Rentrée scolaire 2022 : pourquoi être prof ne fait plus rêver – La Vie

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• MYRIAM TIRLER/HANS LUCAS
Chute du nombre de candidats aux concours, postes non pourvus, démotivation… Il semble loin le prestige des hussards noirs de la République. « On ne compte plus les raisons d’être en colère, lance Jérémie Fontanieu, professeur à Drancy (Seine-Saint-Denis), l’absence de reconnaissance matérielle et symbolique, les conditions de travail, les réformes à répétition, la logique de réduction des coûts, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux depuis 15 ans… »
Ceux qui s’y lancent tombent de haut. « Souvent, on devient prof par idéal, confirme Alexandra, 30 ans, or la réalité est très différente de notre représentation enfantine du métier ! Les programmes ont changé, les élèves aussi, les parents n’ont plus confiance dans l’institution… Il faut se justifier de sa méthode d’apprentissage. » Selon le bilan social 2020-2021, 3,2 % enseignants stagiaires ont rendu leur tablier, contre 1 % dix ans auparavant.
« Le problème d’attractivité du métier d’enseignant touche quasiment tous les pays européens, précise Éric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En France, une revalorisation salariale pour tous est nécessaire, sans contrepartie, pour compenser la perte d’un pouvoir d’achat qui chute depuis 25 ans. Malgré les efforts récents du gouvernement, les débutants gagnent 8 à 10 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et le salaire à 10 ans d’ancienneté est de 15 à 20 % inférieur. »
Mais le moindre coup de pouce qui, à titre individuel, semble dérisoire, n’est pas sans répercussion à l’échelle nationale. Telle la prime d’équipement informatique pour les professeurs qui n’ont pas de poste de travail fixe, introduite en février 2021, d’un montant de 150 € net : une mesure qui pèse 179 millions d’euros. La progression salariale est également trop lente après 15 ans, poursuit l’analyste : « Elle devrait s’améliorer, pourquoi pas cette fois-ci en échange de contrepartie : formation continue (actuellement sur la seule base du volontariat dans le second degré), participation à certains dispositifs tels Devoirs faits. »
Auteur du rapport « Crise d’attractivité du métier d’enseignant » présenté le 9 juin 2022, le sénateur LR Gérard Longuet milite même en faveur d’une rémunération différenciée : « L’État devrait tenir compte de l’offre et de la demande : un bon prof à Clichy-sous-Bois est plus précieux qu’un prof à Henri-IV, où les candidats sont nombreux… Des indemnités pourraient être liées aux disciplines qui peinent à recruter, ainsi qu’à certains territoires afin de compenser leur faible attractivité géographique. »
Une revalorisation salariale suffira-t-elle à endiguer la pénurie ? À la session 2022, selon le ministère, 8 265 candidats ont été admis aux concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE), quand 9 951 postes étaient offerts. Au niveau national, le taux de postes pourvus dans le premier degré, après concours, est de 83,1  % alors qu’il était de 94,7 % en 2021. Pour le second degré, le taux de couverture, hors listes complémentaires, se situe à 83,4 %, alors qu’il était de 94, 1 % en 2021.
Outre les lettres classiques et l’allemand, plusieurs disciplines peinent à recruter : en physique-chimie, seuls 66, 7 % des postes sont pourvus (contre 80 à 100 % durant les trois années précédentes) ; en mathématiques 68,5 % (contre 84 à 92 %) ; en lettres modernes 83,5 % (contre 98 à 100 %). Les académies de Créteil, Versailles et Paris manqueront particulièrement d’enseignants. Pourtant, pour devenir professeur des écoles, le seuil d’admissibilité au concours, était cette année à 5,45/20 dans l’académie de Créteil, 7 dans celle de Versailles. 
Le métier souffre aussi de conditions d’enseignement dégradées. « On apprend de moins en moins, regrette Jean, qui enseigne avec bonheur depuis 40 ans, non loin de Dijon. Les heures ont fondu. Jusqu’en 1974, notre obligation de service était de 26 h en présence d’élèves. On est à 18 h aujourd’hui… En 6e, je dois traiter l’Égypte en 4 ou 5 h. » Or le programme, lui, reste ambitieux. Idem en français, où il n’y a plus que 4 h hebdomadaires, contre 7 h il y a 15 ans, de la 6e à la 3e. « J’ai du mal à terminer les séquences, déplore Agnès, professeure de lettres depuis 15 ans, l’impression de tout survoler, c’est très frustrant. En 6e, j’ai passé 7 à 8 h sur le participe passé, simplement pour le reconnaître, et seuls trois l’ont acquis ! » Pour beaucoup, terminer le programme est devenu illusoire.
Tous remettent en cause une logique de réduction des coûts : classes surchargées (jusqu’à 36 au lycée !), manque d’accompagnants. « Nous manquons de maîtres spécialisés, d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap, ndlr), de psychologues, d’assistantes sociales, de médecins et d’infirmières scolaires. Alors, c’est à nous de tout faire ! », s’agace Maylis Turlay, connue par son compte Twitter « Madame Maïs », suivi par 19 000 abonnés, qui vient de « raccrocher ».
Dans ce domaine, différentes pistes pourraient être esquissées. Éric Charbonnier cite ainsi l’exemple du Portugal. « Si ce pays connaît aussi une crise d’attractivité du métier (avec des conséquences moindres du fait de son taux de natalité le plus bas d’Europe), il avait réussi à améliorer son système entre 2000 et 2010, notamment par une réflexion politique de réduction des inégalités associant municipalités, acteurs sociaux et familles. Car l’échec scolaire a aussi des causes externes à l’école. Des éducateurs sociaux sont venus au sein des classes, par exemple, afin d’épauler les enseignants dans leur gestion, sans pour autant les remplacer. »
En France, les enseignants souffrent aussi d’un système centralisé et hiérarchisé. Jeune retraité de l’Éducation nationale où il a réalisé toute sa carrière, de professeur remplaçant à chef d’un établissement public à Tours, Hervé de Tonquédec a connu l’invasion des tâches administratives. « Les directives ministérielles et académiques sont parfois envahissantes, contradictoires, inopérantes, ou déconnectées du terrain… » De plus, les perspectives de mobilité et d’évolution de carrière s’avèrent réduites. Sauf exception : prof depuis cinq ans, Alexandra a choisi de devenir enseignante spécialisée à dominante pédagogique, afin d’intégrer une équipe des Réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased).
Autre sujet qui fâche : l’inclusion. « Cet argument est pernicieux, martèle Maylis Turlay. Bien sûr que nous y sommes tous favorables, à condition d’en avoir les moyens. En réalité, j’y vois un prétexte pour faire des économies. Le réseau prioritaire a été démantelé ; sous couvert d’éducation positive, on ne fait plus redoubler. Des enfants passent, alors qu’ils n’en ont pas les compétences. Certains sont à peine lecteurs en CM1 ; on les pousse à l’échec. C’est de la maltraitance ! »
L’établissement de 115 collégiens où Jean exerce a ainsi accueilli jusqu’à 36 élèves dits « à besoins particuliers » (handicap, troubles de l’attention, de l’apprentissage, du comportement), sans aucune AESH ! « Faute de médecin scolaire, le diagnostic des orthophonistes n’est pas confirmé. Dans le doute, on multiplie les plans d’accompagnement personnalisé, les tiers-temps aux évaluations, les dictées à trous ; certains sont dispensés de prise de notes ou de langue vivante… » Et la litanie se poursuit au lycée, enchaîne Sabrina, professeure de mathématiques à Bordeaux : « Il y a 20 ans, je prévoyais un même cours pour tous. Aujourd’hui, je prépare deux ou trois niveaux différents par heure ! Pour l’un, je dois imprimer en Arial 16, d’autres ont des barèmes différents pour la notation. »
