Conflits d’intérêts, gestion défaillante : la Spedidam épinglée – Blast

Le 7 juin dernier, la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins (CCOGDA) présentait son rapport annuel. Comme annoncé par Blast, la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (Spedidam) est pointée du doigt par les magistrats de cette institution – rattachée à la Cour des comptes – pour plusieurs conflits d’intérêts manifestes ainsi que des vices de fonctionnement. Le procureur de la République a été saisi et la commission menace la Spedidam d’autres sanctions si rien ne change d’ici septembre.
C’est un coup de semonce. Il démarre par un constat sec : « La gestion de la Spedidam demeure à ce jour très insatisfaisante. » Dès les premières lignes, la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins donne le ton. Son rapport 2022, adressé notamment au gouvernement et au Parlement, est cette année consacré quasiment exclusivement à l’organisme de gestion des droits des artistes-interprètes. Le matin de sa présentation, Blast avait publié une enquête sur les potentiels actes de favoritisme et les petits cadeaux entre amis auxquels se livrent les membres de l’équipe dirigeante. Mardi 7 juin, les rapporteurs de la CCOGDA (composée d’éminents magistrats de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, de conseillers d’État et d’inspecteurs généraux) nous ont donné raison, relevant « de nombreux cas de conflits d’intérêts ».
La Spedidam, qui perçoit les droits d’auteur et les droits voisins (1) des artistes-interprètes, est chargée de redistribuer cette manne aux intéressés. Cette première mission, justification de son existence, n’est pas correctement effectuée : le « rythme des répartitions est asynchrone », relève la commission de contrôle, et le nombre de bénéficiaires de ces aides – 95 000 – poursuit une « évolution assez erratique ». Des mots particulièrement choisis. Mais le plus grave est ailleurs : « Une minorité [s’accorde] des avantages et gratifications au mépris des obligations en matière de prévention des conflits d’intérêts et, surtout, au détriment de l’ensemble des ayants droit. »
Le règlement intérieur de l’organisme de gestion collective, dans son article 6, est formel : « chacun des membres du conseil d’administration ou de l’organe de surveillance, établit une déclaration écrite, précisant : […] tout conflit réel ou potentiel entre ses intérêts personnels et ceux de la société ou entre ses obligations envers celle-ci et celles qu’il a envers toute autre personne physique ou morale ». Pour vérifier la bonne application de cette règle, les magistrats de la commission ont procédé à des contrôles aléatoires des déclarations de membres des deux organes. Résultat, plusieurs s’avèrent « très incomplètes » et « témoignent de l’ampleur des violations aux obligations déclaratives en matière de conflits d’intérêts ». D’autant que le gérant, censé contrôler leur exhaustivité et leur exactitude, « n’assure pas ce contrôle » et, plus globalement, « ne [suit] pas les différents dossiers de la société ». Gênant.
L’histoire ne s’arrête pas là. La Spedidam a un autre rôle déterminant : elle est en charge de l’attribution de 25 % des droits d’auteurs perçus à la création et l’éducation artistique, la formation des artistes et la diffusion du spectacle vivant. Des enveloppes – 19 millions d’euros en 2019, 10 millions d’euros en 2020 – essentielles pour développer l’offre culturelle dans un secteur d’activité précaire. Seulement, l’usage des fonds « manqu[e] de transparence » et est parfois « directement utilis[é] au profit de membres de l’équipe dirigeante ». Entre 2018 et 2020, les dix plus gros montants annuels d’aides étaient accordés à des programmes-maison, largement gérés… par les dirigeants de la Spedidam. Comme par hasard.
Les rapporteurs dénoncent une gouvernance qui « s’appuie sur des fonctions sans réelle substance et sur de trop nombreuses entités regroupant les mêmes personnes ». Exemple flagrant, le bureau de la Spedidam est une coquille vide qui ne se réunit jamais… mais dont les membres sont rémunérés. La réponse de la commission est donc sans appel : dans ces conditions, le bureau doit être supprimé. D’autres instances font de la figuration. C’est le cas de la commission d’agrément, censée attribuer les 25 % des droits vers la création artistique. Les magistrats relèvent qu’en 2020, le conseil d’administration avait adopté des aides soi-disant « présentées par la commission d’agrément » sans… que celle-ci ne se soit encore réunie. « Le processus d’affectation des aides est ainsi détourné. »
Si leurs méthodes sont plus que douteuses, comment expliquer que les membres de ces instances soient constamment réélus ? Tout simplement parce qu’ils maîtrisent un processus électoral « très critiqué depuis des années, celui des pouvoirs illimités », détaille encore le rapport. Pour atteindre un siège au conseil d’administration ou à l’organe de surveillance, chaque candidat a la possibilité d’amener avec lui un stock de pouvoirs à son nom. Lors de l’assemblée générale de 2018, sur 4 858 suffrages exprimés, 4 155 l’étaient sous la forme de pouvoirs, soit 85 % du total ! Réussir à convaincre les artistes associés de voter pour soi est donc la clé de voûte du scrutin. Forcément, les membres déjà élus ont une longueur d’avance. « C’est la Spedidam qui paye les affranchissements. Et dans certains courriers, ils envoyaient une enveloppe pré-timbrée », glisse Yves Rolland, le rapporteur général de la commission de contrôle. Les élus sortants possèdent par ailleurs la liste des associés et leurs adresses, ce qui leur donne un avantage indéniable sur leurs concurrents.
