Protéger et soigner les sols | Terra Nova – Fondation Terra Nova

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La gestion des sols est au centre de plusieurs chantiers politiques prioritaires dans les années qui viennent : la décarbonation, la transition agroécologique et la sobriété foncière. Pourtant, contrairement à l’eau ou à l’air, le sol est un milieu naturel dont aucun organisme public n’est spécifiquement chargé. Longtemps considéré comme une ressource abondante dans un pays au peuplement relativement peu dense, le sol se trouve désormais au centre d’une plus grande rivalité des usages : nous avons besoin de sols pour nous nourrir mais aussi pour construire de nouveaux logements, développer les énergies renouvelables ou encore séquestrer du carbone.
La gestion des sols est au centre de plusieurs chantiers politiques prioritaires dans les années qui viennent : la décarbonation, la transition agroécologique et la sobriété foncière. Pourtant, contrairement à l’eau ou à l’air, le sol est un milieu naturel dont aucun organisme public n’est spécifiquement chargé. Longtemps considéré comme une ressource abondante dans un pays au peuplement relativement peu dense, le sol se trouve désormais au centre d’une plus grande rivalité des usages : nous avons besoin de sols pour nous nourrir mais aussi pour construire de nouveaux logements, développer les énergies renouvelables ou encore séquestrer du carbone.
En outre, et c’est là encore une prise de conscience récente, la qualité même des sols devient désormais un enjeu majeur : ceux-ci ont de l’importance non seulement en termes de surface utile (mesurée en m2) mais aussi de services environnementaux. Nous avons besoin d’écosystèmes des sols qui fonctionnent pour avoir des sols fertiles et capables de réguler le cycle de l’eau pour lutter contre les effets du changement climatique. Alors qu’une législation européenne sur la qualité des sols est annoncée pour 2023, la présente note formule 14 propositions pour un bon usage des sols et pour la santé des sols.
Plusieurs domaines d’actions sont donc concernés : la construction et le logement, l’énergie, la forêt, l’agriculture et l’alimentation… Un arbitrage sur les usages sera donc nécessaire dans les années qui viennent, entre l’habitat, les usages agricoles ou forestiers ou encore la contribution des sols à la décarbonation (biomasse, séquestration). Mais fixer ces priorités ne sera pas suffisant, il faudra aussi lutter pour la santé des sols : éviter l’érosion, la pollution, la salinisation… Pour cela, il faut créer un indicateur de la santé des sols qui prenne en compte leur fertilité, leur biodiversité, leur capacité à réguler le cycle de l’eau. A cette fin, il faut pouvoir labelliser leur qualité et leur potentiel. L’orientation de notre modèle agricole se trouvera bien sûr au centre de ces préoccupations, alors que de nombreux départs en retraite ou de transmission d’exploitations sont attendus dans la décennie à venir. La qualité des sols doit devenir un critère central de l’évolution des pratiques agricoles.
Protéger la santé des sols est d’une importance vitale pour notre avenir, mais cet enjeu est encore mal connu. Ce sont en effet les sols et les organismes qu’ils abritent qui permettent de produire notre alimentation, ainsi que la biomasse nécessaire pour nos équipements et notre énergie. Ce sont encore les sols qui régulent le cycle de l’eau et du carbone et qui recyclent les nutriments nécessaires à la vie sur terre. Ces sols si précieux sont le produit de plusieurs milliers d’années d’évolution. Pourtant l’Union européenne perd chaque année environ 1 milliard de tonnes de sols par érosion, soit l’équivalent d’un centimètre d’épaisseur sur deux fois la surface de la Belgique. A l’échelle des sociétés humaines, le sol fertile est une ressource qui se renouvelle très lentement et qu’il convient désormais de gérer prudemment et de protéger.
Ce n’est pas le chemin que nous avons suivi ces cent dernières années. Au XXe siècle, l’usage des sols en France a été globalement décorrélé de leur qualité propre. Dans un pays dans l’ensemble assez peu dense, l’espace paraissait une commodité abondante. Les propriétaires fonciers n’ont pas été incités à prendre soin des sols et de leurs fonctions écosystémiques. On a ainsi artificialisé des terres fertiles et laissé en jachère des terres impropres à la culture, épuisé de vastes étendues par des pratiques intensives, supprimé des haies ou des systèmes agroforestiers qui permettaient de limiter l’érosion des sols, et émoussé petit à petit leur capacité de régénération à long terme. En dépit des nombreux intérêts communs attachés à la terre, le propriétaire foncier est toujours, au titre du Code civil, propriétaire « du dessus et du dessous » et peut en jouir à sa guise, sans que quasiment aucun devoir ne soit attaché à sa situation. 
A l’heure où la France doit accélérer sa politique de décarbonation, préserver et renforcer son puits de carbone, construire sans attendre des solutions d’adaptation et de résilience face à un climat qui se modifie rapidement, les tensions et enjeux autour du foncier et de la politique des sols vont en outre s’intensifier. Le besoin d’accroître le puits de carbone exigera une modification des pratiques agricoles drastique et massive : techniques favorisant le stockage du carbone comme le maintien des prairies et l’accroissement de la part des prairies temporaires dans les successions culturales, déploiement des cultures légumineuses, mise en place ou extension de couverts intermédiaires, plantation de haies interparcellaires[2], maintien d’une part suffisante de résidus aux sols, valorisation agronomique des effluents et déchets organiques, diminution ou abandon du travail du sol, développement de l’agroforesterie à l’échelle de la parcelle. Indépendamment du stockage de carbone dans les sols, la transition écologique de l’agriculture nécessitera une désintensification de certains élevages et cultures, une diversification et association des productions à l’échelle du territoire comme de la parcelle, qui nécessiteront des sols de qualité et bien utilisés.

Encadré 1 – Transition bas carbone et production alimentaire : des effets antagonistes sur les sols

Depuis environ 70 ans, notamment avec l’arrivée des intrants chimiques, le système agricole a pu augmenter massivement sa production et fournir une alimentation abondante et à bas coût à une population qui a crû rapidement, en particulier dans les décennies d’après-guerre. La mécanisation, l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires et les méthodes de plus en plus abouties de sélection des semences ont permis un accroissement sans précédent des rendements à l’hectare mais aussi des surfaces cultivées par travailleur. Ainsi, la productivité agricole réelle[3] a été multipliée plusieurs dizaines de fois (de 25 à 200 fois en culture céréalière par exemple[4]). Ces développements se sont faits au prix d’une dégradation de la qualité des sols, des eaux, de la biodiversité mais aussi d’une forte dépendance aux énergies fossiles. Atteindre le « facteur 2 » (c’est-à-dire diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole d’ici 2050 par rapport à 1990) nécessite donc un changement des pratiques de production (développement de l’agroécologie et de l’agriculture biologique) mais également des régimes alimentaires des consommateurs (diminution de l’apport calorique moyen total, diminution des protéines animales).

Cette transition a des implications antagonistes en matière d’occupation des sols. La part des consommations de protéines animales, appelée à baisser, devrait libérer des espaces aujourd’hui dédiés à l’élevage et à la production d’alimentation destinée aux animaux (estimée à la moitié des surfaces de production céréalière en France, ce chiffre montant à deux tiers au niveau européen). Dans le même temps, les systèmes de production doivent évoluer vers une diminution des intrants, une augmentation de la surface en agriculture biologique (un peu moins de la moitié des grandes cultures dans le scénario de la SNBC), des modes d’élevages plus herbagers et donc moins intensifs acceptant au passage une perte de rendement sur les systèmes élevage et culture et donc un accroissement des besoins en surface pour un même niveau de production.  

Les surfaces libérées par l’évolution des régimes alimentaires (diminution de la consommation de protéines animales) et l’intensification agroécologique (association de plusieurs cultures sur une même parcelle, cultures intermédiaires, etc.) font bien plus que compenser les surfaces mobilisées par désintensification d’autres cultures. Ainsi les scénarios de prospective Afterres2050 ou Transitions 2050 montrent que la décarbonation du système agricole libère la pression sur les sols en France. Les deux scénarios « génération frugale » et « coopérations territoriales » de Transitions 2050 ne mobilisent également que très peu de surface à l’étranger pour la production de biens alimentaires consommés en France (un peu moins de 4 M Ha) contre 20 M Ha pour le scénario tendanciel.

Encadré 1 – Transition bas carbone et production alimentaire : des effets antagonistes sur les sols
Depuis environ 70 ans, notamment avec l’arrivée des intrants chimiques, le système agricole a pu augmenter massivement sa production et fournir une alimentation abondante et à bas coût à une population qui a crû rapidement, en particulier dans les décennies d’après-guerre. La mécanisation, l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires et les méthodes de plus en plus abouties de sélection des semences ont permis un accroissement sans précédent des rendements à l’hectare mais aussi des surfaces cultivées par travailleur. Ainsi, la productivité agricole réelle[3] a été multipliée plusieurs dizaines de fois (de 25 à 200 fois en culture céréalière par exemple[4]). Ces développements se sont faits au prix d’une dégradation de la qualité des sols, des eaux, de la biodiversité mais aussi d’une forte dépendance aux énergies fossiles. Atteindre le « facteur 2 » (c’est-à-dire diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole d’ici 2050 par rapport à 1990) nécessite donc un changement des pratiques de production (développement de l’agroécologie et de l’agriculture biologique) mais également des régimes alimentaires des consommateurs (diminution de l’apport calorique moyen total, diminution des protéines animales).
Cette transition a des implications antagonistes en matière d’occupation des sols. La part des consommations de protéines animales, appelée à baisser, devrait libérer des espaces aujourd’hui dédiés à l’élevage et à la production d’alimentation destinée aux animaux (estimée à la moitié des surfaces de production céréalière en France, ce chiffre montant à deux tiers au niveau européen). Dans le même temps, les systèmes de production doivent évoluer vers une diminution des intrants, une augmentation de la surface en agriculture biologique (un peu moins de la moitié des grandes cultures dans le scénario de la SNBC), des modes d’élevages plus herbagers et donc moins intensifs acceptant au passage une perte de rendement sur les systèmes élevage et culture et donc un accroissement des besoins en surface pour un même niveau de production.  
Les surfaces libérées par l’évolution des régimes alimentaires (diminution de la consommation de protéines animales) et l’intensification agroécologique (association de plusieurs cultures sur une même parcelle, cultures intermédiaires, etc.) font bien plus que compenser les surfaces mobilisées par désintensification d’autres cultures. Ainsi les scénarios de prospective Afterres2050 ou Transitions 2050 montrent que la décarbonation du système agricole libère la pression sur les sols en France. Les deux scénarios « génération frugale » et « coopérations territoriales » de Transitions 2050 ne mobilisent également que très peu de surface à l’étranger pour la production de biens alimentaires consommés en France (un peu moins de 4 M Ha) contre 20 M Ha pour le scénario tendanciel.
Le besoin de foncier sera également sensible dans le domaine de la production d’énergies renouvelables. Contrairement aux énergies fossiles dont l’emprise foncière de surface est assez négligeable, les énergies décarbonées – et particulièrement les énergies renouvelables – sont consommatrices d’espaces (parfois en compétition avec la production alimentaire), plus ou moins « artificialisantes » selon les technologies, et parfois génératrices de nuisances locales. L’impact du développement des énergies renouvelables (électriques et biomasse) sur l’usage des sols seraient, selon les estimations de l’Ademe dans l’exercice Transitions 2050, de 30 000 à 45 000 Ha pour les surfaces strictement incompatibles avec un usage « espace naturel, agricole ou forestier », et entre 1 à 2 million Ha de cultures dédiées à l’énergie.
En outre, même si l’on arrive à construire « la ville sur la ville », l’étalement urbain est un mouvement à forte inertie, tiré par l’attrait de la maison individuelle et le soutien au logement neuf à bas coût. Les villes ne vont donc pas cesser de croître instantanément. De même, le redéploiement industriel poursuivi par le gouvernement et les politiques publiques mises en place dans ce but exigeront la mise à disposition de nouvelles surfaces au détriment d’autres usages.
Et l’ensemble de ces évolutions devra se faire tout en préservant le fonctionnement des écosystèmes dans les sols et sur les sols, et leur capacité à réguler le cycle de l’eau, là encore fonction essentielle pour faire face aux aléas d’un climat qui change.

Encadré 2 – La forêt française en danger

La forêt française s’étend et occupe une surface croissante depuis plus d’un siècle : elle couvre aujourd’hui 31% du territoire national. Cette vitalité a permis en particulier une importante séquestration de carbone, autour de 60 à 65 Mt CO2 par an dans les années 2000–2010.

Après plusieurs décennies d’expansion, la croissance des arbres ralentit cependant (-3% sur la période 2011–2019 par rapport à la période 2005–2013) du fait de conditions climatiques difficiles (succession de sécheresses) et du développement de bioagresseurs. Pour les mêmes raisons, la mortalité a fortement augmenté (+35%). Les prélèvements ont également progressé (+18%) ; ils comprennent les récoltes dans les peuplements dépérissant (source : inventaire forestier).

En conséquence, la séquestration du carbone en forêt s’effondre depuis 2013. Selon le Citepa, le flux de carbone stocké dans la forêt a baissé de 48% depuis 2010 passant de près de 59 MtCO2 en 2010 à 30 MtCO2 en 2020 (dernière année disponible). En dehors du défi supplémentaire pour le seul enjeu de la réduction des émissions nettes en France, cette chute des flux de carbone séquestrés en forêt est révélatrice d’un bassin forestier qui souffre. Et les événements récents vont assurément accentuer cette tendance : au 22 aout 2022, les incendies exceptionnels de l’été 2022 avaient déjà brulé 7 fois plus de surface qu’une année ordinaire en France.

La politique forestière, notamment en matière de stratégie de séquestration du carbone, fait cependant l’objet d’une controverse importante : faut-il laisser le bois en forêt et ralentir l’extraction afin de préserver la biodiversité, en maintenant le stock de carbone sur pieds mais en prenant le risque de voir ce stock fortement dégradé en cas d’évènements extrêmes accentuant la mortalité ? Ou bien faut-il augmenter les prélèvements et la récolte de bois et l’orienter vers des produits à longue durée de vie tels que ceux qui sont utilisés dans la construction, qui permettent de stocker du carbone dans la durée, puis vers la filière bois énergie pour disposer d’énergie décarbonée, au risque d’accentuer encore la chute du puits forestier et la pression sur des forêts déjà affectées par les impacts du changement climatique ?

Face à cette controverse, le gouvernement a lancé les Assises de la forêt et du bois, conclues en mars 2022 et qui ont permis des avancées sur les enjeux forestiers et climatiques. Entre 1,1 et 1,4 Mds € devraient être mobilisés en faveur du renouvellement forestier sur la période 2021–2030 grâce aux plans France Relance et France 2030. Tout en étant significatives, ces avancées restent insuffisantes face aux défis de la forêt et de son rôle pour l’atteinte de la neutralité carbone :

  • Le Haut conseil pour le climat rappelle qu’à ce rythme il ne sera possible d’intervenir d’ici à 2050 que sur 8–12 % de la superficie forestière métropolitaine. C’est insuffisant, car le dépérissement des forêts progresse rapidement avec le changement climatique et pourrait devenir généralisé à l’horizon 2050 ;
  • Une politique industrielle d’accompagnement de la filière est nécessaire pour la mettre en phase avec l’ambition de la trajectoire de la SNBC (aujourd’hui, les bois bruts sont exportés, transformés à l’étranger et puis réimportés en produits finis) et pour développer l’usage à longue durée de vie du bois ;
  • Les interventions en forêt sont encore trop souvent destructrices des sols (coupes rases, dessouchage ou plantations monocultures) et de leur capacité à stocker du carbone et de la biodiversité.

Encadré 2 – La forêt française en danger
La forêt française s’étend et occupe une surface croissante depuis plus d’un siècle : elle couvre aujourd’hui 31% du territoire national. Cette vitalité a permis en particulier une importante séquestration de carbone, autour de 60 à 65 Mt CO2 par an dans les années 2000–2010.
Après plusieurs décennies d’expansion, la croissance des arbres ralentit cependant (-3% sur la période 2011–2019 par rapport à la période 2005–2013) du fait de conditions climatiques difficiles (succession de sécheresses) et du développement de bioagresseurs. Pour les mêmes raisons, la mortalité a fortement augmenté (+35%). Les prélèvements ont également progressé (+18%) ; ils comprennent les récoltes dans les peuplements dépérissant (source : inventaire forestier).
En conséquence, la séquestration du carbone en forêt s’effondre depuis 2013. Selon le Citepa, le flux de carbone stocké dans la forêt a baissé de 48% depuis 2010 passant de près de 59 MtCO2 en 2010 à 30 MtCO2 en 2020 (dernière année disponible). En dehors du défi supplémentaire pour le seul enjeu de la réduction des émissions nettes en France, cette chute des flux de carbone séquestrés en forêt est révélatrice d’un bassin forestier qui souffre. Et les événements récents vont assurément accentuer cette tendance : au 22 aout 2022, les incendies exceptionnels de l’été 2022 avaient déjà brulé 7 fois plus de surface qu’une année ordinaire en France.
La politique forestière, notamment en matière de stratégie de séquestration du carbone, fait cependant l’objet d’une controverse importante : faut-il laisser le bois en forêt et ralentir l’extraction afin de préserver la biodiversité, en maintenant le stock de carbone sur pieds mais en prenant le risque de voir ce stock fortement dégradé en cas d’évènements extrêmes accentuant la mortalité ? Ou bien faut-il augmenter les prélèvements et la récolte de bois et l’orienter vers des produits à longue durée de vie tels que ceux qui sont utilisés dans la construction, qui permettent de stocker du carbone dans la durée, puis vers la filière bois énergie pour disposer d’énergie décarbonée, au risque d’accentuer encore la chute du puits forestier et la pression sur des forêts déjà affectées par les impacts du changement climatique ?
Face à cette controverse, le gouvernement a lancé les Assises de la forêt et du bois, conclues en mars 2022 et qui ont permis des avancées sur les enjeux forestiers et climatiques. Entre 1,1 et 1,4 Mds € devraient être mobilisés en faveur du renouvellement forestier sur la période 2021–2030 grâce aux plans France Relance et France 2030. Tout en étant significatives, ces avancées restent insuffisantes face aux défis de la forêt et de son rôle pour l’atteinte de la neutralité carbone :

  • Le Haut conseil pour le climat rappelle qu’à ce rythme il ne sera possible d’intervenir d’ici à 2050 que sur 8–12 % de la superficie forestière métropolitaine. C’est insuffisant, car le dépérissement des forêts progresse rapidement avec le changement climatique et pourrait devenir généralisé à l’horizon 2050 ;
  • Une politique industrielle d’accompagnement de la filière est nécessaire pour la mettre en phase avec l’ambition de la trajectoire de la SNBC (aujourd’hui, les bois bruts sont exportés, transformés à l’étranger et puis réimportés en produits finis) et pour développer l’usage à longue durée de vie du bois ;
  • Les interventions en forêt sont encore trop souvent destructrices des sols (coupes rases, dessouchage ou plantations monocultures) et de leur capacité à stocker du carbone et de la biodiversité.

Dans cette transition, la France a la chance d’être un pays peu dense comparé à certains de ses voisins, mais elle ne pourra plus se permettre un usage des sols aussi anarchique que par le passé si elle veut réussir la transition écologique et assurer la soutenabilité de son développement, sinon l’habitabilité de son territoire. 

Indice dei contenuti

2020–2030 une décennie charnière

Les crises récentes – pandémie, guerre en Ukraine… – et les chocs brutaux sur la production et les approvisionnements qui en découlent ont révélé les fragilités de systèmes de production alimentaire trop dépendants des importations : importations d’alimentation pour le bétail en particulier, d’intrants (engrais minéraux de Russie par exemple) et d’énergie, qu’il s’agisse de satisfaire des consommations directes (fonctionnement des engins agricoles, etc.) ou indirectes (gaz incorporé dans les engrais azotés…). La sécheresse et les incendies de 2022 en France montrent par ailleurs l’importance cruciale de préserver la capacité des sols à absorber et rendre l’eau pour les plantes. En rendant explicites les fragilités de notre système de production alimentaire, ces crises ont suscité des réflexions favorables pour impulser un changement de modèle de production agricole et de gestion des sols agricoles et forestiers.
Nous vivons en outre depuis une dizaine d’années un moment charnière pour l’orientation du modèle agricole : en 10 ans, 80 000 emplois agricoles ont été détruits et dans les 10 prochaines années, 100 000 agriculteurs partiront à la retraite (sur environ 400 000, soit un quart), laissant derrière eux plus d’un cinquième de la surface agricole utile métropolitaine. Sans une action déterminée, cette mutation entretiendra la même tendance que dans les années passées : gain des surfaces artificialisées, logique de concentration et d’agrandissement des exploitations, pratiques agricoles qui dégradent les terres et leurs écosystèmes.
2022, ce sont aussi les premiers pas d’un gouvernement qui place la planification écologique au cœur de son action. Cette nouvelle mandature est le moment de la mise en œuvre pratique des objectifs décidés lors du quinquennat précédent : accélération de la décarbonation, transition agroécologique, zéro artificialisation nette (ZAN)[5], autant d’objectifs pour lesquels la politique de gestion des sols jouera un rôle clé. Le gouvernement aura aussi à mettre en œuvre les engagements européens récents, notamment le renforcement des objectifs d’atténuation suite au nouvel objectif européen pour 2030 et au paquet « Fit-for-55 »[6] et la mise en place d’une nouvelle législation sur la santé des sols répondant à la stratégie de l’Union européenne pour les sols à horizon 2030 (qui vise des sols en bonne santé d’ici 2050).
Les objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN) animent le débat en France depuis plusieurs années sur l’usage des sols, sans pour autant avoir abouti à une législation ou un cadre cohérent de politiques publiques spécifiquement dédiées à leur gestion. Suite aux propositions pour un cadre national de gestion durable des sols du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), le Conseil national de la transition écologique (CNTE) avait été saisi en 2016 par le gouvernement de l’élaboration d’une stratégie de gestion des sols, mais cette stratégie n’a jamais été réalisée. Parce qu’il s’agit d’une clé de voute des enjeux de décarbonation et de protection de la biodiversité, de construction de la résilience face au changement climatique mais aussi des politiques de production industrielle ou d’énergie renouvelable, il est aujourd’hui nécessaire de construire une politique des sols concertée avec les parties prenantes. C’est à ce jour le seul milieu naturel (contrairement à l’eau, à l’air ou à la biodiversité) non couvert par une politique dédiée à sa protection.
Une question plus systémique se pose : faut-il envisager une forme de planification plus ambitieuse de l’usage des sols, au-delà des classifications habituelles du cadastre et des plans locaux d’urbanisme (PLU) ? Celle-ci devrait reposer sur l’identification de nos priorités les plus vitales. Premièrement, la sécurité alimentaire : pour le moment, en dépit d’une balance commerciale agricole excédentaire en valeur, la France reste importatrice nette de calories. Les importations actuelles de denrées agricoles et alimentaires mobilisent 12 millions d’hectares (MHa) à l’étranger (soit près du quart de la superficie de la France) dont 4,8 MHa liées à l’importation de viande, alors que 12 MHa sont utilisés en France pour des productions dédiées en grande partie à l’exportation : céréales, lait et produits laitiers, vins. Cette priorité doit s’articuler avec nos objectifs de décarbonation et de protection de la biodiversité (facteur de résilience écologique et économique), mais aussi avec d’autres enjeux : production de logements (construction, rénovation…), développement des énergies renouvelables, etc. Ces objectifs vont redéfinir une nouvelle économie du foncier qui devra valoriser les sols en fonction des services qu’ils peuvent rendre, à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne. Il est estimé que les terres cultivées et les prairies européennes fournissent chaque année l’équivalent de 76 Mds € de services écosystémiques : moins d’un tiers proviennent de la production végétale, le reste d’autres services écosystémiques. En face de ces priorités, il faudra être en mesure de « qualifier » les sols, c’est-à-dire de labelliser leur qualité et leur potentiel, de fabriquer un cadastre intelligent (telle parcelle est propre à tel usage et pas à tel autre) et de construire les outils de politique publique valorisant la préservation de la qualité des sols ou définir une hiérarchie des usages des sols. 
Les sols ne bénéficiant pas de structure d’administration dédiée (à la différence des sujets comme l’énergie, l’eau ou la biodiversité), ce travail devrait donc être coordonné par le nouveau Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) auprès de la Première ministre. A l’instar de ce qui avait été réalisé pour l’élaboration de la loi d’orientation des mobilités ou plus récemment pour la politique forestière, un temps de dialogue avec les acteurs devrait aboutir à l’élaboration d’une stratégie nationale de protection et de résilience des sols, qui sera ensuite traduite en mesures législatives, règlementaires et financières.

Proposition 1 : Organiser les assises des sols, débouchant sur une stratégie nationale des sols et une loi pour la protection des sols.

Cette concertation pourrait s’organiser autour des axes de travail suivant (les thèmes et enjeux principaux sont détaillés dans la suite de cette note) : fiscalité et règlementation pour lutter contre l’artificialisation des sols, carbone dans le sol et finance climat, développement et usage d’indicateurs de la santé des sols, droit foncier.
En termes de calendrier, le premier semestre 2023 serait un moment pertinent notamment pour alimenter la position française sur la future législation européenne sur la qualité des sols annoncée pour 2023.
La suite de cette note aborde trois dimensions structurantes de cette réflexion.
Chaque année, près de 60 000 ha de terres agricoles, naturelles et forestières sont artificialisées et une partie imperméabilisée. La France perd ainsi tous les douze mois la capacité à nourrir une ville comme Le Havre tandis que l’artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population. L’habitat y contribue pour 40 à 60%, le reste étant partagé entre les infrastructures de transport et les autres activités économiques (entreprises, entrepôts, commerces).
Les déterminants économiques de cette dynamique sont désormais bien connus et documentés[7] [8] :

  • Le taux de logements vacants en France (qui a atteint 8,5% du parc immobilier et progresse de 3,4% par an depuis 2010) est important, notamment en comparaison d’autres pays européens (3% au Royaume-Uni, 1,7% en Suisse). Entre 2006 et 2015, les nouvelles surfaces artificialisées se trouvaient pour 37% dans des communes où le taux de vacance des logements augmentait de plus de 50% . Ces chiffres suggèrent une préférence contestable pour la construction neuve plutôt que pour la réhabilitation/rénovation, c’est-à-dire pour la revalorisation des emprises foncières existantes ;
  • Alors que les ménages sont incités à s’installer en dehors de la ville (prix du foncier, attrait pour la maison individuelle avec jardin), les promoteurs à construire en dehors de la ville (fiscalité souvent plus clémente), les propriétaires fonciers d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF) sont incités, eux, à vendre leur terre pour un usage non agricole qui leur permet de mieux valoriser leur patrimoine ;  
  • Les outils règlementaires, fiscaux et financiers existants sont à la fois riches, peu lisibles, mal évalués dans leurs effets et parfois antagonistes. La taxe d’aménagement (TA) par exemple est fixée pour certains équipements artificialisants à des valeurs forfaitaires très basses et ne dépend pas de la surface artificialisée ;
  • A ces dynamiques fiscales, s’ajoutent des politiques visant à soutenir l’activité du secteur immobilier, l’accession à la propriété et le renouvellement urbain. Ces politiques jouent un rôle déterminant dans les dynamiques de construction et donc dans certains cas dans les dynamiques d’artificialisation. France Stratégie relève par exemple que les projets financés par le prêt à taux zéro (PTZ), concernent essentiellement l’habitat collectif neuf dans les grands pôles urbains et l’habitat individuel, neuf ou ancien, dans les autres types de communes. Ils observent un lien entre le nombre de PTZ émis et le stock de surface artificialisée sur un territoire : plus le nombre de PTZ émis dans un département est élevé, plus son territoire est artificialisé en hectares ;
  • Il existe par ailleurs des intérêts divergents d’acteurs, qui nécessitent une négociation pour permettre une évolution des politiques publiques. La politique de lutte contre l’artificialisation peut être en synergie mais également en conflit avec d’autres objectifs économiques, sociaux et environnementaux du territoire (installation d’industrie ou d’entrepôts pour l’activité économique, construction de logements sociaux ou de bassins de rétention d’eau, développement des énergies renouvelables) dont les acteurs et notamment les élus locaux sont porteurs.
  • les Commissions départementales de préservation des espaces naturels et forestiers (CDPNAF)[9] sont un des outils de la mise en œuvre de la politique de lutte contre l’artificialisation ont une gouvernance encore trop faible pour  tenir les objectifs de zéro artificialisation nette.

Une politique de maîtrise de l’artificialisation nécessite la mise en place d’un cadre d’ensemble comblant trois lacunes :

  • la construction de visions partagées des enjeux pour les territoires ;
  • une gouvernance capable d’assurer que ces enjeux sont pris en compte à toutes les étapes des projets de développement ;
  • l’orientation des choix économiques des acteurs, pour qu’ils prennent bien en compte les services rendus par les espaces naturels, agricoles et forestiers à la collectivité́, et alternativement les dommages de l’artificialisation.

Les Assises des sols devront s’attacher à une revue des instruments existants, corriger les outils désincitatifs et construire de nouveaux instruments règlementaires, normatifs ou incitatifs.

Proposition 2 : Engager une revue des instruments existants et corriger ceux qui incitent à l’étalement urbain : par exemple, exonérer totalement de taxe d’aménagement les projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti (surélévation, rénovation, reconstruction, micro-promotion pavillonnaire, cf. encadré ci-après) et exclure de l’éligibilité aux dispositifs Pinel et PTZ les constructions sur des terres encore non artificialisées. Engager également une revue des outils de gouvernance de l’artificialisation (SAFER, CDPENAF), leur rôle et leur gouvernance.

Encadré 3 – « Micropromotion immobilière »

Pour répondre au défi du Zéro artificialisation nette (ZAN) sans renoncer à produire des logements, il faut réussir à densifier les zones déjà urbanisées. Des urbanistes proposent à cette fin de développer la « micropromotion pavillonnaire » : sans étendre l’emprise foncière des maisons existantes, il s’agit d’aider les propriétaires occupants à transformer leur bien pour y aménager un studio, un espace de co-working ou une chambre pour un étudiant.

En Ile-de-France, les 1,4 millions de petits propriétaires ont en majorité plus de 55 ans et plus de 50% des maisons sont occupées par une ou deux personnes seulement qui ont parfois des difficultés à entretenir leur bien. Cette situation en conduit certains à aménager un second logement informel dans leur maison pour récupérer un revenu locatif. C’est cette dynamique qu’il s’agit de faciliter et de rationaliser via des opérations de division parcellaire, de surélévation ou de restructuration, un processus de « densification douce » qui n’altère pas les formes urbaines existantes. L’absence de transaction foncière liée à l’achat d’un terrain permet en outre une économie de 30 à 50% par rapport à une opération immobilière classique.