En arrêt maladie depuis janvier 2022 pour épuisement professionnel, Joëlle souligne la solitude de l’enseignant. « J’étais démunie pour gérer un groupe de 25 enfants en maternelles, dont deux sans AESH, l’un au vécu difficile, placé en famille d’accueil, l’autre relevant du spectre autistique, sujet à des crises quotidiennes durant lesquelles il tapait tout ce qui lui tombait sous la main. » Une psychologue scolaire est venue… une heure en classe, le matin, quand l’enfant était encore calme. Puis ce fut le défilé : inspectrice, équipe mobile composée d’une psychologue et d’une éducatrice, conseillers pédagogiques. « Je me suis sentie davantage surveillée qu’aidée. J’avais prévu toute une progression en Montessori ; il m’a été demandé de revenir à un enseignement plus classique et de “changer de regard sur ces deux élèves”… »
Certains remettent en cause l’efficacité même de l’école. À l’unanimité, ils accusent ainsi l’abandon du redoublement depuis 15 ans. « Qu’il travaille ou pas, l’élève sait qu’il passera et qu’il obtiendra son examen ; comment voulez-vous le motiver, interroge Sabrina. Il y a 20 ans, 25 % des élèves redoublaient la seconde. Aujourd’hui, plusieurs élèves par classe arrivent au lycée sans avoir obtenu le brevet, avec de graves lacunes, ne sachant pas additionner des nombres relatifs. C’est trop peu de dire que nos classes sont hétérogènes ! » Et pourtant, ils passeront en classe supérieure.
« Les compétences n’ont pas de sens, elles font croire aux élèves qu’ils ont un niveau satisfaisant alors qu’ils sont illettrés ! Ce système est devenu totalement hypocrite », s’insurge Clémence, prof d’histoire au collège depuis 15 ans. Mêmes réticences au sujet du contrôle continu : « Il a faussé l’évaluation, accuse la prof de maths. On surévalue dans toutes les matières et à l’examen… c’est du grand n’importe quoi ! » De l’aveu même d’un professeur, cinq élèves de sa classe de 3e dont il était le principal n’auraient pas dû avoir le brevet. Mais afficher 100 % de réussite plutôt que 78 % vaut bien un petit effort de « bienveillance »… Les parents de Bastien en savent quelque chose, qui ont dû batailler pour que leur fils redouble en raison de son 6 de moyenne générale annuelle. Comme il avait eu le brevet, son principal refusait.
Jean tacle pour sa part la notation des épreuves au bac : « Chaque copie est corrigée par deux profs et la moyenne des deux notes est retenue. Mais à l’inspection académique, en fonction de la notation nationale, la commission d’enseignants chargée d’harmoniser peut ajouter un à deux points ! Autant faire travailler des robots ou donner d’office 14 à tous les candidats », bougonne-t-il.
Sabrina résume bien le malaise du corps enseignant : « Nous nous sentons mal, car nous contribuons à ce système où personne n’est gagnant. Nous savons que nous envoyons les élèves au casse-pipe. Ils n’ont plus aucun signe avant-coureur de leur niveau réel. » Une situation qui accentue les inégalités, les élèves favorisés pouvant bénéficier de cours particuliers. Le couperet finit par tomber, comme l’illustre le taux d’échec en première année de supérieur : Emmanuel Macron avait évoqué le 13 janvier 2022 un « formidable gâchis », seule la moitié des étudiants se présentant aux examens. « En Suède, un élève moyen en maths peut pourtant intégrer une université scientifique, nuance l’analyste de l’OCDE, et obtenir une licence en quatre ans au lieu de trois, après une année de remise à niveau. »
Le mal-être des jeunes grandit. Agnès, qui travaille dans un collège public de 800 élèves près de Chambéry (Savoie), énumère les difficultés déjà présentes avant la crise du Covid : « Un enfant sur deux a des parents séparés, il est souvent livré à lui-même et derrière les écrans. Il peine à se concentrer. La lecture est quasiment inexistante au sein des familles, même de classe moyenne. » Le confinement n’a rien arrangé. Insomnies, dépressions… aujourd’hui, un nombre croissant de lycéens prennent des somnifères ou des antidépresseurs. Ingrid, qui enseigne la philosophie en Normandie, en témoigne : « On reçoit un courriel pour prévenir qu’Untel en phobie scolaire ne doit pas être évalué, que tel autre ne doit pas être interrogé à l’oral, sinon il risque de faire une crise. Cette année, trois élèves par semaine faisaient un malaise. »