Si ce système n’est pas illégal, il n’est appliqué dans aucun autre organisme de gestion de droits d’auteur. « La détention par quelques administrateurs de plusieurs milliers de mandats constitue un obstacle à la participation appropriée et effective des associés au processus d’élection des dirigeants de l’organisme », conclut la commission, qui exige face à cette confiscation que la Spedidam limite le nombre de pouvoirs à cinq par personne.
Les rapporteurs de la commission de contrôle se sont également penchés sur un programme créé en 2017 par la Spedidam, dans le cadre de ses actions culturelles : la formation au « secrétariat d’artiste ». Ce dispositif, qui drainait plus d’un million d’euros en 2019 et en 2020, est une subvention accordée à des artistes, pilotée par une unique association : l’Action musicale. L’association est née en 2008 « à l’initiative du SAMUP », le syndicat des artistes musiciens de Paris, dont François Nowak, président de la Spedidam, est le vice-président, et Guillaume Damerval, actuel directeur général de la Spedidam, le trésorier. L’Action musicale emploie deux salariés membres du SAMUP, dont la fille de François Nowak. Et, fait important, l’association loue ses locaux parisiens au SAMUP.
Outre les critiques sur l’absence de légitimité de l’association à s’occuper d’un tel programme, le rapport s’interroge sur le sens de ce patchwork, d’autant que ses auteurs n’ont pas trouvé de justifications à plusieurs financements engagés. « Compte tenu des responsabilités exercées par certains membres dirigeants de la Spedidam au sein du syndicat, pointe ainsi le texte, le manque de transparence sur les coûts engagés peut faire peser un risque fort de financement illégal du syndicat. »
Sur ces soupçons de conflits d’intérêts, la CCOGDA a donc questionné les membres des instances dirigeantes de la Spedidam, sur leur adhésion au SAMUP. Ni une, ni deux, François Nowak a écrit à Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes. « On s’est fait accuser par le président de la Spedidam de faire de l’inquisition sur de l’appartenance syndicale, lâche Yves Rolland à Blast. De sa part, c’était déplacé d’aller mettre en cause la partialité des rapporteurs. »
D’après nos informations, ce n’est pas la seule marque d’exaspération exprimée par l’équipe dirigeante, en réponse à ce rapport. A Blast toujours, Fabrice Vecchione, le gérant de la société, confie ainsi son regret « de ne pas avoir été en mesure, dans bien des situations, de connaître les pièces et éléments sur lesquels la commission de contrôle a fondé ses griefs et observations ». Cela aurait empêché, d’après lui, « un exercice satisfaisant du contradictoire ». Le rapporteur général de la commission écarte pourtant calmement toute volonté de dissimulation : « Il y a effectivement un nombre important d’informations que les rapporteurs ont eu auprès d’artistes interprètes qui ne comprennent pas les relevés qu’ils reçoivent. La Spedidam nous avait demandé de communiquer ces noms et on n’a pas souhaité le faire, au nom du secret de l’instruction. » Pour protéger ces sources, donc.
Après les nombreux rapports restés lettre morte ces dernières années, et notamment l’inaction de la tutelle (le ministère de la Culture) comme nous le rappelions, la commission de contrôle a donc décidé de marquer le coup en 2022. Sur la base de l’article L327-3 du code de la propriété intellectuelle, le procureur de la République a été saisi par son président à la mi-mai. Les faits relevés dans cette fournée cinglante sont en effet susceptibles de constituer des infractions pénales.
C’est la deuxième fois que la commission émet un signalement au parquet, au sujet de la Spedidam : en 2017, la commission avait eu recours, déjà, à l’article 40 du code de procédure pénale afin d’alerter sur son fonctionnement. Une enquête avait été confiée à la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), et des premières auditions avaient eu lieu en 2018. Depuis, les conclusions se font attendre.
Mais une autre épée de Damoclès menace. Dès septembre, une nouvelle enquête sera diligentée pour vérifier la mise en œuvre des 35 recommandations de ce nouveau rapport. Si la commission constate un manque de volonté, elle abattra une dernière carte : la saisine de la commission de sanction. Dans ce cas de figure, la Spedidam peut hériter d’un simple avertissement, mais elle risque aussi une amende proportionnelle à son chiffre d’affaires. Interrogés par nos soins, ses dirigeants assurent qu’ils se plieront à toutes les recommandations formulées, feignant de ne pas comprendre les reproches qui les visent. Selon eux, il ne s’agit ici que d’une simple « démarche constante de perfectibilité ». Alors, où est le problème ?
(1) Complémentaire du droit d’auteur, dont il se distingue, le droit voisin vise la rémunération des interprètes d’une œuvre : ils n’en sont pas les auteurs principaux mais participent à sa création.
Commentaire de la rédaction :
Comme la loi nous y oblige (et comme nous tenons aussi à Blast à laisser place au contradictoire, aux réponses et explications des acteurs des sujets dont nous nous emparons), nous publions ce droit de réponse reçu le 29 juillet 2022 :

« Dans un article intitulé « Conflits d’intérêts, gestion défaillante : la Spedidam épinglée », Blast met en cause la SPEDIDAM et certains de ses membres nommément cités, sous couvert d’observations formulées au sujet du rapport public annuel de la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins.
La SPEDIDAM regrette tout d’abord que l’article reprenne exclusivement le contenu du rapport, sans jamais se référer à sa réponse pourtant annexée, ni même mentionner l’existence de cette réponse.
La SPEDIDAM observe que l’article ne mentionne pas non plus la mise en œuvre par ses soins des recommandations préconisées par le rapport.
Pourtant, à la date de publication du rapport, une grande partie des recommandations avait déjà été mise en œuvre.
D’une part, la réponse annexée susmentionnée comprenait un point d’étape de la mise en œuvre de chaque recommandation au 13 mai 2022.
D’autre part, un grand nombre de mesures appliquant directement ou indirectement les recommandations ont été adoptées par ses assemblées générales extraordinaire et ordinaire du 23 juin 2022. L’auteur de l’article ne pouvait ignorer la tenue de ces assemblées puisque la photographie de l’ancien Président de la SPEDIDAM figurant en en-tête de l’article a été visiblement prise à cette occasion. Les résultats étaient d’ailleurs accessibles à la date de publication de l’article.
Ainsi, l’auteur de l’article revient longuement sur les fonctions du bureau de la SPEDIDAM, ou sur l’existence et les modalités du système du pouvoirs illimités, alors que leur suppression a déjà été actée. Il convient en outre de noter que, contrairement à ce qui est indiqué, aucune indemnité n’a jamais été liée aux fonctions de membre du bureau.
L’auteur de l’article revient également sur des aides de l’action culturelle accordées par le conseil d’administration alors que toutes les aides sont désormais attribuées par la commission d’attribution, le conseil d’administration s’interdisant tout ingérence dans ce choix, et que ces principes sont inscrits dans le règlement général.
L’article contient également plusieurs erreurs.
Ainsi la SPEDIDAM ne répartir pas de « droits d’auteurs », mais seulement des droits voisins.
L’auteur de l’article prétend également que « Entre 2018 et 2020, les dix plus gros montants annuels d’aides étaient accordés à des programmes-maison, largement gérés… par les dirigeants de la Spedidam ».
Or, si l’ancien président de la SPEDIDAM a pu être vice-président d’associations organisatrices de certains festivals, il a démissionné en 2019 de ses mandats sans lien avec la direction effective des festivals.
Enfin, la SPEDIDAM s’étonne que l’article fasse état d’éléments factuels qui ne figurent pas dans le rapport de la Commission de contrôle, notamment un courrier adressé par le Secrétaire Général du SAMUP à Monsieur Pierre MOSCOVICI.
Or, ce courrier, adressé par le SAMUP, avait pour objet de faire remonter les inquiétudes de certains de ses adhérents dans la mesure où un magistrat de la Commission de contrôle leur avait demandé leur appartenance syndicale, information pour le moins sensible.
La SPEDIDAM n’a pas non plus demandé que lui soient communiqués les noms des artistes-interprètes « qui ne comprennent pas les relevés qu’ils reçoivent », ce qui ne lui aurait été d’aucune utilité dans le cadre du contradictoire compte tenu du caractère très subjectif de ce grief. La demande portait, comme l’indique le propos de Fabrice Vecchione, également reproduit, sur la connaissance des pièces et éléments qui auraient pu permettre des vérifications et une réponse précise permettant peut-être d’écarter certains griefs très vagues. Ceci, alors que des dizaines de milliers de pages de documents ont été envoyées par la SPEDIDAM à la Commission au cours de l’instruction.
Il s’agissait simplement de demander un bon fonctionnement du contradictoire.
La SPEDIDAM renvoie, pour de plus amples informations, à sa réponse annexée au rapport de la Commission de contrôle et aux modifications apportées à sa gouvernance ainsi qu’à son fonctionnement à l’issue de ses assemblées générales du 23 juin 2022. »
Pour autant, nous maintenons l’ensemble des informations et éléments de cet article, ainsi que le contenu du premier article de cette enquête en deux volets. Concernant les mesures qui ont été prises par la direction pour corriger des dysfonctionnements qui existaient bien, nous mentionnons dans notre article que celle-ci voulait en effet « se plier à toutes les recommandations formulées ». Par ailleurs, au sujet de la rémunération des membres du bureau, la réponse de la direction ne correspond pas à celle publiée par le rapport : « De façon générale, le bureau de la Spedidam semble avoir une existence purement formelle sans aucune réunion spécifique de l’instance. Pourtant ses membres assistent à des réunions du fait de leur fonction au sein du bureau, engendrant le versement des indemnités associées. »
Pour aller plus loin :

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