Cinq stratégies pour canaliser ou dépasser ses émotions – Ça m'intéresse

Tout comme l’amour, le chagrin peut nous prendre au corps. C’est l’« enseignement cruel » décrit par Chimamanda Ngozi Adichie dans Notes sur le chagrin (éd. Gallimard, 2021), qui relate son deuil à la mort de son père. « Je ne savais pas qu’on pleurait avec ses muscles. La souffrance n’est pas une surprise, mais sa dimension physique en est une », écrit-elle. On ne peut pas bannir les émotions négatives, celles qui mettent « le ventre dans la tourmente », au risque de verser dans le refoulement qui provoquera des manifestations psychosomatiques désagréables. Trois options s’offrent alors : rejeter ces émotions ; les transformer pour recycler et canaliser leur énergie ; et les reconnaître, ce qui implique un lâcher-prise. Il n’y a ainsi plus de bonnes ni de mauvaises émotions. Ce processus est détaillé par le maître bouddhiste Dzogchen Ponlop dans son Plan de sauvetage émotionnel (éd. Belfond).
La méditation, parfois à travers l’expression artistique, est plébiscitée pour apprendre à regarder passer les émotions avec une saine distance. L’autre outil est l’action qui redonne le sentiment d’avoir prise sur sa vie, que cela se traduise par la pratique sportive ou l’investissement associatif. Toutefois, accueillir ses émotions pour faire la paix avec elles peut paraître décalé par rapport à certaines situations, liées à des traumatismes. Un accompagnement professionnel, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ou l’EMDR deviennent dans ce cas des aides précieuses.
Le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh écrit qu’il faut « cuisiner sa colère » : cette émotion « indigeste » mérite d’être « cuite à point et accommodée » et « son énergie négative deviendra une énergie positive, celle de la compréhension et de la compassion ». Sa recette ? Transformer cette émotion en énergie positive et trouver l’apaisement en dix ou quinze minutes grâce à la pratique continue de la respiration et de la marche conscientes. À 40 ans, Jeanne expulse sa colère dans le sport et le travail, et essaie de méditer tous les jours pour prendre du recul et être moins dans la réaction, même si cela ne résout pas tout, notamment avec ses enfants. « La colère est un baromètre qui me dit que la situation dépasse les bornes et que je dois changer mes exigences. Soit je demande aux enfants d’en faire plus s’ils sont en âge de le faire, soit je lâche du lest. Cela ne m’empêche pas toujours de crier mais je préfère ça à ravaler ma colère. » Face aux adultes, une séparation douloureuse lui a enseigné une stratégie inspirée de l’aïkido. « Tu peux prendre l’énergie négative et la retourner contre ton ennemi pour le détruire, ou la transformer en une énergie motrice pour accomplir des choses positives pour toi-même. »
Ce sentiment d’attachement possessif, voire exclusif, à une personne, s’exprime en amour, en amitié, dans le cercle de la famille, au travail… On le justifie par des sentiments blessés, alors qu’il repose sur le manque d’estime de soi et des blessures d’amour-propre. « C’est parce que le jaloux n’est pas sûr de lui qu’il remplace la confiance par la surveillance » explique le psychiatre Christophe André. Qu’en faire ? « La jalousie m’a fait prendre conscience que je ne me valorisais pas ou que j’étais trop autocentrée en amitié et dans mon travail, témoigne Rébecca, chanteuse, 46 ans. J’avais peur de ne pas compter. Professionnellement, j’ai appris à l’utiliser pour travailler mieux. Cela n’empêche pas tout à fait la jalousie car il y a des inégalités sur lesquelles je n’ai pas prise et dont je souffre quand j’ai moins de moyens ou de facilités que d’autres, mais cela me pousse à trouver des solutions pour avancer. »
J’avais 38 ans quand j’ai accompagné mon père vers la mort. J’avais peur d’avoir trop peur et que cela m’empêche de l’aimer, de garder une image choisie de lui. En allant à l’hôpital, j’ai utilisé cette énergie pour entrer dans une vibration spirituelle. Tout était amplifié, j’étais dans un état d’hypersensibilité sensorielle. » Consciente de ce qui risquait de la faire chavirer, Elena a entrepris de « se tenir la main » dans ce moment de forte tension. « J’ai accepté la peur en faisant un travail d’auto-maternage, pour me rassurer, témoigne-t-elle. J’ai fait comme si j’entrais en procession, dans un rituel qui m’empêcherait de me disperser. » Écrire les trois semaines suivant l’enterrement lui a aussi permis de comprendre ce qu’elle avait vécu. « J’ai ensuite lu et relu ce texte en pleurant. Peindre et écrire reviennent à canaliser l’émotion. Ce sont des extensions de soi qui libèrent de l’angoisse. C’est très important même si on ne saisit pas les bienfaits sur le moment car cela agit dans le temps. »
Comment échapper au sentiment d’impuissance quand le défi nous dépasse ? Terrassé par l’anxiété en 2018 alors qu’il lit un livre sur la crise écologique, le réalisateur Philippe Raulin, 33 ans, traverse une prise de conscience douloureuse. « J’ai beaucoup pleuré et j’ai appelé mon frère en pleine nuit pour qu’il me rejoigne car j’étais seul. Cette manifestation corporelle s’est ensuite diluée en une anxiété sourde, se souvient-il. Le monde était devenu menaçant, je voyais tout à travers le prisme de la crise écologique, surtout de retour à Paris. » Devenu rabat-joie pour ses amis à qui il ne parle que d’effondrement, Philippe trouve une ressource salutaire dans la méditation vipassana qu’il pratiquait depuis 2017. Son autre bouée de sauvetage : passer à l’action en réalisant un documentaire baptisé À la racine (à retrouver sur la plateforme de financement participatif Ulule) qui part de sa crise personnelle et explore le dialogue entre écologie et quête spirituelle. Une coach et une psychologue spécialisée en TCC l’ont aidé à mener ce projet professionnel. « C’est un long chemin mais ces émotions très fortes sont devenues un carburant, explique-t-il. Mon analyse de la crise écologique est la même mais je suis apaisé. À ceux qui me demandent : que faire ? Je réponds : oubliez l’idée de sauver le monde et imaginez ce qui fera sens pour vous. Cela vous rendra heureux. Faire ce film m’a permis de ne plus me sentir impuissant, petit et seul. »
Qu’est-ce qui nous « fout la honte » ? Dans son livre Capitale de la douceur (éd. Seghers), Sophie Fontanel évoque cette réaction que suscitait en elle, enfant, le mot « location » que ses parents prononçaient « avec fierté » pour les vacances, alors qu’elle aurait voulu qu’ils aient leur propre maison. Le dictionnaire la définit comme une « gêne qu’on éprouve à l’idée d’enfreindre certaines convenances sociales, culturelles ou morales, ou à l’idée d’agir à l’encontre de sa dignité ou de la décence ». Ses causes sont diverses. Prendre l’avion est devenu source de honte en Suède (le flygskam) du fait de la crise écologique, avoir ses règles le reste pour de nombreuses jeunes filles. A contrario, le philosophe Frédéric Gros y voit un « sentiment révolutionnaire » (La honte est un sentiment révolutionnaire, éd. Albin Michel) et l’injonction « N’ayez plus honte de vous-même ! » appelle « la libération de la parole, la réappropriation affirmative de soi », un « sursaut de rage et de vie contre la honte-tristesse qui empoisonne l’existence, contrarie toute confiance en soi ». Selon lui, la honte peut même être un ressort qui donnera la force de ne pas se résigner au pire à condition de lui donner une nouvelle forme : la colère.
Dans son ouvrage qui vient de paraître, Anouk Grinberg, comédienne, nous dévoile ce qui se passe dans la tête des acteurs quand ils jouent.
Savez-vous faire de vos émotions des alliées ?
Les comédiens ont accès à un grand panel d’émotions, y compris celles qu’ils n’ont jamais vécues dans leur vie. On a développé l’art de faire des correspondances, de sentir résonner en nous ce qui se passe dans le corps et l’esprit des autres, pour pouvoir l’exprimer. On puise dans notre imagination, dans notre mémoire. L’empathie s’est sans doute développée dans notre métier : cela fait que ce qui arrive aux autres nous arrive, même s’il ne s’agit au début que de personnages de papier.
Est-il possible de travailler ses émotions comme une matière brute ?
Dans la vie, personne ne peut manipuler ses émotions, elles sont nichées si profond dans le corps, elles sont viscérales, inconscientes et nous submergent. Notre travail de comédien est de les convoquer, de croire assez aux situations des personnages pour que le cerveau vive la fiction comme s’il s’agissait de sa vie. En ce sens, il se pourrait que les acteurs aient accès aux émotions qui échappent à tous les autres, et qu’ils aient appris à les reproduire à la demande.
Jouer est-il comparable à une sorte de musculation émotionnelle ?
C’est un mélange d’oubli de soi et d’athlétisme, qui ne peut se faire que dans un riche partenariat avec l’inconscient, en laissant faire d’autres instances du cerveau plus anciennes, plus viscérales, celles qui donnent à tous les êtres vivants cet air si naturel, qui fait la petite musique de chacun… Nous, nous n’avons pas peur des émotions, c’est ludique pour nous, on est aimanté par la vérité ; ce qui fait peur, c’est d’être faux, c’est le toc. Et pour être juste, il faut que cela nous échappe en partie.
Quand vous lui demandez comment elle convoque ses émotions, l’actrice Anne Kessler vous répond : « On se râpe pour faire du gratin… » Que faut-il comprendre ?
On se sert de notre vécu pour en faire autre chose. Notre vie, notre imaginaire, notre sens de la vie sont un réservoir de sensations. Comme c’est un métier et pas de la folie, on maîtrise l’effet que ça fait. Il semble que le cerveau tout entier participe à nos métamorphoses : une part de lui sait qu’on joue, elle réfléchit, commande, affûte, et une part très ancienne croit que c’est sa vie qu’il vit. D’où le miracle de l’authenticité.
Être comédien aide-t-il à mieux vivre sa propre vie émotionnelle ?
Non, nous sommes tout aussi démunis devant la peur, la honte, l’amour, la rage, le chagrin, le dégoût… Ils nous submergent comme tout le monde, mais un acteur a plus souvent le sentiment de déjà-vu, déjà vécu, parce qu’il l’a joué, expérimenté. Il y a beaucoup de situations qu’on croit avoir vécues, mais qu’on a simplement jouées. Notre mémoire a enregistré ces émotions comme si elles avaient été réelles.
POUR ALLER PLUS LOIN
Livres
> Émotions, les explorer, les comprendre, éd. Louie/Les Arènes.
> Dans le cerveau des comédiens, de Anouk Grinberg, éd. Odile Jacob.
@ Internet
> (Ré)écouter en podcast sur https://podcasts.podinstall.com/louie-media-emotions/
Adélaïde Robault
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