pour résoudre son endettement, la réunion d’Acapulco s’est limitée à établir des lignes directrices susceptibles d’inspirer les réunions à venir. La seule décision vraiment nouvelle a pris la forme d’une requête adressée aux créanciers.
Pour le groupe de huit en effet, la communauté financière se doit désormais d’accepter la réalité objective des marchés internationaux la dette latino-américaine y subit une décote de 40 à 70 pour cent de sa valeur théorique (voir article ci-dessous). Il importe, par conséquent, d’ajuster les créances au même niveau. Cette revendication motivera, pour l’essentiel, leurs démarches futures.
Le même souci de collaboration entre débiteurs et créanciers pour la sauvegarde du système financier international a prévalu côté africain.
L’OUA qui réunissait, du 30 novembre au 1er décembre à Addis Abeba son second sommet extraordinaire, a surtout fait l’étalage de ses bonnes intentions. Ce second sommet économique exclusivement consacré à une  dette estimée à quelques 200 milliards de dollars s’est terminé sur la  sempiternelle revendication d’une conférence internationale.
L’organisation panafricaine espère décrocher en cette occasion, outre l’allègement du fardeau de la dette, une augmentation substantielle de l’aide concessionnelle, la transformation de tous les prêts officiels bilatéraux en dons et le rééchelonnement sur un demi-siècle, de tout nouveau prêt avec des périodes de grâce d’au moins 10 ans.
On le voit à Acapulco comme à Addis Abeba, les débiteurs du Sud qui ont éludé toute idée de jonction  régionale ou transatlantique pour proposer une solution globale, accordent davantage de crédit à la négociation et à la concertation. Mais cette évidente modération trouvera-t-elle son écho dans le camp des créanciers ? Les solutions préconisées jusqu’ici (voir article ci-dessous) n’offrent guère un heureux présage.
 
DES SOLUTIONS POSSIBLES
L’annulation annoncée par le Canada au bénéfice de douze pays de l’Afrique subsaharienne membres ou non de la famille francophone n’est qu’une des dix solutions évoquées depuis 1981 pour résoudre la problématique de la dette.
Depuis les premiers nuages annonciateurs de la crise mexicaine de 1982 en effet, banquiers, hommes, politiques et  universitaires, qu’ils soient de la périphérie ou du monde développé, n’ont jamais cessé de s’interroger, ou au mieux, expérimenter, souvent avec hardiesse, des stratégies de sortie de crise.
Nous vous proposons ci-dessous, de façon schématisée, l’esprit et la teneur de ces différentes alternatives dont l’efficacité pratique reste cependant à démontrer.
Ce premier procédé d’inspiration bancaire n’est pas en vérité une solution ayant pour prétention de résoudre définitivement la problématique de la dette. Il se propose, plus modestement, d’offrir des parades ponctuelles aux créanciers en difficulté ou en perte d’influence.
Son mécanisme est très simple. Il consiste, chez les banquiers, à s’échanger des créances sur tel ou tel pays débiteur moyennant le versement d’une commission aux intermédiaires officieux mais aussi, une perte de valeur chez l’un des deux contractaires au bénéfice du second. Cette pratique en cours sur les marchés financiers internationaux depuis maintenant quatre bonnes années brasse présentement,  un chiffre d’affaires de quelques dix milliards de dollars.
Toutefois, son importance encore marginale ne la prive guère de larges perspectives, puisque dans le camp des débiteurs, un pays comme le Brésil par exemple, a tenté, début septembre, d’en tirer toutes les leçons. Il a très candidement proposé de fixer désormais son ardoise au taux officieux des 60 à 70 pour cent (de sa valeur), auquel elle s’échangeait déjà sur ces marchés d’un genre assez particulier.
Il convient de souligner enfin, que les banquiers qui s’engagent dans un tel troc de créances le font soit pour diversifier au maximum leurs risques, soit pour accroitre leurs positions sur tel pays débiteur afin de peser de tout leur poids sur des négociations à venir.
Ce procédé se présente comme une réplique, voire une substitution aux opérations de rééchelonnement sans fin.
Plutôt que de s’enfermer dans la spirale des rééchelonnements, les promoteurs de cette idée fort généreuse, suggèrent que les banquiers traitent les pays débiteurs en difficulté de paiement, comme les banques américaines l’avaient fait en 1978 avec Chrysler.
Ce procédé qui avait permis à la fabrique américaine de retrouver son souffle, reposait sur le principe d’une consolidation de sa dette. Ainsi, tous les emprunts de Chrysler à court et moyen terme, avaient été repoussés à très long terme, avec des taux d’intérêt beaucoup plus modérés sinon insignifiants
Il faut dire que cette idée remporte pour le cas des PMA, l’entière adhésion du Club de Paris au sein duquel la France et la Grande Bretagne (anciennes puissances coloniales) déploient non sans émulation un activisme fort apprécié par leurs partenaires africains.
Ce troisième principe part de l’idée selon laquelle si les pays en développement ne peuvent honorer leurs engagements, cela est dû essentiellement au marasme économique dans lequel ils s’enlisent.
Selon la même logique déductive, ce marasme s’explique lui-même par la décrue des flux financiers et leur nouvelle position d’exportateurs nets de capitaux qui décourage ainsi les investissements locaux.
Partant de ce diagnostic assez pertinent, les leaders d’opinion partageant l’autorité d’Alden Clausen (ex-président de la BIRD), se sont appliqués à encourager de nouveaux flux de capitaux en direction des pays débiteurs. Ainsi naquit au sein même de la Banque mondiale, l’idée d’un Organisme multilatéral de Garantie des Investissements.
Ainsi prendra forme également, au sein de l’administration Reagan, le plan Baker
Nous savons aujourd’hui, ce qu’il  est advenu de ces propositions qui n’ont  pu convaincre les banques commerciales.
C’est en réalité l’alternative qui a le plus prévalu jusqu’ici. Depuis le montage d’inspiration américaine qui avait permis dès1982 de sauver le Mexique et par extension, les plus grosses banques américaines d’une banqueroute certaine, c’est cette idée de négociations tripartites élargies aux débiteurs (cas par cas), aux consortiums bancaires et aux organismes financiers multilatéraux qui a été mise en chantier à chaque fois qu’un pays s’est déclaré en cessation de paiements.
L’innovation apportée ces dernières années à ce procédé n’a pas jusqu’ici transcendé les cercles théoriques. Elle a pour ambition, encore vaine, de réunir autour d’une table l’ensemble des partenaires privés comme publics, du Nord comme du Sud, afin de trouver une solution globale et commune à la crise de la dette.
Cette dernière proposition qui tranche avec la logique du cas par cas, remporte, s’en doute, l’adhésion des seuls débiteurs. L’Afrique qui en a fait l’axe référentiel de sa stratégique régionale, court toujours, deux ans après en avoir arrêté le principe, derrière une conférence internationale de cette envergure.
Outre ces premiers mécanismes en phase d’expérimentation sur les marchés financiers internationaux, il existe d’autres procédés qui, pour être moins connus, n’en sont pas moins évoqués, il est vrai de façon purement incantatoire, à l’occasion ou en marge des rencontres financières. Sont de ceux-là, le principe de la capitalisation des intérêts.
Ce cinquième principe part du constat réel selon lequel la croissance exponentielle de la dette du Tiers Monde, est due, moins à l’importance des sommes empruntées, qu’à l’augmentation mécanique des tableaux d’intérêt flottants auxquels ils ont été libellés au moment de l’emprunt.
 
La parade, fort simple, consisterait alors, pour les tenants de cette thèse, à capitaliser taux d’intérêt, afin de les river une fois pour toute à un niveau stable qu’on s’attacherait à apurer à moyen ou long terme.
 
II s’agit là d’une requête qui revient à toutes les réunions importantes des institutions de Bretton Woods. Elle a pour ambition d’augmenter substantiellement l’assiette financière du FMI, afin qu’elle puisse suppléer la crise des liquidités internationales et venir en aide aux pays emprunteurs du Tiers-Monde.
Cette requête sollicite la compréhension des gouverneurs du FMI, afin d’autoriser l’institution financière à emprunter sur les marchés internationaux. Ce que lui interdisent ses dispositions statutaires.
Les tenants de cette thèse aimeraient voir les institutions de Bretton Woods jouer un rôle plus actif dans les tentatives de résolution de la crise de la dette, pour une augmentation de leurs capitaux, donc de leur capacité d’intervention. Mais aussi en assumant, elles-mêmes, les erreurs des banques commerciales afin d’écarter à jamais le spectre d’un crash généralisé.
Cette huitième proposition est à coupler la avec précédente, puisqu’elle consisterait,  selon ses défenseurs, à amener les organismes financiers officiels, à savoir les banques centrales américaines (FED) occidentales, de même que le FMI et la BIRD, à échanger les créances des banques commerciales contre des instruments de valeur qu’ils émettraient sous forme de garantie-caution.
Cette neuvième et dernière solution repose sur le principe de la solidarité panhumaine. Ses défenseurs proposent de faire appel directement à l’épargne individuelle et/ou institutionnelle, par le biais des incitations fiscales pour, soit pallier la crise des liquidités internationales, soit différer pendant une période de grâce plus ou moins longue, remboursement des dettes contractées par le Tiers-Monde.
Nous conseillons à ceux de nos lecteurs qui aimeraient approfondir certaines de ces propositions, de se reporter entre autres sources, à l’important ouvrage « La géofinance » que l’universitaire américain Charles Goldfinger a  publié en septembre 86 aux éditions du SEUIL.
 
COLLOQUE D’ABIDJAN
Les nouveaux managers africains
 De notre envoyé spécial Babacar Touré 
Du 26 au 28 décembre s’est tenu à  Abidjan (Côte d’Ivoire) un colloque sur l’initiative africaine pour la promotion et le développement du secteur privé. Le patriotisme économique constitue désormais un nouveau crédo.
Le seul secteur privé valable, c’est le secteur privé autochtone, indigène ou  national. Le ton a été donné par le président de 1a Banque africaine de Développement (BAD), M. Babacar Ndiaye qui ouvrait ainsi le premier colloque du genre sur « L’initiative africaine pour la promotion et  le développement du secteur privé ».
Convoquée à l’initiative du Groupe du Moniteur africain dirigé par notre confrère Sidi Abdallah Sy, en collaboration avec la BAD et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 1a réunion d’Abidjan a été assurément riche de symboles.
D’abord Abidjan, qui dès l’indépendance, a opté sans complexe pour le libéralisme économique, tandis que dans la plupart des capitales africaines on acclimatait différentes recettes socialisantes même si  celles-ci  n’avaient de rapport avec le socialisme qu’une certaine rhétorique.
Ensuite 1a BAD qui a offert d’aborder ce colloque que les hommes d’affaires voudraient voir jouer un rôle plus affirmé et plus stimulant pour l’entreprise et les échanges intra-africains.
Quant à 1a communication dont le PDG du quotidien sénégalais M. Bara Diouf s’est appliqué à  rappeler le mariage précoce avec les affaires, le groupe du Moniteur africain, a illustré de façon pratique et imaginative, son rôle d’avant-garde et de promotion en prenant l’initiative de cette rencontre.
Côté jardin, un langage nouveau s’est fait entendre à Abidjan, articulé autour de la double nécessité de déculpabiliser et de  responsabiliser l’entrepreneur africain dans un esprit de solidarité endogène sans sectarisme comme le fera observer le ministre d’Etat ivoirien Séri Gnoleba pour qui  »toute exclusive est une faute« .
Si l’idée d’association et de complémentarité n’a pas été mise en cause, à ce colloque, les participants, pour la plupart, membres du Club des Managers Africains (une autre initiative du Groupe des moniteurs africains) ne se sont pas privés de plaider pour une redistribution des cartes plus favorables aux Africains. « Le temps est venu pour nous Africains, de nous mettre ensemble afin de trouver les solutions pour développer notre continent », plaidera Bemba Saolona homme d’affaires zaïrois et président du Club des Managers Africains.
Les « Golden boys » des managers africains parmi lesquels le Sénégalais Pierre
Goudiaby Atepa architecte dont les ouvrages jalonnent le continent, de Dakar à  Lùanda, les Camerounais James Onobiono, Gregoire Nfako Pwele et le béninois Severin Adjovi, ont tous, sans ambages, tiré dans la même direction : « Il faut faire confiance aux hommes d’affaires africains pour appuyer leurs initiatives pour la reprise et le contrôle effectif de nos économies par les Africains  eux-mêmes ».  
Nouvelle religion
Il faut pour cela que les Etats cessent de confondre la promotion des investissements extérieurs avec celle du secteur privé, selon la formule du président de la BAD. L’Etat n’a pas eu beaucoup de succès à ces assises d’Abidjan où tous ses représentants (c’est-à-dire les fonctionnaires qu’il paie s’en sont donné à cœur joie pour rééditer le meurtre du père.
Dans la capitale ivoirienne, on a surtout entendu des managers qui valent leur pesant de… milliards et qui comptent peser de tout leur poids non pas tant dans l’économie de leurs pays qu’ils ont déjà investis, mais surtout dans les grosses affaires à l’échelle continentale. La petite et moyenne entreprise et la petite et moyenne industrie, terreaux de l’initiative privée et de la croissance en économie libérale, sont restées dans leurs petits souliers, à la périphérie des appétits des ténors.
A un confrère qui faisait remarquer qu’en Afrique, les hommes d’affaires doivent tout à l’Etat, notamment par le biais de passe-droits et de certaines pratiques peu avouables, il lui fut répondu placidement que « peu importe l’origine des capitaux ». Le temps n’est plus aux états d’âmes ni aux lois moralisatrices. Réalisme rime  avec libéralisme, rentabilité et profit doivent être les seuls paramètres à respecter. Exit les libéraux honteux qui ont l’air de vouloir une chose et son contraire. Place à un environnement où les entrepreneurs africains pourront s’épanouir avec des banques qui jouent le jeu avec loyauté (voir Appel d’Abidjan).
Le colloque du Groupe du Moniteur Africain a été aussi l’occasion pour le club des Managers africains, de se concerter avant leur prochaine réunion en janvier à Dakar. Ce sera, assure-t-on dans les coulisses, une occasion pour le club, d’apporter un soutien discret mais appréciable au président sénégalais, candidat à la réinvestiture à la magistrature suprêmede son pays, parce que Abdou Diouf, qui n’a pas hésité à envoyer son ministre du Commerce à Abidjan, mériterait à leurs yeux, d’être encouragé et radicalisé dans son option libérale.
Ainsi, la nouvelle religion africaine de l’économie privée met désormais l’accent sur la sellette, une nouvelle classe de managers avec qui, il faudra désormais compter. Tant politiquement qu’économiquement. A cet égard, Abidjan  marquera-t-il un nouveau départ.
 
Colloque d’Abidjan
Une trentaine de managers et chefs d’entreprises africains avaient fait le déplacement d’Abidjan. Les extraits de certaines interventions et interviews que nous vous livrons, révèlent la nouvelle conscience qui s’est affirmée dans la capitale ivoirienne.
JAMES ONOBIONO
Président de la Compagnie financière et industrielle
(CAMEROUN) 
APPRENDRE A FORGER
« Il y a une distinction entre les entreprises dirigées et contrôlées, à hauteur de
51% au moins du capital par des privés étrangers et celles dont le capital  est pour l’essentiel détenu par des non Africains, ainsi que des filiales des multinationales lesquelles, malgré une coloration juridique locale, drainent vers l’extérieur tous les bénéfices réalisés en Afrique. Est significatif à ce sujet: l’exemple des entreprises de bâtiments et travaux publics qui, au cours des trois dernières décennies, furent les principaux adjudicataires des marchés publics de bâtiments et d’infrastructures dans la quasi-totalité de ces pays.  Plusieurs milliards de dollars provenant des ressources propres de nos Etats et des lourds emprunts qu’ils ont contractés, ont ainsi fui hors de nos pays, limitant par là- même, comme au temps colonial, le processus d’accumulation du capital.
Ceci résulte, faut-il le rappeler, des politiques irrationnelles mises en place  par les Etats. On ne saurait, au nom du libéralisme, instituer de façon mécanique une compétition, à armes tout à fait inégales  avec des entreprises américaines, françaises, allemandes ou coréennes et dont la plupart appartiennent et appartiennent généralement a des consortiums souvent plus puissants que l’Etat lui-même.
Cette situation, qui constitue l’une des sources majeures des difficultés du secteur privée africain, est en effet aggravée par l’absence ou l’insuffisance des mesures réglementaires qui non seulement ne protègent pas les entreprises nationales, mais ne les traitent même pas de façon équitable par rapport aux entreprises étrangères. Notamment en ne leur donnant pas a accès a certains marchés d’Etat lesquels, en autres lieux, sont exclusivement réservés aux entreprises nationales.
On ne saurait retenir, pour justifier un tel état de choses, l’argument souvent avancé selon lequel « le bas niveau technique », et l’incompétence de l’encadrement de ces entreprises les rendraient inaptes à assumer certains travaux ». Car, comme dit un proverbe bien connu c’est à force de forger que l’on devient forgeron ». Faut-il croire que c’est par la grâce du Saint-Esprit qu’un beau jour, les entreprises de chez nous acquerront la maitrise la technique, le savoir-faire et la rigueur de gestion nécessaire pour les rendre performantes?
GREGOIRE NGAKO PIWELE
(Cameroun)
Président du groupe « Aux Bonnes Courses » 
RELEVER LE DEFI
« Si l’on veut refaire le monde, c’est le moment ou jamais. Telle est depuis toujours, la devise des hommes d’action. C’est vraiment le moment de réinventer nos institutions et en particulier, l’entreprise. Le rôle de l’entreprise’ africaine est donc non seulement le même que pour toute entreprise dans le  monde, mais aussi de relever un défi face aux pays nantis, car elle est la seule issue de secours des pouvoirs politiques africains ».
MOUSTAPHA SARR
PDG de la SAPCO (Sénégal)
La force motrice de l’économie moderne
« Dans les pays africains, les raisons qui ont guidé l’Etat à intervenir de manière excessive dans la vie nationale résident généralement dans le fait qu’au lendemain des indépendances africaines, il lui fallait affirmer sa souveraineté et assurer un contrôle sur la plupart des secteurs de l’activité économique nationale, et également, suppléer le capital privé embryonnaire ou même inexistant partout.
Dans cette période post indépendance, l’Etat étant présent dans presque tous les secteurs de l’activité économique nationale par le biais de ses sociétés parapubliques et la rentabilité de ces sociétés parapubliques n’était pas toujours assurée, l’Etat a dû recourir, dans la plupart des cas, à d’énormes subventions, pour maintenir en vie ces sociétés. C’est ainsi que, dans certains pays africains, le déficit du secteur parapublic est passé parfois, en l’espace de deux années de 10 à 30 milliards de Frs CFA, nécessitant un soutien constant du Trésor Public et  donc, des contribuables.
Mais, de nos jours, la réalité du fonctionnement du système économique tend à démentir l’inéluctabilité du déficit chronique des entreprises publiques. L’économie d’un pays repose essentiellement sur les entreprises et les risques de l’entrepreneur qui porte en lui toutes les chances de gain ou de perte. C’est donc l’entrepreneur ou le manager qui constitue  la force motrice de l’économie moderne.
 
BEMBA SAOLONA
PDG CIBBE (Zaïre)
 Qui aide qui ?
Nous sommes convaincus que le développement de nos pays passe avant tout par l’apport de leurs propres fils et donc par l’activité des entreprises appartenant  à  des Africains, les seules à pouvoir créer réellement des richesses qui profitent avant tout aux populations locales.
Nous devons dans ce cadre, rappeler que toutes les politiques actuellement menées par nos Etats avec différents organismes internationaux et avec le soutien de nos partenaires extérieurs ne pourront réellement profiter à nos pays que si elles débouchent sur la promotion des entreprises africaines. Le constat actuel est hélas ! loin de cette évidence. Je n’en veux pour preuve que la discrimination pratiquée par de nombreux organismes internationaux dans le financement des projets dans nos pays. Sous le prétexte des critères, aussi vrai que faux les nombreux crédits accordés à nos pays et annoncés avec fracas dans les médias, ne sont souvent, si pas toujours destinés aux entreprises originaires des pays bailleurs de fonds au sein de ces organisations. La situation est encore plus décevante au niveau de la coopération et de la soi-disant assistance entre Etats où les fonds prêtés ou mis à la disposition de nos pays reviennent simplement, du simple bureau d’études à l’entreprise créatrice du projet, aux seules sociétés de ces pays « assistants » ou « aidants ».
Un quart de siècle après les indépendances politiques de nos pays, on croirait qu’il n’existe en Afrique, ni bureau d’études, ni architecte, ni constructeur, ni industriel africain. Qui finalement aide qui ?
 
PIERRE GOUDIABY ATEPA
 Architecte (Sénégal)
Une nouvelle conscience de l’entreprise
L’appel d’Abidjan marque une prise de conscience par les africains eux-mêmes de l’importance de la mise en place d’entreprises dignes de ce nom. Cette nouvelle conscience est elle-même née de la volonté des Etats du continent de revoir les stratégies de développement mises en œuvre depuis l’indépendance.
D’un côté, les entreprises africaines ne sont pas encouragées à cause notamment de l’absence de politique d’incitation. D’un autre côté, il faut que l’Afrique cesse d’être un lieu de transit des capitaux occidentaux. Actuellement, c’est le patriotisme économique qui doit prévaloir. Cela veut dire plusieurs choses : les entrepreneurs doivent s’insérer dans ta dynamique productive du développement national. Cela signifie aussi recycler ses épargnes, créer des entreprises, dans son pays et sur le continent, comprendre les nouveaux moteurs de libéralisation et les grandes orientations du Plan d’action de Lagos comme nous essayons de le faire avec Africabat.
Evidemment, cette demande des entrepreneurs requiert des mesures incitatives de la part de l’Etat telles que la stabilité politique, la sécurisation des investissements, la mise en place de structures facilitant l’accès des nationaux à la propriété privée, pour que la politique de  libéralisation porte ses: fruits, il faut un système de crédit bonifié et des mécanismes opérationnels d’accès  au crédit. On pourrait aussi imaginer des mécanismes pouvant garantir certaines exportations africaines à  l’intérieur du continent pour minimiser les risques. Les organisations internationales doivent aussi recentrer leurs interventions car l’étroitesse des marchés nationaux et la faiblesse de la demanda industrielle locale dictent la mise en œuvre de politiques régionales harmonieuses.
Pour ce qui est des PME/PMI, certains marchés doivent leur être exclusivement  réservés, tandis que les multinationales seront encouragées co-traiter certains marchés qu’ils exploitent en Afrique. A ce propos, pour certains appels d’offres, priorité doit être donnée aux nationaux africains si l’offre locale est supérieure d’un montant n’excédant pas 10%.
 
L’APPEL D’ABIDJAN
Les chefs d’entreprise africains réunis à Abidjan du 26 au 28 novembre 1987, en colloque sur le thème « L’initiative africaine pour  la Promotion et le Développement du secteur privé »,  
– Conscients de l’importance de plus en plus grande que  les pouvoirs publics africains accordent à l’initiative privée considérée désormais comme moteur essentiel du développement économique de l’Afrique ;
– Conscients de la responsabilité spécifique qui leur incombe dans ce processus ;
Lancent le présent appel
– Considérant que les différentes politiques de développement élaborées et appliquées depuis les indépendances n’ont pas toujours répondu aux différentes attentes des pouvoirs publics et des populations ;
– Considérant que l’environnement dans lequel évolue l’entreprise africaine aujourd’hui ne favorise pas son développement ;
– Considérant que le devenir des économies africaines repose essentiellement sur les initiatives et les performances des Africains eux-mêmes ;
– Considérant la nécessité de réhabiliter l’entreprise africaine  et l’entrepreneur comme facteur essentiel endogène d’accumulation du capital et de création de richesses et  d’emplois ;
– Considérant le rôle d’investisseur important, que joue et jouera encore l’Etat dans les économies africaines ;
– Considérant la tendance actuelle au désengagement de l’Etat, des systèmes productifs et marchands en Afrique ;
– Considérant le rôle fondamental que jouent les banques et les systèmes financiers dans le développement économique
Recommandent
Aux entrepreneurs et chefs d’entreprise
– De faire du patriotisme économique un crédo, notamment
– De créer et de développer des produits et des services compétitifs, fiables et de qualité ;
– De s’obliger à faire appel à l’expertise africaine existante ;
– De rechercher et recruter prioritairement les talents et compétences africains et de les motiver par des rémunérations et des plans de carrière incitatifs ;
– De développer des liens de partenariat inter-africain notamment :
Aux Etats africains
– La mise en place d’un système institutionnel, juridique stable et sécurisant caractérisé :
– Supprimer ou assouplir toutes les réglementations incompatibles avec la promotion et le développement de la libre entreprise ;
– Donner la priorité d’accès aux marchés publics pour les nationaux en en particulier ceux financés par le budget national, et faire obligation aux  partenaires étrangers de co-traiter avec les nationaux, les marchés financés par les pays étrangers ou les organismes internationaux
– Encourager la création d’entreprises privées africaines à capitaux multinationaux
– Réformer les systèmes bancaires et financiers notamment par:
– Dans le cadre des privatisations en cours ou à venir favoriser l’accès des opérateurs privés africains notamment, par la mise en place des lignes de crédit spécifiques et appropriées.
– Promouvoir, la participation croisée des représentants du secteur privé dans les conseils d’administration des entreprises publiques
– Promouvoir la vérité des prix, tant pour les entreprises publiques que pour les entreprises privées afin de permettre aux unes et aux autres de contribuer efficacement au développement de leurs pays.
Aux organismes multilatéraux, (BAD, Banque mondiale, CEDEAO, CEEAC)
– La mise en place des ressources financières destinées à faciliter le rachat par les nationaux des entreprises à privatiser.
 
FORUM
SAHEL
POUR DES SOLUTIONS REGIONALES 
Après vingt-cinq années d’indépendance,  l’Afrique subsaharienne continue de poser une multitude de problèmes. Ainsi, les pays de l’Afrique subsaharienne sont, aujourd’hui encore, pris dans une conjonction de crises qui affectent tous les secteurs de la vie économique, principalement le secteur agricole. Qu’en est-il de la réfraction de la crise sur le système foncier, le système agricole et l’éco-système ?
Les pays de l’Afrique subsaharienne comme le Sénégal, le Bénin, la Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso ont encore 80 % de leur population qui vivent de l’agriculture dont le facteur essentiel de production est la terre. Avec un taux de croissance démographique de 2,9 %, ces pays connaissent de plus en plus un écart entre production alimentaire et progression démographique.
Pour inverser cette tendance, la pression se fait de plus en plus forte sur  les ressources foncières afin d’accroitre la production alimentaire. L’objectif d’auto-suffisance alimentaire implique au préalable une réforme foncière qui permettra à la majorité de la population de l’Afrique subsaharienne d’accéder la terre.
Une fois la question de l’accès à la terre résolue, il importera de préciser les « contours »· d’une réforme agraire pour résoudre le problème de la faim. Cette réforme agraire devra permettre la mise en place d’organisations paysannes pour faciliter :
– l’accès aux ressources naturelles (terres, eau, pâturages et forêts)
– l’accès aux moyens de production (intrants, matériels d’équipement).
Ces mesures suscitées ont pour objet de transformer le cadre institutionnel à l’intérieur duquel s’organisent les rapports entre l’homme et la terre. Qu’en est-il à  présent des conséquences de la crise sur le système de production agricole ?
Depuis les indépendances, l’économie agricole des pays comme le Sénégal, le Mali et la Mauritanie n’arrive pas à couvrir les besoins des populations en matière d’alimentation et d’emploi. D’après les experts de la FAO, la production alimentaire qui avait connu vers les années 60 un taux d’accroissement de 2,7 % à 1,9 % a baissé pour se situer dans les  années 70, amorcer une chute alarmante dans les années 80 et se retrouver à 1,3 %.
Ainsi donc, la crise qui affecte les pays de l’Afrique subsaharienne a engendré  dans un premier temps, la baisse de la production agricole pour se traduire dans un deuxième temps par « l’insécurité alimentaire ».
Face
Face à cette situation, il semble nécessaire de préconiser de « nouvelles politiques agricoles » qui devront viser à accroitre d’abord la production alimentaire. Les agriculteurs de l’Afrique subsaharienne n’ont pas pu obtenir les intrants dont ils avaient besoin, ni de crédits pour les acheter ;  enfin leurs produits n’ont pas pu soutenir la concurrence des céréales importées à bas prix.
A la lumière de ce qui précède, « les nouvelles politiques agricoles » devront relever les prix payés aux producteurs et ouvrir de nouvelles filières de commercialisation. En ce qui concerne les facteurs de production, les agriculteurs de l’Afrique subsaharienne doivent pouvoir eux-mêmes se procurer  les intrants nécessaires à la production. S’agissant des semences, les agriculteurs de ces pays doivent de plus en plus être responsabilisés dans des politiques de conservation personnelle de semences.
Bien sûr, il revient aux Etats, dans une période transitoire, de prendre en charge le capital semencier et permettre progressivement aux populations, après conservation, d’utiliser leurs propres semences à des fins de production.  Pour ce qui concerne les engrais et les produits phytosanitaires, les populations organisées pourront accéder aux institutions de crédit agricole.
Question incontournable
Les pays de l’Afrique subsaharienne souffrent de pénurie saisonnière de main­ d’œuvre agricole.  C’est pourquoi le « machinisme agricole » devra prendre toute sa place dans le monde rural subsaharien. Il va s’en dire que cette mécanisation sera basée sur une « technologie appropriée », adaptée au milieu social  à transformer.
La culture irriguée devra être encouragée, et des infrastructures hydro-agricoles construites. Dans cette perspective, il s’avère nécessaire de mener des réformes institutionnelles pour améliorer la production agricole.
Le manque de main d’œuvre qualifiée dans les campagnes subsahariennes pose l’incontournable question de la formation pratique et de la vulgarisation des thèmes techniques. Enfin, une politique agricole, qui doit résoudre le problème aigu de la faim, devra nécessairement se pencher sur le  problème de la sécheresse et de la désertification.
En effet, depuis 1968, les pays de l’Afrique subsaharienne sont en train de subir la sécheresse avec sa conséquence négative qu’est la désertification. Cette sécheresse se traduit par une réduction des ressources en eau et se manifeste par de graves altérations et perte de fertilité des sols, ainsi que par une baisse des productions agricoles. La désertification quant à elle, se traduit par la destruction du potentiel biologique des terres. Ainsi donc, ces pays de l’Afrique subsaharienne subissent des contraintes telles que :
– la rareté de l’eau, pour la consommation humaine et animale ;
– la dégradation générale de la santé des populations, surtout celle de la population infantile.
La solidarité internationale
Face à ce sombre tableau qui dépasse les frontières des Etats nationaux des solutions doivent être prises au niveau de la sous-région. En ce qui concerne la lutte contre la sécheresse et la désertification, elle ne peut plus se cantonner sur un territoire national (à cause des plans d’ajustement structurel) mais doit plutôt se mener dans des « macro­espaces ».  De ce fait, l’impact sera mieux ressenti par les populations subsahariennes parce que réglant sur une large échelle, la question de la dégradation générale des écosystèmes (les coûts partagés seront amoindris). C’est à cette fin que le CILSS qui regroupe huit Etats sahéliens a été créé.
Dans .ce même ordre, d’idée, il semble impérieux de dynamiser le plan triennal de la CEAO portant, entre autres, sur un programme d’hydraulique villageoise et pastorale (forage) pour solutionner la rareté de l’eau en milieu rural ‘sahélien,
Pour ce qui concerne aussi les intrants, le fonds  de la CEAO concentre des efforts de distribution de semences dans les zones sahéliennes les plus défavorisées. Dans cette même perspective et dans le cadre de « la solidarité internationale », des campagnes de vaccination (comme le  PEV au Sénégal), doivent être généralisées dans les pays sahéliens non encore immunisés contre les sept maladies infantiles les plus redoutées.
En un mot, il  importe de développer une conscience « et les moyens » d’une actions qui suive les idées et les stratégies tant au niveau national que sous régional. En effet, les problèmes engendrés  par la crise ne peuvent trouver des solutions que par la mobilisation des ressources humaines, techniques, institutionnelles et financières de la sous-région. Ce mal dépassant les limites des frontières nationales, les remèdes ne peuvent provenir que de la sous-région.
Papa Ibrahima SY
Socio-économiste
Docteur en Sociologie Economique du Développement 3616 – DAKAR







Sud quotidien est un journal d(information générale Sénégalais basé à Dakar, avec des correspondants dans la quasi-totalité des régions du Sénégal.

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https://2macp.fr/gestion-de-la-negociation/

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