Pour aller plus loin, Lily Munson propose la création d’un statut de micro-promoteur sur le modèle du micro-entrepreneur : un régime simplifié qui ouvrirait des droits et des devoirs spécifiques pour un meilleur encadrement juridique des opérations et donnerait accès à un fonds d’amorçage qui pourrait proposer des aides de 3 000 à 30 000€ par projet associant un modèle de subventions de 50%, de prêts à taux zéro et de garantie bancaire en fonds propres. Il pourrait également se coupler à une TVA réduite à 5,5% sur le coût de construction sur le modèle des aides en faveur de la rénovation thermique. Un système d’amortissement par défaut (par exemple, X% du montant de l’investissement serait déductible pendant X années des revenus locatifs imposables) pourrait également accélérer le retour sur investissement. Sur le volet règlementaire, diverses simplifications seraient requises (réduction automatique de 50% en matière d’obligation de création de places de stationnement pour des projets relevant du secteur libre, assouplissement des normes PMR ou incendie, trop souvent bloquantes par manque de clarté, dans le respect des objectifs de sécurité des personnes). Le micro-promoteur aurait en contrepartie l’obligation de recourir à un professionnel agréé par l’État (architecte et/ou constructeur) et de s’inscrire dans les objectifs des PLU et de performance énergétique, ainsi que dans le respect des loyers et prix de vente encadrés.

L’étude menée par le cabinet IUDO en 2018, a montré qu’en Ile-de-France, les terrains pavillonnaires, peu denses, présentent en moyenne 100m² de droits à construire en l’état actuel des règlementations ; ce qui constitue un réservoir potentiel de 140 000 000 m² constructibles. Il suffirait d’ajouter un logement de 70m² en moyenne sur seulement 5% des terrains individuels pour atteindre les objectifs métropolitains de 70 000 logements/an issus de la loi sur le Grand Paris.

Encadré 3 – « Micropromotion immobilière »
Pour répondre au défi du Zéro artificialisation nette (ZAN) sans renoncer à produire des logements, il faut réussir à densifier les zones déjà urbanisées. Des urbanistes proposent à cette fin de développer la « micropromotion pavillonnaire » : sans étendre l’emprise foncière des maisons existantes, il s’agit d’aider les propriétaires occupants à transformer leur bien pour y aménager un studio, un espace de co-working ou une chambre pour un étudiant.
En Ile-de-France, les 1,4 millions de petits propriétaires ont en majorité plus de 55 ans et plus de 50% des maisons sont occupées par une ou deux personnes seulement qui ont parfois des difficultés à entretenir leur bien. Cette situation en conduit certains à aménager un second logement informel dans leur maison pour récupérer un revenu locatif. C’est cette dynamique qu’il s’agit de faciliter et de rationaliser via des opérations de division parcellaire, de surélévation ou de restructuration, un processus de « densification douce » qui n’altère pas les formes urbaines existantes. L’absence de transaction foncière liée à l’achat d’un terrain permet en outre une économie de 30 à 50% par rapport à une opération immobilière classique.
Pour aller plus loin, Lily Munson propose la création d’un statut de micro-promoteur sur le modèle du micro-entrepreneur : un régime simplifié qui ouvrirait des droits et des devoirs spécifiques pour un meilleur encadrement juridique des opérations et donnerait accès à un fonds d’amorçage qui pourrait proposer des aides de 3 000 à 30 000€ par projet associant un modèle de subventions de 50%, de prêts à taux zéro et de garantie bancaire en fonds propres. Il pourrait également se coupler à une TVA réduite à 5,5% sur le coût de construction sur le modèle des aides en faveur de la rénovation thermique. Un système d’amortissement par défaut (par exemple, X% du montant de l’investissement serait déductible pendant X années des revenus locatifs imposables) pourrait également accélérer le retour sur investissement. Sur le volet règlementaire, diverses simplifications seraient requises (réduction automatique de 50% en matière d’obligation de création de places de stationnement pour des projets relevant du secteur libre, assouplissement des normes PMR ou incendie, trop souvent bloquantes par manque de clarté, dans le respect des objectifs de sécurité des personnes). Le micro-promoteur aurait en contrepartie l’obligation de recourir à un professionnel agréé par l’État (architecte et/ou constructeur) et de s’inscrire dans les objectifs des PLU et de performance énergétique, ainsi que dans le respect des loyers et prix de vente encadrés.
L’étude menée par le cabinet IUDO en 2018, a montré qu’en Ile-de-France, les terrains pavillonnaires, peu denses, présentent en moyenne 100m² de droits à construire en l’état actuel des règlementations ; ce qui constitue un réservoir potentiel de 140 000 000 m² constructibles. Il suffirait d’ajouter un logement de 70m² en moyenne sur seulement 5% des terrains individuels pour atteindre les objectifs métropolitains de 70 000 logements/an issus de la loi sur le Grand Paris.
Afin de concilier différents objectifs ou fonctions du territoire parfois antagonistes avec la lutte contre l’artificialisation, le Comité pour l’économie verte proposait en 2019[10] de mettre en place une « composante artificialisation » dans la taxe d’aménagement, assise sur les indicateurs d’artificialisation dont la recette serait utilisée pour verser une prime d’aménagement durable pour favoriser le renouvellement urbain ou les projets d’aménagement compatibles avec les objectifs fixés dans les SRADDET[11] ou encore la déclinaison locale du zéro artificialisation nette. Afin d’être suffisamment incitatif, ce mécanisme de « bonus-malus » doit assurer de la visibilité aux acteurs de l’aménagement sur le montant des deux composantes et intégrer une évaluation de la qualité des sols considérés et leurs services rendus (voir infra partie 3).

Proposition 3 : Mettre en place des outils fiscaux dont un mécanisme de type « bonus-malus » intégré à la taxe d’aménagement, assis sur des indicateurs d’artificialisation afin de mieux orienter l’aménagement dans un sens compatible avec les objectifs fixés dans les SRADDET.
Proposition 4 : Conditionner les aides publiques à la non-artificialisation et prendre en compte pour ces aides publiques l’ambition des projets à préserver la santé des sols via un indicateur de la santé des sols.

3. Protéger et valoriser les sols en bonne santé

Cette troisième partie s’intéresse aux politiques susceptibles d’intégrer de manière transversale la santé des sols au sein des politiques publiques, et singulièrement aux outils dédiés à la préservation de la matière organique du sol, enjeu pour le puits de carbone et la fertilité des sols.

3.1. La biomasse à la croisée des défis de la décarbonation

Si des compétitions d’usage des sols ont toujours existé, elles vont devenir de plus en plus prégnantes alors que l’on va progresser vers la décarbonation. En dehors des enjeux déjà existants, les sols devront assurer la production de biomasse pour séquestrer de plus en plus de carbone, permettre le bouclage énergétique décarboné et produire des matériaux biosourcés alternatifs aux matériaux carbonés utilisés pour le fonctionnement de l’économie (bois dans la construction par exemple, voir supra encadré 2). La compétition alimentation vs biomasse pour l’énergie a jusqu’ici toujours été arbitrée en faveur de la première : les surfaces dédiées à la production d’énergie ne représentent aujourd’hui qu’entre 4% et 7% de la Surface agricole utile (SAU).
Cependant les besoins en production de biomasse vont s’accroître pour la décarbonation de l’énergie. Atteindre la neutralité carbone implique de mettre fin à l’usage des énergies fossiles qui représentent aujourd’hui 70% de la consommation énergétique française. Si une part importante des usages de l’énergie peut être substituée par de l’électricité (chauffage, véhicules légers, certaines productions industrielles), il reste néanmoins une part importante d’énergie qu’il faudra consommer sous forme liquide ou gazeuse, reposant en partie sur la transformation de la biomasse. Il faudra également être en mesure de substituer la production de matériaux dont la production est nécessairement carbonée (bois plutôt que béton, constructions bois de grande hauteur…).
La capacité de la biomasse non alimentaire à réaliser une part importante de la production d’énergie et de matériaux en 2050 est un pilier de l’atteinte de la neutralité carbone. Cette production de biomasse non alimentaire doit être multipliée par 2 à 2,5 entre 2015 et 2050. Dans le scénario de référence de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), les surfaces dédiées à la production de biocarburants restent inchangées. Pour répondre à ces besoins croissants de biomasse, les surfaces agricoles où alimentation et biomasse (à vocation matériaux ou énergie) seront produites de manière complémentaire devront largement se développer. Ces pratiques sont par ailleurs très positives. Par exemple, assurer le couvert végétal entre deux cultures par des plantations présente de nombreuses externalités positives : stockage du carbone, abris pour la biodiversité, réduction des nitrates dans les nappes, fabrication de résidus végétaux destinés à la méthanisation… Dans le scénario de la SNBC2, les surfaces avec cultures intermédiaires à vocation énergétique (la récolte de biomasse pour l’énergie se fait en complément d’une récolte pour l’alimentation humaine ou animale) représentent près de 15% de la surface agricole utile en 2050.

3.2. La séquestration du carbone nécessaire à la neutralité climatique

Les écosystèmes terrestres français  séquestrent une quantité significative de carbone, dont la partie « anthropique » comptabilisée dans les inventaires d’émissions de la France est d’environ 40 millions de tonnes CO2eq en 2020. Ces flux de carbone sont en réalité faibles par rapport aux 4 à 5 milliards de tonnes de carbone (~ 14,5 à 18,5 GtCO2) stockés par les écosystèmes terrestres français dans la biomasse et les 30 premiers centimètres de sol.
Cette séquestration (aussi appelée puits) est contrebalancée par le déstockage de carbone sur les terres cultivées (13 Mt CO2e) lié au déboisement et à la réduction des surfaces en prairies permanentes au profit des cultures et par l’artificialisation des sols (12Mt CO2e), et un peu moins de 1 Mt CO2e d’émissions sur les zones humides et les barrages. Au total, selon l’inventaire du CITEPA, le secteur des terres[12] absorbait environ 14 MtCO2e en 2020, représentant 4 % des émissions brutes de gaz à effet de serre de la France.
Or la Stratégie nationale bas carbone fixe des objectifs bien supérieurs : une séquestration de 38 Mt CO2 en 2020, 40 MtCO2 en 2030 et 66 Mt CO2 en 2050. Nous sommes donc près de 60% en dessous de l’objectif de séquestration 2020, en raison notamment du dépérissement des forêts liés au changement du climat.
Dans la SNBC, cette augmentation significative de la séquestration carbone est rendue possible grâce à une inversion de la tendance sur les terres cultivées et l’artificialisation des sols (en 2020, le bloc terres cultivées et artificialisation des sols émet environ 25 Mt CO2 ; selon la SNBC, ce bloc au contraire séquestre environ 15 Mt CO2 en 2050, grâce à une artificialisation des sols très réduite et un déploiement de pratiques agricoles favorisant le stockage du carbone dans les sols) et un stockage maintenu dans les forêts et les produits bois. 
Il est donc urgent de mettre en place une politique volontariste et de construire les modèles économiques sur la séquestration du carbone sous toutes ses dimensions : adaptation des forêts au changement climatique, lutte contre l’artificialisation, séquestration du carbone dans les sols et les haies sur les terres agricoles.