« La pandémie sanitaire a laissé place à une pandémie du stress qui touche aussi bien les jeunes que les adultes », relève Florence Rizzo, cofondatrice de l’association Synlab qui a lancé la plateforme gratuite d’accompagnement « Être profs ». Son enquête sur la « santé mentale à l’école » (réalisée en mai et avril 2022 auprès de 1056 enseignants), révèle ainsi que 38 % des enseignants se sentent, au moins une fois par semaine, émotionnellement vidés par leur travail. Ils ressentent aussi difficilement la désinvolture des parents et l’absentéisme croissant des élèves. Le collège public rural isérois où Clémence enseigne a ainsi reçu une demande d’aménagement pour un enfant « qui s’ennuie mortellement dans toutes les matières, sauf en maths et en anglais » (sic). Et la mère de suggérer qu’il ne suive que ces deux matières. « C’était impensable il y a trois ans ! Tout comme ces départs en vacances le 17 juin parce que la location est moins chère… » À cela s’ajoute le « coup de grâce » de la réforme du bac et du lycée.
Des idées pour rendre le métier plus enthousiasmant, ils en ont à la pelle. Sabrina résume : « Avoir les moyens d’une réelle différenciation, repenser la distribution du budget, réduire les effectifs par classe, quitte à diminuer les horaires de cours afin de rester dans l’enveloppe globale (mieux vaut 3 heures à 24 que 4 heures à 36), laisser la surveillance des devoirs aux assistants d’éducation (AED), ce qui permettrait de dégager du temps pour les professeurs, qu’ils pourraient consacrer à l’orientation… »
S’ils expliquent sans peine le peu d’attrait de leur métier, ils se montrent aussi prolixes sur sa beauté. « Je n’aimerais pas changer, assure Agnès, par exemple devenir conseillère pédagogique ou avoir un poste d’encadrement. Ce qui me plaît et me porte, ce sont les échanges avec les élèves. En littérature, contrairement à d’autres matières, le programme du collège nous laisse une réelle marge de manœuvre, on peut choisir les œuvres. J’aime cette créativité. » Ingrid approuve : « On est dans l’humain, et cette qualité ne pourra pas disparaître. Les élèves sont reconnaissants d’apprendre. »
Dans l’École de la réconciliation (Les liens qui libèrent), Jérémie Fontanieu relate la genèse du projet Réconciliations qu’il a lancé avec un collègue, dans le cadre de la liberté pédagogique. « Cette méthode d’alliance éducative avec les parents vise à réduire les inégalités scolaires. Nous refusons de subir, d’être spectateurs de l’échec de nos élèves et de notre système éducatif. »
Cette année, une quarantaine de profs à travers la France adoptent cette méthode. Comme eux, nombre d’enseignants déploient des projets innovants : cordées de la réussite, atelier Sciences Po, théâtre, radio, script de film, projet musical et tournée à l’international… Un enthousiasme qui bénéficie à tous, ainsi que le souligne la prof de philo âgée de 45 ans : « Je garde aussi la flamme grâce à mes jeunes collègues motivés, zélés, qui ne comptent pas leurs heures et parviennent à monter des projets incroyables avec les élèves. »
Passionné jusqu’au bout, Hervé de Tonquédec insiste sur « le fort sentiment d’utilité » qui habite les enseignants lorsqu’ils contribuent à la réussite des élèves. « Leur épanouissement demeure la raison essentielle de nos métiers. » Un sentiment à partager de toute urgence : selon le rapport prospectif de France Stratégie-Dares publié en mars 2022, la France devra recruter 328 000 professeurs d’ici à 2030, notamment pour compenser les départs à la retraite.
À lire : L’École de la réconciliation, de Jérémie Fontanieu, Les liens qui libèrent, 19 €.
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