#METOO Elles étaient mannequins à Paris dans les années 1980 et 1990. Certaines ont croisé Jean-Luc Brunel. Quatre femmes racontent en exclusivité à « 20 Minutes » leur quotidien dans la capitale française, alors que se tient la fashion week dans la capitale
Au bout du fil, la voix est déterminée. Arhel*, pourtant, a réfléchi avant d’accepter l’interview. Trop de mauvais souvenirs liés à Paris et au mannequinat, une profession qu’elle a exercée à la fin des années 1990. « Pour moi, il est important que les jeunes filles sachent. » Alors elle raconte : ses conditions de travail, son logement, son arrivée dans une ville inconnue. « J’ai commencé le mannequinat à 15 ans. J’avais besoin d’argent pour payer une facture, alors j’ai décidé d’essayer le mannequinat. Cela a très bien marché. C’est comme cela que ça s’est fait, un concours de circonstances. »
A 20 ans, elle arrive dans la capitale française. Son agence lui avait promis un appartement réservé aux mannequins, à son arrivée elle se retrouve dans un hôtel « dans un mauvais quartier », « miteux » et avec des « insectes ». « Je me suis sentie très perdue. » Elle prévient ses parents et son agence. Celle-ci la place ensuite dans deux appartements pour mannequins. Les jeunes femmes sont plusieurs à se partager les lieux. Là encore, la jeune femme a du mal à se sentir à l’aise. « Vous ne saviez jamais qui avait les clés. » Une fois, ses affaires sont volées.
En courant les castings, la jeune femme décroche des contrats importants avec des clients réguliers, qui lui permettent plus de liberté envers son agence. Et c’est crucial : « Une fois, j’ai refusé d’aller à une fête du propriétaire de l’agence. On m’a mise dans une toute petite chambre, c’était ma punition. » Après l’incident, la jeune femme décide de prendre son propre logement. Quand sa carrière commence à décoller, la jeune femme décide de changer d’agence.
Ses journées, Arhel les passe de castings en shootings photos où l’envoie le booker qui s’occupe d’elle. Travaillant pour une agence, le booker est « comme une deuxième maman », explique à 20 Minutes Julianne*, une ancienne comptable d’une agence de mannequins parisienne. C’est lui qui dit aux mannequins à quel casting aller, qui les conseille sur leur book (leur livre de photos, la carte de visite des mannequins). « Si c’était une mauvaise journée, car le casting s’était mal passé, les filles se retournaient vers le booker. »
« Les journées sont longues et la concurrence, féroce. Ce n’était pas facile pour les filles, se souvient la comptable. Elles pouvaient se retrouver à 50 sur un casting. C’est comme pour les acteurs, il faut savoir se démarquer. »
Pour se faire une place, il faut persévérer et avoir le « look » : un air « subtil », l’air « d’être un peu malade » et être « très mince », se rappelle Arhel. La jeune femme avait un IMC de 15,3, un résultat qui la classait bien en dessous de l’IMC d’une « corpulence normale », fixé par l’OMS entre 18,5 et 25.
« J’ai toujours été maigre, se souvient Arhen. Les habits qu’on vous demande de porter sont très petits, dès que vous prenez du poids vous ne pouvez pas travailler. »
« Vous devez consacrer beaucoup de temps à perdre du poids, à être maigre, confirme Anne Dorte Grauballe, qui a vécu six mois à Paris en 1986 et 1987. On vous disait tout le temps de perdre du poids. Je pense que ce n’est pas très sain. Je me souviens de m’en être moquée parce que parfois c’était tellement ridicule : on demandait de perdre du poids sur nos chevilles. »
Quand elle arrive à Paris, la jeune femme est déjà forte d’une expérience de mannequin aux Etats-Unis, où elle a été repérée quand elle était étudiante. A son retour au Danemark, d’où elle est originaire, elle se rapproche d’une agence locale qui lui demande de venir à Paris pour enrichir son portfolio.
« Cette période à Paris pour moi a été très excitante. » Elle découvre la ville, partage un appartement avec d’autres mannequins. Il lui arrive de sortir, « mais je me suis toujours tenu éloignée des drogues », précise-t-elle.
« C’était une époque de pionniers, il n’y avait pas de téléphone, ni Internet, lance Marie*. C’était vraiment excitant de découvrir une nouvelle ville. » La Néerlandaise arrive à Paris à 19 ans en 1986. « Les années 1980 sont une période charnière pour la mode, les mannequins ont commencé avoir un visage et un nom », analyse-t-elle. On demande aux mannequins d’avoir une attitude, de ne plus être de simples visages. Un changement probablement favorisé par l’amélioration du matériel permettant les prises de vue.
En arrivant à Paris, où elle va passer cinq ans, Marie rejoint FAM, « une des meilleures agences de mannequins » des années 1980. « Ils m’ont toujours traitée de manière extraordinaire ». Au bout de quelque temps, Marie veut diversifier son travail et rejoint une autre agence. « C’est là que j’ai commencé à comprendre que toutes les agences n’étaient pas aussi sympathiques que la première que j’ai découverte. » Un jour, le directeur d’une agence « essaye de [la] séduire ». « Il m’a mis dans une situation difficile ; quand j’ai refusé, il a essayé de me faire du chantage en me disant que je ne pourrai plus travailler. » La jeune femme part pour une autre agence. « J’avais 19 ou 20 ans à l’époque, et je pense que si vous avez 15 ans c’est bien plus difficile pour vous de dire non. »
C’est à Londres que Anne a dû s’opposer à un directeur d’agence. Invitée à séjourner chez lui pendant un week-end, l’homme insiste pour qu’elle se rende dans sa chambre. La jeune femme refuse et l’homme finira par la laisser. « J’étais naïve », confie-t-elle. Ce sera la seule « mauvaise expérience » qu’elle vivra pendant son séjour parisien.
La présence des mannequins est également recherchée dans les bars ou les boîtes de nuit. « En boîte, on avait toujours du monde autour de nous », décrit Marie. Dans les soirées, aux Bains Douches, Kaatje Gotcha* observe des hommes jeunes draguer les mannequins, parfois âgées d’une quinzaine d’années à peine. « Les hommes plus âgés n’arrivaient pas à convaincre les filles de s’asseoir avec eux, raconte la Néerlandaise, arrivée à 16 ans à Paris en 1986 pour l’agence Elite plus. Ils avaient avec eux des hommes jeunes, qui attiraient les filles. C’étaient eux qui servaient d’appâts amoureux et présentaient les filles à ceux qui étaient en quelque sorte leurs patrons. »
Ces hommes, âgés d’une vingtaine ou trentaine d’années, avaient l’air « d’être amis avec tout le monde ». Ils attirent les filles « avec leur anglais parfait et leur belle allure ». Ils rendent service aux mannequins, les conduisant aux castings. Dans ce monde, les Bains Douches jouent un rôle central, avance la Néerlandaise. « C’était l’endroit pour connecter les gens, pour connecter des mannequins avec des hommes. »
Kaatje Gotcha se méfie vite de ce milieu. « Très rapidement, des gens m’ont prévenue, des coiffeurs, des mannequins plus âgés m’ont dit de faire attention. » Quand elle est invitée à une fête privée, elle prend soin de vider son verre de champagne dans la salle de bains et s’assure de ne jamais passer une nuit isolée quand elle n’est pas dans son appartement. « Je faisais très attention quand j’étais avec ces gens. C’est très difficile de distinguer qui est vraiment sympa de qui est sympa mais a des arrière-pensées. »
La jeune femme réussit à prendre de la distance avec son entourage. « J’avais déjà voyagé dans le monde entier, je pouvais voir toute la fausseté [de ce milieu]. Je rigolais toujours de tous ces types âgés et laids. Je plaisantais, en disant que quand ils seraient dans un fauteuil roulant, ils essaieraient toujours de draguer les filles âgées de 16 ans. Je n’étais pas loin de la réalité. » A 20 ans, dit-elle, les invitations ont cessé de lui parvenir. Elle a une explication, son âge : « Quand j’avais 17 ans, j’avais l’air d’en avoir 13. »
Elle se souvient d’une fête privée à l’été 1987 quand elle avait 18 ans, dans une immense résidence, à laquelle assistent des agents et des mannequins. « Le moment du dîner est arrivé. Je parlais assez de français [pour comprendre] et ils plaisantaient en disant “dans nos fêtes, on a toutes ces petites chambres et les gens y vont pour faire ce qu’ils ont à y faire”. J’ai répondu d’une voix forte : “Je ne peux même pas imaginer combien votre femme de ménage doit s’amuser !” Ils ont ri, mais de mauvais cœur. » A cette fête, Kaatje Gotcha prévient des jeunes mannequins qui viennent d’arriver à Paris. Elle leur dit « de ne pas faire confiance à ces gens et de boire de l’eau. » « Je pensais qu’il y avait quelque chose de vraiment mauvais dans cette ville, lance-t-elle. Il y avait de la luxure, de la corruption. »
Aux Bains Douches et dans des soirées privées, elle croise Jean-Luc Brunel, un agent français, repreneur de l’agence Karin Models à la fin des années 1970 et accuséd’avoir « livré » des filles au milliardaire américain Jeffrey Epstein, ce qu’il conteste. « Il avait l’air excentrique, un peu louche, mais pas directement envers moi. » En 1988, elle passe dans son agence, car il lui offre de meilleures propositions de travail.
Kaatje Gotcha se souvient d’avoir croisé Jean-Luc Brunel « cinq ou six fois ». Elle entend des histoires à son sujet « tout le temps ». Une de ses amies, mannequin pour l’agence Elite, lui raconte avoir été obligée d’aller, en 1981, à l’âge de 13 ans, à une soirée où se trouvaient « les amis de Jean-Luc Brunel ». « Elle m’a dit qu’on lui avait demandé de porter quelque chose de sexy. »
A l’époque, les agences à Paris sont nombreuses. « Karin Models et Elite plus étaient les agences les plus réputées, rappelle Kaatje Gotcha. Il y avait un authentique travail pour les mannequins à Paris, comme ce que je faisais. » Elle se rend compte également qu’il existe « un soubassement » : « De nombreuses agences de mannequinat étaient des services d’escort. C’était un moyen pour des hommes d’affaires très riches d’entrer en contact avec des jeunes mannequins », raconte-t-elle. Quelques années plus tard, Arhel effectue une observation similaire. Après avoir changé d’agence, elle découvre que sa première agence, où elle effectuait un travail légitime de mannequinat, « avait visiblement l’air de ne pas être financée par le mannequinat. »
Aujourd’hui, ces quatre femmes ont quitté le mannequinat. Avec le recul, Arhel conseille à chaque fille qui se lance dans le milieu « d’avoir son propre manager. Les jeunes filles sont souvent très jeunes quand elles arrivent à Paris ou Milan et elles ont besoin de quelqu’un qui agit comme un “parent” pour prendre soin d’elle. Aucune agence ne peut le faire. » Dans ce métier, « on ne joue pas à armes égales », avance Kaatje.
Trente ans plus tard, ces pratiques ont-elles toujours cours ? Depuis 2017, les groupes LVMH (qui détient notamment Christian Dior, Louis Vuitton ou Kenzo) et Kering (Saint Laurent, Gucci ou Alexander McQueen) se sont engagés à ne plus faire travailler des mannequins âgées de moins de 16 ans et portant une taille inférieure au 34. Les mannequins doivent également fournir un certificat médical datant de moins de six mois pour travailler. La charte adoptée par les deux géants du luxe vise à préserver le « bien-être » des modèles. Ainsi les « situations de nudité ou de semi-nudité doivent avoir été explicitement acceptées par les mannequins » pendant les shootings. Celles-ci doivent être hébergées par les agences dans « un logement offrant un niveau de confort respectueux de leur bien-être. »
Depuis la même année, la loi oblige également les mannequins à fournir un certificat médical daté de moins de deux ans. Les clichés modifiés doivent porter la mention « photographie retouchée », afin « d’éviter la promotion d’idéaux de beauté inaccessibles et de prévenir l’anorexie chez les jeunes », précise le ministère de la Santé.
Aux Etats-Unis, Federico Pignatelli, dirigeant d’un important réseau de studios photos et de l’agence The Industry, a lancé en 2018 une « déclaration des droits des mannequins ». Lui-même accusé de harcèlement sexuel avant d’être innocenté en 2014, il s’engage avec son agence à fournir des contrats « standardisés », « faciles à comprendre » et « équitables pour les deux parties ».
Malgré ces initiatives, « les jeunes mannequins ne sont pas plus en sécurité maintenant que dans les années 1980 et 1990 », souligne auprès de 20 Minutes l’ancienne mannequin Sara Ziff. « Les mannequins et aspirants mannequins sont toujours sous pression pour coucher avec les agents et les agences envoient toujours des jeunes mannequins à des “dîners” avec des hommes plus âgés. Ces problèmes ne sont pas du passé et sont étroitement liés à l’exploitation économique, au manque de transparence financière et aux contrats déséquilibrés que les modèles doivent souvent signer avec leurs agences. Le harcèlement sexuel, les abus, l’exploitation économique, se faire blacklister et trafiquer : ces violences sont omniprésentes et ont toujours lieu dans l’industrie du mannequinat », détaille-t-elle.
Pour défendre des conditions de travail décentes, l’Américaine vient de fonder la Model Alliance. En octobre, elle a rencontré à Paris la secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, ainsi que des représentants de LVMH, Kering et Chanel pour présenter l’initiative Respect. Ce programme « invite les entreprises de la mode à s’engager à mettre fin au harcèlement et aux autres formes d’abus. » Il incite les mannequins et les acteurs de l’industrie « à remplir des plaintes confidentielles, qui feraient l’objet d’investigations indépendantes, avec des conséquences réelles pour les agresseurs. »
*Les noms ou prénoms ont été modifiés.
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