3.3. La santé des sols se dégrade

Les sols agricoles fertiles constituent une ressource naturelle qui ne peut se renouveler que très lentement, car leur fertilité́ dépend de propriétés héritées de longs cycles géologiques. Leur préservation implique de lutter contre leur réduction en surface (artificialisation), la dégradation de leur qualité́ (pollutions par les éléments métalliques ou organiques, érosion hydraulique ou éolienne, salinisation dans les zones littorales, diminution de leur teneur en matière organique) voire leur destruction (désertification, glissement de terrain). Ces enjeux sont cruciaux. En Europe, l’érosion liée au ruissellement de l’eau, par exemple, entraine la perte de 2,46 tonnes de terre par hectare et par an (terres agricoles et forêts), alors qu’il ne s’en forme que 1,4 t/ha/an. Au total, en France, l’érosion hydrique concerne 18% du territoire et la moyenne sur les terres arables est de 2,78 t/ha en l’absence de mesures agro-environnementales (couvert végétal permanent, diminution voire suppression du travail mécanique du sol, plantation de haies et d’arbres, actions pour favoriser le retour de la matière organique au sol…), qui sont capables de réduire cet impact de près de 40 %.
Le Groupement d’intérêt Scientifique sur les Sols (GIS SOL) a publié en 2011[13] un rapport détaillé de l’état des sols en France. Les conclusions en sont nuancées : certaines menaces apparaissent aujourd’hui particulièrement prégnantes ou ont parfois déjà̀ provoqué des dommages quasi irréversibles par le passé (érosion, artificialisation, certaines contaminations…). D’autres font l’objet d’inquiétudes ou d’interrogations quant à leur évolution et leurs impacts possibles dans le futur : passé minier et industriel ainsi qu’utilisation d’essence plombée, défrichement pour usages agricoles et intensification de l’agriculture, perte de matière organique et artificialisation.

3.4. Un indicateur de la santé des sols dans les politiques publiques

La fertilité potentielle des sols, leur richesse en biodiversité, leur capacité à réguler le cycle de l’eau et donc à contribuer à l’adaptation au changement climatique sont autant de qualités qui aujourd’hui ne sont pas valorisées. Un propriétaire de terres agricoles qui aura privilégié des projets respectueux de la terre ne sera pas récompensé par une valorisation correspondante de sa terre par exemple. Nombre de politiques publiques, d’initiatives financières, de normes ou de mécanismes volontaires pourraient être infléchies en prenant en compte un critère de santé des sols.
Le Plan biodiversité de 2018 recommandait « le déploiement à grand échelle d’outils de diagnostic qui permettent d’évaluer l’état et le fonctionnement des sols (approche multifonctionnelle) et de guider les acteurs des sols vers le choix de pratiques adaptées et durables ». L’Ademe a identifié un jeu simple d’indicateurs peu coûteux et faciles à mettre en œuvre (20 en milieu forestier et 23 en milieu agricole) et des analyses chimiques et biologiques de routine, pouvant être mobilisés pour un diagnostic des sols agricoles et forestiers… La mention de tels indicateurs dans les transactions foncières ou les baux ruraux (apportant à l’acheteur ou au preneur une information décisive sur la qualité de ce qu’il s’apprête à louer ou acquérir), leur utilisation pour conditionner des aides publiques ou le paiement de services environnementaux ou encore leur mobilisation dans le cadre de la planification territoriale permettraient de déployer à grande échelle le diagnostic de la qualité des sols agricoles et forestiers et de promouvoir activement l’intérêt (notamment patrimonial) d’en prendre soin. C’est pourquoi une batterie d’indicateurs simples devrait être proposée et débattue en amont des travaux des Assises des sols afin qu’une solution praticable et efficace puisse y être soutenue.

Proposition 5 : Adopter un ou des outils de diagnostic et d’affichage de la qualité des sols, en se dotant d’un objectif à dix ans sur la régénération des sols qui sont le plus dégradés.
Proposition 6 : Rendre obligatoire la présentation actualisée de ce diagnostic des sols à chaque transaction foncière ou changement de locataire.

Les sols sont, on l’a dit, le seul milieu naturel qui ne soit pas couvert par une structure ou un organisme public en charge de son suivi et de sa protection (comme c’est le cas pour l’eau, l’air ou la biodiversité…). La connaissance de la qualité des sols, de leurs principales caractéristiques et de leur potentiel est encore parcellaire et fragmentée. Les besoins de connaissance ne sont pas les mêmes pour un agriculteur voulant améliorer son sol et gérer au mieux ses parcelles, un distributeur de produits phytosanitaires qui auront un impact direct positif ou négatif sur la vie du sol, une collectivité locale souhaitant favoriser le développement de projets d’agriculture locale, ou une région qui souhaite mettre en place une gestion stratégique de la réduction de l’artificialisation des sols, en prenant en compte leur fertilité, leur capacité de stockage ou de gestion du cycle de l’eau.
Le GIS sol a pour missions de constituer et de gérer le système d’information sur les sols de France  et de fournir un inventaire cartographique de surveillance des sols. Ce n’est pas une agence et sa fonction n’est pas le suivi de la protection des sols mais simplement la fourniture de données et de connaissance. Il gère notamment le réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS), véritable tableau de bord de la qualité des sols. Le budget de la surveillance des sols s’élève à environ 1 M €/an, soit 4 cts € par Ha de surface agricole utile. Alors que l’intérêt pour les sols est croissant et que différentes politiques publiques nécessitent une information accrue, la surveillance des sols doit être renforcée (composante biologique par exemple). Dans un rapport publié en 2020, le CGEDD et le CGAAER appelaient à poursuivre l’amélioration de la connaissance de la multifonctionnalité́ des sols, à la simplifier pour la rendre accessible aux usagers et au service de politiques d’impact. 

Proposition 7 : Définir un organisme en charge du suivi de la politique des sols, revoir le GIS sols et renforcer les moyens pour disposer d’une surveillance des sols plus complète mais aussi de cartographie plus directement utilisable par les usagers et porteurs de politiques publiques.

Cette production de connaissance doit également s’accompagner d’une démarche de formation, par exemple à destination des professionnels du secteur agricole, des services techniques des collectivités locales, mais également du grand public ou des élus locaux qui ont la responsabilité des politiques d’aménagement du territoire, et doivent concilier les différents enjeux de développement des territoires.

Proposition 8 : Développer la sensibilisation et la formation, et notamment redéployer massivement la politique « tester son sol gratuitement » auprès des exploitants agricoles.

3.5. La certification carbone au service des politiques de séquestration et de la neutralité carbone

Aujourd’hui, le bilan des flux de carbone sur les terres agricoles d’une part et lors du changement d’usage des sols d’autre part, est négatif. Les terres agricoles déstockent du carbone alors qu’au contraire le puits de carbone doit être multiplié par près de cinq d’ici 2050. Le carbone stocké dans les sols constitue en outre un véritable capital naturel : des sols riches en carbone sont des sols dont la biodiversité fonctionne mieux, capables de retenir l’eau et de maintenir leur fertilité. Aujourd’hui, ce capital naturel n’est pas valorisé.
Il existe peu de politiques publiques dont l’objectif principal est d’augmenter le carbone dans le sol. La principale d’entre elles est la certification carbone volontaire, sous le nom de Label bas carbone. Le Label bas carbone doit devenir un instrument structurant des politiques pour atteindre la neutralité carbone, en développant ses moyens de gestion et de gouvernance et en durcissant la règlementation sur les allégations de neutralité carbone (voir infra encadré 4).
Mis en place en 2019 par le Ministère de la transition écologique et ses partenaires, le Label bas carbone permet de certifier des projets de séquestration de carbone et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En certifiant leur impact positif sur le climat, le Label permet de valoriser ces projets auprès d’acteurs publics ou privés souhaitant contribuer financièrement à la lutte contre le changement climatique. La certification s’appuie sur des méthodes sectorielles ou infra-sectorielles.
Développées prioritairement pour les projets agricoles et forestiers, les cinq méthodes approuvées à ce jour sont des méthodes valorisant le stockage du carbone dans les sols par le changement de pratique agricoles ou le reboisement.
Après trois ans d’existence, 264 projets ont été approuvés dans les secteurs agricoles et forestiers, représentant une superficie de 34 000 hectares, et avec plus de 300 agriculteurs et sylviculteurs engagés. Le Label s’est fixé comme objectif de financer une réduction de 1 M de tonnes de CO2 d’ici 3 ans.
Ces trois années d’existence montrent la validité de cette politique qui suscite une vraie appétence des financeurs et des porteurs de projets. Après cette période de lancement, le Label bas carbone entre dans une phase de maturité pour laquelle on peut identifier deux défis.  Comme toute certification carbone ou démarche de compensation, le Label doit mettre les moyens pour assurer l’intégrité environnementale. Comme expliqué dans l’encadré ci-dessous (voir infra Encadré 4), le Label bas carbone a déjà mis en place un certain nombre de garde-fous pour trouver un équilibre entre garantie environnementale et pragmatisme opérationnel pour la certification. Au fur et à mesure qu’il se développe, que les projets s’accumulent et que les porteurs de projet se diversifient, une attention plus importante devra être portée au processus, nécessitant une augmentation des moyens de gestion en particulier pour le développement, la révision et l’évolution des méthodes, la communication ou la facilitation de mise en relation entre offreurs et demandeurs via la mise en place d’une plateforme d’échange. Il pourrait aussi être recherché de valoriser et labelliser les changements de pratiques agricoles plus systémiques avec de multiples cobénéfices (biodiversité, emploi, qualité de l’eau, carbone…) par les filières et les marchés en aval, plutôt que des actions isolées limitées au carbone.
Cette augmentation des moyens pourraient couvrir : une équipe plus étoffée au sein du Ministère en charge de la transition écologique, et des moyens de gestion (à hauteur de 0,6 à 0,8 €/tCO2)[14] budgétaires ou prélevés sur la vente de crédits pour instruire et réviser les méthodes.

Proposition 9 : Renforcer le Label bas carbone en le dotant de moyens de gestion, d’un comité scientifique et avec des moyens pour la révision et l’adoption des méthodes.

Le deuxième défi est de pouvoir passer à une échelle suffisante pour montrer un impact significatif sur l’objectif recherché, à savoir la séquestration du carbone et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En comparaison d’une politique similaire, le dispositif des certificats d’économie d’énergie[15] (CEE) avait déjà dépassé ses objectifs sur la première période (2006–2009) avec au total un volume de 65,5 milliards de kilowattheures cumac (TWh cumac) d’économies certifiées pour un objectif de 54 TWh cumac. Dès la troisième période (2015–2017) l’objectif de certification avait été multiplié par 15 (850 TWh cumac). Cette réussite de la politique des CEE est notamment due au fait que l’émission de CEE repose sur des obligations imposées aux fournisseurs d’énergie et la mise en place de moyens de gestions suffisante.
Initiée par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et reprise dans la loi Climat et résilience, cette obligation de compensation ne porte aujourd’hui que sur le secteur aérien. Pourtant, en 2019, l’Autorité environnementale pointait que sur les 104 dossiers de projets d’infrastructures de transport routier qu’elle avait eu à instruire entre 2009 et 2018, « il n’était presque jamais proposé de mesures d’évitement, de réduction ou de compensation des émissions de gaz à effet de serre ».
Enfin, en même temps que cette obligation s’élargit, le cadre de compensation doit évoluer pour diminuer encore le risque de greenwashing ou de contre-incitations à l’action climatique. L’Ademe soulignait en 2021 le risque de toute approche selon laquelle « un acteur recherche une neutralité carbone arithmétique, c’est-à-dire que les émissions de GES induites par ses activités soient compensées par des émissions réduites ou compensées chez un tiers, peut masquer le fait qu’il existe des leviers d’actions sur son propre périmètre d’activité ».  Le cadre de compensation doit ainsi passer de la notion de « compensation carbone » à la notion de contribution climat et adopter le référentiel proposé par l’initiative « net-zéro ». En interdisant l’addition des réductions d’émissions réalisées sur les processus internes aux entreprises et les financements de réduction d’émissions ou de séquestration chez les tiers, ce référentiel encadre la contribution des organisations à la neutralité climatique planétaire, et laisse une place aux financements de projets certifiés sans prendre le risque de mélanger les séquences « éviter » et « réduire » de la partie « compenser ».

Proposition 10 : Modifier le référentiel pour la compensation pour adopter un cadre de contribution des acteurs à la neutralité climatique et obliger à respecter ce cadre pour la démarche éviter/réduire/compenser des infrastructures.

Encadré 4 – La compensation carbone en question

La compensation carbone est un mécanisme de financement par lequel une personne physique ou morale substitue partiellement ou totalement à une réduction à la source de ses propres émissions l’achat auprès d’un tiers d’une quantité́ équivalente de crédits carbone. Le principe sous-jacent à la compensation carbone est qu’une quantité́ donnée de gaz à effet de serre émise dans un endroit peut être « compensée » par la réduction ou la séquestration d’une quantité équivalente de gaz à effet de serre en un autre lieu.

La compensation carbone est dite volontaire lorsque les acteurs recourent à ce processus sans être soumis à des contraintes règlementaires pesant sur leurs émissions de gaz à effet de serre ou qui souhaitent aller au-delà de leurs obligations.

Lorsqu’elle n’est pas volontaire, les mécanismes de compensation doivent être encadrées par des règles (quelles émissions doivent être compensées ? comment les calculer ? etc.). Qu’elle soit volontaire ou obligatoire, la compensation nécessite d’avoir recours à un mécanisme de certification de projets garantissant la qualité, les réductions d’émissions, etc.

De nombreux débats animent la communauté d’acteurs du climat autour de la compensation carbone. En effet, sans garde-fous, elle peut conduire à :

  • Financer des projets qui auraient de toute façon eu lieu (effet d’aubaine) ;
  • Financer des réductions d’émissions non pérennes (par exemple, une forêt qui serait coupée avant d’arriver à maturité) ;
  • Financer des projets rémunérateurs sur le plan du carbone mais ayant des impacts négatifs sur d’autres enjeux de protection de l’environnement (biodiversité, qualité de l’eau par exemple)
  • Être contre-incitatifs pour les financeurs qui préfèrent financer des réductions d’émissions chez les autres que travailler à la réduction d’émissions sur leur propre périmètre ou innover pour permettre ces réductions, etc.

Ces risques se heurtent néanmoins au constat suivant :

  • Il existe une demande croissante d’acteurs (entreprises, collectivités, administrations) pour financer des projets de séquestration ou de réduction d’émissions de GES, désireux d’entrer dans une démarche de contribution à la décarbonation. Or l’État ne pourra pas financer seul l’ensemble des investissements nécessaires et doit pouvoir canaliser les sources de financement alternatives ;
  • Que ce soit à l’échelle d’une entreprise ou d’une collectivité, même après une démarche active de réduction d’émissions, il reste des émissions dites incompressibles. Si le mécanisme de compensation est appliqué en bout de chaine en respectant la séquence éviter/réduire/compenser, alors il devient totalement pertinent ;
  • Les secteurs agricoles et forestiers ont été pendant longtemps les parents pauvres du financement carbone. Non soumis au système européen d’échange de quotas, ces secteurs disposent de potentiels de réduction ou séquestration d’émissions à faible coût d’abattement[16]. Dans ces secteurs, la certification de projet permet de soutenir des projets pertinents du point de vue de l’action climatique, d’engranger un retour d’expérience (sur les coûts, barrières, etc.) nécessaire pour ensuite envisager une autre forme d’action publique (réglementation ou mécanisme de prix). Elle permet en outre, le cas échéant, d’apporter une source de revenu supplémentaire à des agriculteurs dont l’activité présente de très faibles marges.

Face à cette controverse, on peut dégager quelques garde-fous permettant de diminuer les risques de manque d’intégrité environnementale cités et de saisir les opportunités de développement de projets. On peut distinguer deux types de garde-fous :

Du côté de la certification de projets, le cadre mis en place pour le Label bas carbone par le Ministère de la transition écologique permet de dégager quels principes (repris par I4CE comme recommandations pour le mécanisme européen de compensation) : comptabiliser de manière séparée les réductions d’émissions et la séquestration, imposer des garde-fous sur les autres dimensions environnementales que le carbone, proposer une approche pragmatique introduisant des rabais sur les estimations de réduction d’émissions pour ne pas alourdir les calculs pour les acteurs…

Du côté des règles de compensation, la loi Climat et résilience a introduit pour la première fois un encadrement de la compensation carbone, une obligation de compensation pour les compagnies aériennes (article 147) et un encadrement des allégations de neutralité carbone (article 12) de biens ou services, imposant une transparence totale sur le bilan d’émissions de GES à toute entité souhaitant faire des allégations de neutralité carbone d’un produit ou service.

4. Renouveler la politique foncière agricole

Encadré 4 – La compensation carbone en question
La compensation carbone est un mécanisme de financement par lequel une personne physique ou morale substitue partiellement ou totalement à une réduction à la source de ses propres émissions l’achat auprès d’un tiers d’une quantité́ équivalente de crédits carbone. Le principe sous-jacent à la compensation carbone est qu’une quantité́ donnée de gaz à effet de serre émise dans un endroit peut être « compensée » par la réduction ou la séquestration d’une quantité équivalente de gaz à effet de serre en un autre lieu.
La compensation carbone est dite volontaire lorsque les acteurs recourent à ce processus sans être soumis à des contraintes règlementaires pesant sur leurs émissions de gaz à effet de serre ou qui souhaitent aller au-delà de leurs obligations.
Lorsqu’elle n’est pas volontaire, les mécanismes de compensation doivent être encadrées par des règles (quelles émissions doivent être compensées ? comment les calculer ? etc.). Qu’elle soit volontaire ou obligatoire, la compensation nécessite d’avoir recours à un mécanisme de certification de projets garantissant la qualité, les réductions d’émissions, etc.
De nombreux débats animent la communauté d’acteurs du climat autour de la compensation carbone. En effet, sans garde-fous, elle peut conduire à :

  • Financer des projets qui auraient de toute façon eu lieu (effet d’aubaine) ;
  • Financer des réductions d’émissions non pérennes (par exemple, une forêt qui serait coupée avant d’arriver à maturité) ;
  • Financer des projets rémunérateurs sur le plan du carbone mais ayant des impacts négatifs sur d’autres enjeux de protection de l’environnement (biodiversité, qualité de l’eau par exemple)
  • Être contre-incitatifs pour les financeurs qui préfèrent financer des réductions d’émissions chez les autres que travailler à la réduction d’émissions sur leur propre périmètre ou innover pour permettre ces réductions, etc.

Ces risques se heurtent néanmoins au constat suivant :

  • Il existe une demande croissante d’acteurs (entreprises, collectivités, administrations) pour financer des projets de séquestration ou de réduction d’émissions de GES, désireux d’entrer dans une démarche de contribution à la décarbonation. Or l’État ne pourra pas financer seul l’ensemble des investissements nécessaires et doit pouvoir canaliser les sources de financement alternatives ;
  • Que ce soit à l’échelle d’une entreprise ou d’une collectivité, même après une démarche active de réduction d’émissions, il reste des émissions dites incompressibles. Si le mécanisme de compensation est appliqué en bout de chaine en respectant la séquence éviter/réduire/compenser, alors il devient totalement pertinent ;
  • Les secteurs agricoles et forestiers ont été pendant longtemps les parents pauvres du financement carbone. Non soumis au système européen d’échange de quotas, ces secteurs disposent de potentiels de réduction ou séquestration d’émissions à faible coût d’abattement[16]. Dans ces secteurs, la certification de projet permet de soutenir des projets pertinents du point de vue de l’action climatique, d’engranger un retour d’expérience (sur les coûts, barrières, etc.) nécessaire pour ensuite envisager une autre forme d’action publique (réglementation ou mécanisme de prix). Elle permet en outre, le cas échéant, d’apporter une source de revenu supplémentaire à des agriculteurs dont l’activité présente de très faibles marges.

Face à cette controverse, on peut dégager quelques garde-fous permettant de diminuer les risques de manque d’intégrité environnementale cités et de saisir les opportunités de développement de projets. On peut distinguer deux types de garde-fous :
Du côté de la certification de projets, le cadre mis en place pour le Label bas carbone par le Ministère de la transition écologique permet de dégager quels principes (repris par I4CE comme recommandations pour le mécanisme européen de compensation) : comptabiliser de manière séparée les réductions d’émissions et la séquestration, imposer des garde-fous sur les autres dimensions environnementales que le carbone, proposer une approche pragmatique introduisant des rabais sur les estimations de réduction d’émissions pour ne pas alourdir les calculs pour les acteurs…
Du côté des règles de compensation, la loi Climat et résilience a introduit pour la première fois un encadrement de la compensation carbone, une obligation de compensation pour les compagnies aériennes (article 147) et un encadrement des allégations de neutralité carbone (article 12) de biens ou services, imposant une transparence totale sur le bilan d’émissions de GES à toute entité souhaitant faire des allégations de neutralité carbone d’un produit ou service.
En dehors de la menace de l’artificialisation, la terre agricole traverse et traversera des mutations essentielles.  Ces dix dernières années, 80 000 emplois agricoles ont été détruits et un cinquième des fermes a disparu.
Les dix prochaines années verront cette tendance s’amplifier : près d’un quart des paysans vont partir à la retraite d’ici 2030 libérant près de 5 millions d’hectares, souvent avec le projet de valoriser leur patrimoine foncier plutôt que de louer leurs terres. Or aujourd’hui une ferme sur trois seulement est transmise avec maintien de l’activité. Face au recul des transmissions familiales, une relève émerge, qui n’est pas toujours issue du milieu agricole, mais l’installation de ces nouveaux venus rencontre de nombreux obstacles : coût de prospection (trouver une ferme qui corresponde au projet poursuivi), coûts d’installation (acquisition de la terre, équipements, endettement, etc.). Inversement, la reprise par agrandissement de fermes déjà viables ne présente pas les mêmes inconvénients, mais elle n’offre pas non plus les mêmes opportunités de réorientation des pratiques culturales…
Les millions d’hectares bientôt libérés constituent une opportunité pour réorienter le modèle agricole. La transition écologique du secteur nécessitera en effet un accroissement de l’emploi agricole et sera d’autant facilitée que les exploitations ne continueront pas à s’agrandir, rendant ainsi plus aisée l’installation de nouveaux acteurs mais aussi permettant le déploiement de projets agroécologiques à taille humaine et l’installation de personnes non issues du milieu agricole.

Proposition 11 : Revoir le dispositif d’aides à l’installation et les conditionner selon l’ambition agroécologique des projets d’installation

La politique foncière française, outil structurel de politique publique d’accompagnement du secteur agricole, nécessite d’être rénovée pour s’adapter aux enjeux de libération massive du foncier dans les 10 années à venir et aux nécessités de la transition écologique du secteur agricole. Dans les années 1960, la France s’est dotée de deux outils complémentaires de politique foncière : le contrôle des structures et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Ces deux outils ont permis de ralentir la disparition des fermes et ont limité le renchérissement des prix des terres agricoles, mais doivent aujourd’hui faire face à des stratégies de contournement, à une financiarisation de plus ne plus importante des marchés fonciers ou doivent favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’agriculteurs non issus du milieu agricole.

Proposition 12 : Renforcer les moyens d’action des services publics et rénover la Gouvernance des terres agricoles afin de s’adapter aux évolutions du marché foncier et de la profession agricole.

Cette nouvelle politique foncière doit permettre aux propriétaires fonciers et aux occupants de valoriser le carbone stocké dans les sols, voire la préservation de la santé de leurs sols par des pratiques plus responsables.
S’il existe aujourd’hui des politiques publiques qui valorisent les bonnes pratiques en matière de séquestration du carbone dans les sols, il n’existe en revanche pas de politique destinée à préserver le capital constitué par le sol en bonne santé et riche en carbone, et à pénaliser la destruction de ce capital. Pourtant ce carbone stocké pour une longue durée de vie peut représenter un capital financier important. Par exemple, pour un fermier s’installant en 2022 sur une surface de 35 Ha dont le terrain est acheté à 200 000 €, la mise en place d’une pratique stockante retirant 736 kCO2eq/ha/an de l’atmosphère (de type extension des cultures intermédiaires) permettrait de stocker en 8 ans 206 t CO2eq ; valorisé à la valeur de l’action pour le climat[17], cela représente 13% de la valeur du terrain en 2022 (en euros constants) toutes choses égales par ailleurs, et plus de 50% en 2040.
Ce calcul simple permet d’estimer la valeur (du point de vue de la collectivité) du service de séquestration de carbone du fait de pratiques agricoles pertinentes, rapportée au prix du foncier. Afin d’inciter financièrement au déploiement de ces pratiques, des outils de paiements pour services environnementaux (PSE) pourraient venir rémunérer les exploitants, par exemple au titre du carbone séquestré par de la finance carbone volontaire.
Si cette rémunération doit en priorité permettre le développement de pratiques vertueuses par les exploitants (changement de pratiques d’exploitants déjà en place, installation de nouveaux exploitants avec un projet d’agriculture de conservation ou agroécologique), elle soulève une question plus large : comment les pratiques qui préservent la qualité des sols, l’activité biologique, leur résistance à l’érosion et qui stockent du carbone, se capitalisent dans le sol et donc dans le foncier ?
Terra Nova propose de permettre ou faciliter le développement de foncières privées de portage de terres agricoles, dont le capital serait rémunéré par le carbone séquestré[18]. On pourrait aussi envisager que les propriétaires fonciers agricoles et forestiers soient soumis à des obligations de suivi carbone. En Nouvelle-Zélande par exemple, les propriétaires forestiers sont soumis au marché d’échanges de quotas carbone. Si une terre est soumise à un changement d’usage (déforestation par exemple), les propriétaires doivent rendre les crédits correspondant au carbone stocké dans la biomasse. Ce type de schéma pourrait être développé en France, sans attendre l’extension du marché ETS au secteur agricole et forestier et en incluant le carbone du sol.
Néanmoins cette prise en compte du carbone séquestré dans la valeur foncière suscite un débat entre les acteurs :

  • Des modèles de paiements pour services environnementaux pour la préservation de la qualité et régénération des sols doivent favoriser une approche multidimensionnelle tant les services rendus par les sols sont multiples ; dans une première approche, un système centré sur le carbone des sols accompagné de garde-fous sur les autres dimensions environnementales pourrait constituer une approche opérationnelle ;
  • La qualité des sols d’une parcelle est dépendante de l’historique de cette parcelle mais aussi des pratiques sur les parcelles voisines (érosion, pollution notamment), ce qui rend difficile d’objectiver l’effet de pratiques par la seule mesure d’indicateurs carbone sur une parcelle. Une piste d’objectivation pourrait être d’avoir des mesures de contrôle sur un périmètre plus large que la parcelle considérée.
Proposition 13 : Faciliter le portage du foncier et des exploitations par des fonds publics ou privés

D’une manière plus générale et encore spéculative, la transition écologique impliquera certainement dans les années qui viennent une révision du droit de la propriété foncière. Comme le proposaient Pascal Canfin et Thierry Pech récemment, « Il serait utile de faire en sorte que le droit de propriété s’accompagne d’un devoir de protéger les utilités écologiques du sol » : « Ne faut-il pas convenir que les services écosystémiques procurés par l’environnement forment une propriété collective qui ne peut être livrée à la seule discrétion du propriétaire privé ou de son locataire ou preneur? Quelle qu’en soit la forme, nous avons besoin de mettre en place les éléments d’un contrôle d’usage des sols. »[19]
La vérité est que nous en sommes encore très loin. Dans notre tradition juridique, la propriété foncière repose sur un principe simple : le propriétaire est le maître exclusif de ses biens. Il peut jouir a) de leur fruit (fructus) : loyers, revenus divers, récoltes, etc. ; b) de leur usage (usus) : habitation, cultures, agrément, etc. ; c) de leur disposition (abusus) : cession, transformation, détérioration… Le propriétaire foncier est en outre réputé propriétaire « du dessus et du dessous », c’est-à-dire de la surface comme des tréfonds et des richesses qu’ils pourraient receler (art. 552, al. 3 du Code civil). Enfin, le droit de propriété (du sol comme des autres biens) est reconnu comme l’un des droits fondamentaux de la personne humaine et protégé à ce titre par les grandes conventions internationales.
Bien sûr, quelques limites ont été prévues : le code civil napoléonien (1804) précise que des « lois et règlements » peuvent prohiber certains usage. De même, le Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme justifie l’expropriation « pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Ces réserves n’affectent cependant pas fondamentalement le régime ordinaire de la propriété qui demeure, dans son essence, un droit individuel, subjectif et libéral.
Avec le développement du droit de l’environnement sous la pression du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de leurs conséquences, ce droit est cependant de plus en plus questionné par la jurisprudence. Selon le Conseil constitutionnel, la Charte de l’environnement – intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005 – comporte une limitation du droit de propriété dans la mesure « où chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité »[20]. Dans un arrêt de 2007, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) souligne que « des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux comme le droit de propriété ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à l’environnement »[21]. Dans un arrêt du 17 février 2011, le Conseil d’Etat affirme que le régime des « espaces boisés classés » restreint l’exercice du droit de propriété dans le but de protéger l’intérêt général[22].
Le législateur lui-même a introduit des limites et réserves nouvelles : le code de l’environnement dispose que « les espaces, les ressources et milieux naturels, les sites et les paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques » font partie du patrimoine de la nation française (art. L. 110–1) ; la loi du 30/12/2017 mettant fin à l’exploitation des hydrocarbures prive définitivement les propriétaires des richesses de leurs tréfonds ; la  loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages en 2016 crée une obligation réelle environnementale (ORE) permettant aux propriétaires qui le souhaitent de faire naître une obligation de protection ou restauration de la biodiversité sur leur bien (voir encadré ci-après).

Encadré 5 – L’Obligation réelle environnementale

L’obligation réelle environnementale (ORE) est un dispositif volontaire créé en 2016. L’ORE est attachée au bien et s’impose ainsi à tous les propriétaires successifs pendant la durée de la validité de la convention (jusqu’à 99 ans). Une ORE peut être déployée à des fins de compensation de perte de biodiversité (pour un projet d’aménagement par exemple).

Au 31 décembre 2019, on comptait 12 contrats signés pour une durée moyenne de 65 ans. Cet essor limité des ORE à visée patrimoniale semble en partie dû à un temps d’appropriation nécessaire mais également à des craintes sur la possible perte de valeur du bien immobilier. Plusieurs dispositifs incitatifs ont été mis en place pour renforcer l’attractivité des ORE.

Du point de vue de la protection de l’environnement, le dispositif présente encore plusieurs faiblesses : le propriétaire est totalement libre de définir les obligations qu’il souhaite s’imposer et un propriétaire dont la terre est sous fermage ne peut s’engager dans une ORE sans accord explicite du fermier. Mais la mise en place d’une ORE sur un terrain peut créer une obligation sur le long terme et donc avoir un effet sur son affectation.

Encadré 5 – L’Obligation réelle environnementale
L’obligation réelle environnementale (ORE) est un dispositif volontaire créé en 2016. L’ORE est attachée au bien et s’impose ainsi à tous les propriétaires successifs pendant la durée de la validité de la convention (jusqu’à 99 ans). Une ORE peut être déployée à des fins de compensation de perte de biodiversité (pour un projet d’aménagement par exemple).
Au 31 décembre 2019, on comptait 12 contrats signés pour une durée moyenne de 65 ans. Cet essor limité des ORE à visée patrimoniale semble en partie dû à un temps d’appropriation nécessaire mais également à des craintes sur la possible perte de valeur du bien immobilier. Plusieurs dispositifs incitatifs ont été mis en place pour renforcer l’attractivité des ORE.
Du point de vue de la protection de l’environnement, le dispositif présente encore plusieurs faiblesses : le propriétaire est totalement libre de définir les obligations qu’il souhaite s’imposer et un propriétaire dont la terre est sous fermage ne peut s’engager dans une ORE sans accord explicite du fermier. Mais la mise en place d’une ORE sur un terrain peut créer une obligation sur le long terme et donc avoir un effet sur son affectation.
Ces multiples limitations du droit de propriété signalent la nécessité de renégocier son étendue et son autorité au regard des impératifs environnementaux et, singulièrement concernant les sols, de leurs propriétés biologiques et écosystémiques. Au terme de ce processus, qui ne fait sans doute que commencer, il faudra sans doute imposer de nouveaux devoirs aux propriétaires au nom de l’intérêt du collectif. C’est du reste ce que prévoit d’ores et déjà la Loi fondamentale allemande de 1949 : « Propriété oblige. Son usage doit contribuer en même temps au bien de la collectivité » (art. 14).
Comme l’écrit le juriste Benoît Grimonprez, « Le droit de l’environnement, à travers la notion de ‘patrimoine commun’, a plus encore détruit le mythe de l’exclusivité du droit de propriété »[23]. Selon lui, « cette déclinaison nouvelle du patrimoine (ensemble complexe, inaliénable et indivisible) témoigne d’une emprise directe de la collectivité sur les choses, concurremment avec les droits de propriétaires privés »[24]. Toujours selon lui, les normes environnementales « ne vont faire qu’accentuer un phénomène bien connu : la socialisation de la propriété. Elle implique que seules seront, à l’avenir, protégées ses expressions compatibles avec la nécessaire transition de l’économie »[25].
Cette discussion qui n’en est encore qu’à ses débuts devra harmoniser la définition légale de la propriété de la terre avec sa réalité scientifique (base du vivant, du développement de la biodiversité et ressource commune de l’humanité). La politique du foncier qu’il va falloir mettre en place devra ainsi s’inscrire dans un cadre juridique nouveau protégeant à la fois le droit à la terre (contre l’accaparement des surfaces productives et la concentration des ressources par quelques-uns au détriment de la « relève ») et le droit de la terre (reconnaissant et protégeant ses ressources et propriétés écosystémiques) comme le soulignent plusieurs auteurs[26].
La propriété n’est d’ailleurs pas seule en cause. Cette révolution juridique du foncier devra également toucher le droit des baux ruraux soumis au statut de fermage. Pour le moment, celui-ci protège le fermier et lui assure une liberté presque totale d’exploiter le fonds comme bon lui semble. Les qualités écologiques des terres louées sont ignorées et leur mauvaise gestion environnementale rarement sanctionnée en dehors de cas limite (suppression sans autorisation d’éléments naturels comme des arbres ou des haies…). L’introduction de clauses environnementales dans le bail – possible depuis peu – reste exceptionnelle et limitée à des cas très précis (réservée à certaines zones, certains types de bailleurs ou à des pratiques préexistantes). A minima devra-t-on étendre la liberté contractuelle en la matière à la possibilité de stipuler des clauses environnementales dans les baux[27].

Proposition 14 : Lancer une réflexion sur l’évolution du droit du foncier et le droit des baux ruraux

[1] L’autrice remercie Dominique Bureau (Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires), Valentin Bellassen (INRAE), Adeline Favrel (I4CE), Tanguy Martin (Terre de liens), Isabelle Feix (Ademe) et Julien Demenois (CIRAD) pour les entretiens qu’ils lui ont accordés, ainsi que Karl Pincherelle, Sébastien Treyer, Mathias Ginet, Baptiste Perrissin-Fabert, Jérôme Mousset et Anaïs Maillet pour les conseils qu’ils lui ont prodigués. Les analyses et propositions présentées dans cette note ainsi que les erreurs qu’elle pourrait comporter ne les engagent bien sûr nullement.
[2] Source : Étude 4pour1000, INRA
[3] Production agricole par travailleur
[4] Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde, Editions du Seuil, 1997, p. 501.
[5] Annoncé dans le Plan biodiversité de juillet 2018, l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 a été fixé dans la loi Climat et résilience, assorti d’un objectif de division par 2 du rythme d’artificialisation et des moyens pour y parvenir. Il reste encore néanmoins beaucoup à faire pour construire un cadre cohérent et suffisamment incitatif.
[6] La loi européenne sur le climat et le paquet « Fit for 55 » introduisent de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 qui ont un impact sur la trajectoire de réduction des émissions territoriales de la France. Ce paquet pourrait se traduire en un objectif de réduction des émissions territoriales de –50% en 2030 par rapport à 1990 (contre –40% actuellement dans la loi) et un puits de carbone à –34 MtCO2 en 2030.
[7] Comité pour l’économie verte, « Les instruments incitatifs pour la maîtrise de l’artificialisation des sols », https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Les%20instruments%20incitatifs%20pour%20la%20maîtrise%20de%20l%27artificialisation%20des%20sols.pdf
[8] « Zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols ? », France stratégie, octobre 2019, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-dt-zero-artificialisation-nette-octobre-2019.pdf
[9] Les CDPENAF ont le pouvoir d’émettre un avis, au regard de l’objectif de préservation ENAF, sur l’opportunité de certaines procédures d’urbanisme.
[10] Le Comité pour l’Économie Verte (CEV), présidé par Dominique Bureau, réunit les autorités et parties prenantes concernées par les enjeux de la fiscalité de l’énergie, de l’économie circulaire, de l’eau et de la biodiversité, ainsi que par l’ensemble des outils économiques permettant, en complément des leviers budgétaires et réglementaires traditionnels, de favoriser la transition énergétique et écologique.
[11] Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
[12] Secteur dit UTCATF pour Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et forêts
[13] Ce n’est que récemment, avec la création du Réseau de Mesure de la Qualité́ des Sols (RMQS) en 2000, qu’une première cartographie de l’état des sols de France a pu être réalisée grâce à un échantillonnage de plus de 2200 sites répartis sur l’ensemble du territoire (Métropole et Outre-mer). Après cette première campagne, un rapport détaillé a été publié par le Groupement d’intérêt Scientifique sur les Sols (GIS SOL).
[14] La littérature estime dans une fourchette de 0,5 à 0,8 € par tonne de CO2 le MRV des mécanismes de projet, dont en moyenne 25% pour la vérification qui est déjà à la charge des porteurs de projet. On pourrait donc estimer que la gestion du Label bas carbone à hauteur e 0,6 € par tonne de CO2, soit 200 000 € par an, et d’assurer la progression des équipes suffisamment dotées au sein du MTE pour suivre l’accroissement du nombre de projets.
[15] Créé par la loi n° 2005–781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE), le dispositif des CEE constitue l’un des principaux instruments de maîtrise de la demande énergétique. En effet, ce dispositif repose sur une obligation triennale de réalisation d’économies d’énergie en CEE (1 CEE = 1 kWh cumac d’énergie finale) imposée par les pouvoirs publics aux fournisseurs d’énergie (les « obligés »). Ceux-ci sont ainsi incités à promouvoir activement l’efficacité énergétique auprès des consommateurs d’énergie : ménages, collectivités territoriales ou professionnels.
[16] Le coût d’abattement est le coût d’une solution de décarbonation rapporté au volume d’émissions évitées.
[17] La valeur de l’action pour le climat mesure la valeur pour la collectivité des actions permettant d’atteindre l’objectif de neutralité carbone ; estimée à 250 €/tCO2e en 2030.
[18] Terra Nova, « Souveraineté alimentaire et transition écologique : un projet pour l’agriculture française », février 2022, https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/souverainete-alimentaire-et-transition-ecologique-un-projet-pour-lagriculture-francaise/
[19] Pascal Canfin et Thierry Pech, Gouverner la transition écologique, Terra Nova, 2 novembre 2021.
[20] Conseil Constitutionnel, 8/04/2011, n° 2011–116 QPC§5.
[21] CEDH, 27/11/2007, Hamer c/ Belgique.
[22] Conseil d’Etat, 17/02/2011, M. Raymond Dore.
[23] B. Grimonprez, « Le droit de propriété à l’ère du changement climatique. Le changement climatique : quel rôle pour le droit privé ? », Dalloz, 2019.
[24] B. Grimonprez, « La fonction environnementale de la propriété », Revue trimestrielle de droit civil, Dalloz, 2015.
[25] B. Grimonprez, « Le droit de propriété à l’ère du changement climatique », art. cité.
[26] Dominique Potier, Pierre Blanc, Benoît Grimonprez, La terre en commun. Plaidoyer pour une justice foncière, Fondation Jean Jaurès, juin 2019.
[27] Sur ce sujet, voir Antoine de Lombardon et Benoît Grimonprez, « Les freins juridiques à la transition agro-écologique », Pour, 2018/2–3 (N° 234–235), p. 279–285.
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