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Interview
Posté le 10 octobre 2022 par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech
Fondée fin 2020 par Marc Robert et Dorian Joulié, Carboneo développe une technologie permettant de transformer par électrolyse le dioxyde de carbone (CO₂) d’origine industrielle en monoxyde de carbone (CO) et dioxygène (O2) ; deux molécules d’intérêt, susceptibles d’être réutilisées dans de nombreuses applications. Actuellement au stade de prototype, la solution mise au point par la jeune entreprise pourrait atteindre une phase de déploiement industriel à l’horizon 2025-2026.
Créée il y a à peine deux ans, Carboneo est le fruit des résultats prometteurs obtenus durant sa thèse, débutée en 2018, par Dorian Joulié, alors doctorant au sein de l’équipe du Pr. Marc Robert, spécialiste de la réduction du dioxyde de carbone. Tous deux se sont ainsi associés et occupent désormais les fonctions respectives de directeur de la technologie et de directeur scientifique de l’entreprise. Permettant de recycler le CO₂ à des conditions normales de pression et de température, la technologie d’électrolyse sur laquelle ils travaillent repose sur des cellules de transformation – dites « cellules à flux » – composées de deux compartiments ; l’un assure la transformation du CO₂ en CO, et l’autre de la molécule d’eau – utilisée comme électrolyte – en molécule de dioxygène. La transformation du CO₂ en CO se fait grâce à une électrode poreuse, sur laquelle est déposé un catalyseur à base de métaux abondants (fer ou cobalt). Dorian Joulié nous décrit plus en détail le fonctionnement et les intérêts de cette technologie, particulièrement prometteuse en matière de décarbonation de l’industrie.
Dorian Joulié : L’entreprise a presque deux ans. Elle a en effet été créée en novembre 2020, durant ma thèse, avec mon ancien directeur Marc Robert. Toute la technologie repose sur mon travail de thèse ainsi que sur les travaux de recherche de celui qui est maintenant mon associé, Marc Robert, qui travaille depuis une vingtaine d’années au laboratoire d’électrochimie moléculaire de Paris[1]. Il s’est consacré pendant ces deux décennies au sujet de la transformation de petites molécules par des procédés électrochimiques. Quand j’ai débuté ma thèse, en 2018, nous avons commencé à travailler sur la transformation du CO₂ en monoxyde de carbone à l’aide de catalyseurs moléculaires, dans une cellule à flux, afin d’atteindre des quantités de transformation proches d’un niveau industriel. Tout mon travail de thèse a ainsi consisté à montrer que l’on peut atteindre des productivités industrielles en laboratoire. Ceci pour pouvoir envisager l’agrandissement du système avec des électrolyseurs plus conséquents.
Le principe de base, en fait, est celui de l’électrolyse, qui consiste à casser une molécule à l’aide d’électrons. Notre technologie fonctionne donc comme un principe bien connu, l’électrolyse de l’eau, qui consiste à casser la molécule d’eau H2O, pour former des molécules d’H2 et d’O2. Avec notre solution, on casse non pas la molécule d’eau, mais la molécule de CO₂, pour produire des molécules de CO et d’O2. Tout cela a pour intérêt principal de pouvoir trouver des débouchés utiles à la molécule de départ, le CO₂. À la différence de l’électrolyse de l’eau, nous transformons non pas un liquide, mais un gaz. Dans le système, on injecte ainsi du CO₂ gazeux, et on en ressort du CO et de l’O2 gazeux. On fait également circuler un électrolyte, afin de maintenir l’apport d’anions et de cations.
L’électrolyse fait appel à deux électrodes. L’une, où est produit le dioxygène, est identique à celle employée dans l’électrolyse de l’eau. Elle permet de réaliser la réaction « H2O donne O2 ». De l’autre côté, à la place de l’électrode permettant de transformer H2O en H2 dans le cas de l’électrolyse de l’eau, nous avons mis en place une électrode permettant d’effectuer la transformation « CO₂ donne CO ». Pour cela, le catalyseur moléculaire est piégé dans une électrode poreuse, qui permet de faire réagir le CO₂ sur cette électrode. Pour faire simple, on pourrait tout à fait réaliser cette réaction sans catalyseur, c’est théoriquement possible, mais le catalyseur permet de ne réaliser que la transformation du CO₂ en CO. Si on n’avait pas le catalyseur, on réduirait l’eau, et l’on produirait ainsi également du H2, et d’autres molécules. Le catalyseur permet donc de réaliser une réaction uniquement avec le CO₂ et de réduire à son minimum l’énergie nécessaire pour transformer le CO₂. Il s’agit en effet d’une molécule très stable, qui nécessiterait donc, sans catalyseur, une énergie importante pour être transformée. Cette énergie peut être diminuée grâce à la catalyse.
En matière d’efficacité faradique – concrètement, ce à quoi servent les électrons que l’on injecte dans l’électrolyseur –, le procédé permet que plus de 90 % des électrons servent à transformer le CO₂ en CO. Les 10 % restants sont à l’origine de ce que l’on appelle des réactions parasites, transformant l’eau en dihydrogène ou le CO₂ en d’autres molécules.
En matière d’efficacité énergétique à proprement parler, le procédé se situe aux alentours de 50 %. C’est-à-dire que l’on utilise deux fois plus d’énergie que ce qui serait théoriquement nécessaire pour transformer le CO₂. Il existe en effet une barrière électrochimique très difficile à franchir et qui empêche d’atteindre une efficacité optimale.
À l’heure actuelle, nous arrivons à transformer 600 grammes de CO₂ par an, en laboratoire. Nous réalisons ceci sur nos petits électrolyseurs d’un centimètre carré. Mais nous travaillons sur l’agrandissement de ce système. Nous avons ainsi réalisé un prototype de 225 cm², un autre de 2 500 cm² et nous devrions prochainement en avoir un d’un mètre carré, qui serait capable de transformer six tonnes de CO₂ par an. Notre objectif est d’atteindre des niveaux encore plus élevés, de l’ordre de 30 tonnes de CO₂ transformé par an, voire 300 tonnes par an, ce qui est déjà beaucoup plus conséquent…
On utilise le CO pour d’autres applications que celles qui sont envisageables avec le CO₂. Cela va permettre d’atteindre d’autres systèmes. Notre dispositif d’électrolyse présente d’ailleurs l’avantage de produire séparément le CO et l’O2, il ne nécessite donc pas de procéder à leur séparation. Aujourd’hui, on constate, en observant le marché du CO₂, que l’on atteint des limites en matière de réutilisation. On ne sait pas faire énormément de choses avec cette molécule, au-delà du stockage ou de l’utilisation dans des systèmes de réfrigération par exemple. Mais tout cela n’est pas forcément très significatif. En revanche, la transformation de ce CO₂ en CO permet de viser d’autres débouchés, tels que l’industrie pharmaceutique, la microélectronique, ou encore la chimie. On peut en effet produire de nombreuses autres molécules à partir du CO : éthanol, plastiques… Grâce à ses nombreuses utilisations possibles, ce CO permet ainsi de donner une utilité au CO₂.
Notre objectif est de pouvoir réutiliser le CO sur site, là où le CO₂ qui en est à l’origine est produit. C’est plus simple, et cela permettrait surtout de limiter au maximum la logistique et ses impacts. Cela permettrait également de réduire l’impact de la production de CO, qui est aujourd’hui réalisée grâce à des procédés assez « sales » : purification de gaz naturel, combustion de charbon sous atmosphère très pauvre en dioxygène… Nous voulons ainsi remplacer ces méthodes polluantes de production de CO.
Aujourd’hui, nous avons quatre grands secteurs cibles : la pharmaceutique, la microélectronique, la métallurgie et la chimie. Réparties sur ces quatre grands secteurs, nous pourrions avoir environ 5 000 sites de production utilisant notre système. Cela représenterait ainsi plusieurs milliers, voire centaines de milliers de tonnes de CO₂ captées par an puis transformées. On pourrait même aller plus loin et trouver un autre marché au monoxyde de carbone, pour en faire, par exemple, des carburants… ou plein d’autres choses qui, elles-mêmes, permettraient de viser des marchés encore plus grands.
La technologie est actuellement au niveau TRL 4[2] environ. C’est-à-dire que notre preuve de concept en laboratoire fonctionne. Il nous faut maintenant parvenir à réaliser des agrandissements en laboratoire pour montrer que la technologie est viable à plus grande échelle. Ensuite, nous devrons passer en milieu réel. Nous devrons donc nous implanter avec un pilote chez un partenaire représentant une industrie cible. Nous pourrons ainsi continuer à agrandir l’électrolyseur, puis atteindre d’autres marchés pour faire un démonstrateur. