Les HPI sont-ils heureux au travail? | Slate.fr – Slate.fr

Nolwenn Tournoux — Édité par Thomas Messias
Temps de lecture: 6 min
En 2021, la série HPI a cartonné sur les écrans français, contribuant à mettre en lumière un sujet encore méconnu. Le consensus scientifique détermine qu’une personne à haut potentiel intellectuel (HPI) a un QI supérieur ou égal à 130, la moyenne étant fixée à 100. Cela représente 2,3% de la population, soit plus de 1,5 million de personnes en France.
Dans la série, l’héroïne Morgane Alvaro, femme de ménage, lance dès le premier épisode: «J’ai un problème avec l’autorité.» Embauchée en tant que consultante dans un commissariat, elle se révèle brillante, même si elle s’entête à ne pas respecter les règles de la profession. Cette situation reflète-t-elle la réalité des HPI au travail? Dans le monde professionnel, le haut potentiel intellectuel est-il un avantage ou un inconvénient? Les caractéristiques attribuées à ces employés hors normes ne se vérifient pas toujours, dans la science comme dans l’expérience de chacun.

En France, les tests utilisés pour identifier le HPI sont le WAIS (Weschler Adult Intelligence Scale), pour les adultes, et le WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children), pour les enfants. Ce sont des tests psychométriques, qui mesurent le QI. Un test s’effectue nécessairement chez un psychologue. «Jamais en ligne car l’observation est indispensable», explique Beata Mazurczak, psychologue du travail et clinicienne.
«Les gens viennent rarement me voir pour un test en me disant que tout se passe bien dans leur vie», explique la psychologue, mais une telle demande n’est pas forcément synonyme d’un mal-être. «Ceux qui viennent passer les tests ne vont pas toujours mal, mais parfois ils s’interrogent. Ce sont souvent des parents qui ont fait tester leur enfant», complète Arielle Adda, psychologue et autrice de plusieurs livres sur les HPI. Mais il existe aussi les HPI qui s’ignorent, ceux qui ne se feront jamais tester, et qui représentent donc tout un pan invisible de cette réalité.
Noël a fait partie de cette catégorie pendant un temps. Lui qui travaille dans la fabrication de moteurs d’hélicoptères a connu une situation difficile dans son précédent poste. Une situation qu’il qualifie de harcèlement: «J’ai retrouvé des excréments dans mes chaussures de sécurité et sur ma brosse à dents, raconte-t-il. J’obtenais des promotions, alors les collègues pensaient que j’étais un petit fayot. Je savais très bien qui me harcelait, mais je n’ai pas voulu donner de nom.»
Noël a alors décidé de passer un bilan de compétences, puis le test WAIS. Résultat: son haut potentiel est établi. «Ça a tout changé pour moi. Je ne suis pas comme tout le monde, et aujourd’hui, je l’assume totalement, raconte-t-il. Je suis allé voir ma RH avec mon bilan de compétences et mon bilan WAIS. Le médecin du travail est au courant, tout le monde est au courant. Mes idées sont écoutées et j’apporte une vision différente des choses. Une psychologue clinicienne m’a suivi pendant trois ans, parce que le harcèlement a laissé des séquelles.»
Au début, les collègues de Noël l’ont pris pour un prétentieux. «Si je dis que je suis surdoué, les gens pensent que je me vante, que ça veut dire qu’ils sont sous-doués. Je n’ai jamais dit ça!» s’exclame-t-il.
Roméo, lui, a rencontré des difficultés avec un manager. «Un jour, pendant un entretien, il m’a dit: “Mais tu penses être plus intelligent que moi?” On parlait de boulot, je ne voyais pas le rapport. C’est là que je me suis dit qu’il ressentait une vraie frustration par rapport à quelque chose. Il cherchait à me rabaisser, et il a voulu me retirer toutes mes fonctions», ajoute le quadragénaire, qui travaille dans une grande entreprise de télécommunication et s’occupe de la stratégie «data analytics».
Judith Sitruk, coach et job-coach neuroatypique, commente: «Souvent, les HPI sont incompris. Ils vont trop vite, ont trop d’idées, comprennent trop vite par rapport aux autres. On a peur d’eux. Ça arrive souvent que les managers pensent qu’ils veulent prendre leur place.»
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Roméo est aussi délégué national aux relations avec les médias pour Mensa France, une association de personnes à haut QI qui s’attache à donner une image positive du HPI. Il raconte que le haut potentiel intellectuel lui a permis d’avoir «la capacité à cumuler de l’information et de la traiter plus vite», ainsi qu’«une capacité d’adaptation assez forte».
Son parcours professionnel est riche. À 23 ans, il ouvre un pub en Espagne avec un associé. À 30 ans, il est responsable marketing et communication dans une PME, en parallèle d’un master en stratégie marketing et stratégie de marque. À 39 ans, il combine deux postes au sein d’une grande entreprise de télécommunication et débute la création d’un nouveau projet entrepreneurial.
Son haut potentiel a aussi éveillé l’intérêt de ses supérieurs. Un soir, alors qu’il passe dans une émission télévisée où son haut potentiel intellectuel est mentionné, il reçoit une vingtaine de demandes de connexion LinkedIn de la part de personnes «d’un niveau hiérarchique beaucoup plus haut» que le sien. «Ces gens me voyaient et me connaissaient depuis un moment dans l’entreprise, mais ça ne les avait jamais intéressés de m’avoir dans leur réseau.»
Xavier, lui, n’a jamais rencontré de difficultés liées à son haut potentiel. Il est enseignant, et travaille avec des jeunes déficients mentaux. Pour lui, le HPI «est un énorme avantage». Lorsqu’il était vendeur automobile, il a terminé meilleur vendeur du sud-ouest du pays. Puis, lorsqu’il était conseiller commercial pour un laboratoire, il était «le deuxième vendeur France», assure-t-il.
Pour sa part, Kévin travaille dans une entreprise de BTP. Les défis l’amusent, il aime être stimulé. «J’ai toujours été très productif. Dans l’entreprise où je travaillais avant, j’ai débloqué de nombreux dossiers. Certains étaient en suspens depuis 2012. Ce que je faisais en cinq ou dix minutes, les autres pouvaient mettre la matinée pour le faire. Mais je ne m’en rendais pas compte.»
Récemment, Kévin est passé manager. «Je me suis renseigné, pour m’adapter. Quand j’ai lu des choses sur le management, je me suis rendu compte que c’était déjà ce que je faisais. Tout ce que j’avais mis en place par instinct était écrit dans des cours de management.» Parfois, lorsqu’il s’adresse à quelqu’un, ses idées ne sont pas comprises aussitôt, mais se révèlent utiles plusieurs mois après. «Je dis des choses aux gens, je plante des graines, explique Kévin. Certains me remercient plus d’un an après.»
La coach Judith Sitruk explique qu’il n’est pas rare que les personnes HPI aient des idées en avance: «Elles les partagent, mais ne sont pas entendues. Quelques temps après, quelqu’un arrive avec exactement la même conclusion et tout le monde félicite cette personne.» Selon la psychologue Arielle Adda, «les HPI sont plus rapides et ont un champ d’action plus large. Ils peuvent connecter des idées qu’on ne songerait pas à rapprocher.»
Betty en a fait l’expérience. En 2020, elle candidate au poste de première adjointe à l’environnement de la municipalité de sa ville. «Je voulais mettre en place des “tiny houses” pour les étudiants dans ma commune, et on ne m’a pas prise au sérieux. Quelques mois plus tard, un ami m’a envoyé un article au sujet de communes qui créaient des villages de “tiny houses”, avec des subventions.»
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Avant de passer le test, Betty ne comprenait pas pourquoi, dans sa vie professionnelle, le même schéma se reproduisait sans cesse: «Première année, j’adore. Deuxième année, je m’ennuie. Troisième année, je pars», énumère-t-elle. Betty est une touche-à-tout, qui cumule parfois plusieurs emplois. En 2006, elle est réserviste en gendarmerie en plus de travailler dans une jardinerie.
Lorsqu’elle bosse dans une animalerie, en 2019, elle va proposer son aide à ses collègues et se forme toute seule à de nouvelles compétences. Résultat: «À chaque fois qu’il y avait besoin d’aide quelque part, on m’appelait parce que je savais tout faire, raconte Betty. Partout où je vais, on m’appelle la machine de guerre.»
Les entreprises ne semblent pas se disputer ces recrues à haut potentiel. Hipip IN est une plateforme RH digitale qui propose de l’aide au recrutement de profils dits atypiques, notamment des HPI. «Concernant le HPI, finalement, les entreprises semblent assez frileuses», indique sa cofondatrice, Liliya Reshetnyak.
Même son de cloche chez Pierre Daveze, fondateur d’Alorem, un cabinet de stratégie RH. Il explique que le recrutement de travailleurs haut potentiel intellectuel peut «faire peur aux entreprises» et qu’il ne met donc pas cet élément en avant. Il ne mentionne le haut potentiel du candidat que si l’employeur pose la question.
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Faut-il en conclure qu’être HPI freine la réussite professionnelle? Une étude réalisée au Royaume-Uni en 2010 démontre qu’au contraire, l’intelligence est un facteur important dans la réussite scolaire et professionnelle. Cette réussite serait même «plus influencée par l’intelligence de l’enfant que par la classe sociale d’origine». Le haut potentieI intellectuel consistant par définition en une intelligence supérieure à la moyenne, il devrait donc favoriser la réussite professionnelle.
«C’est très difficile de généraliser. Si on en croit les études, le HPI serait plutôt un facteur de protection. Dans la vie, sur le terrain, un tas de gens racontent qu’ils luttent et les situations sont très différentes. Les psychologues scientifiques travaillent avec des statistiques. Nous, cliniciens, travaillons avec des gens qui nous amènent des problématiques», conclut la psychologue du travail Beata Mazurczak.
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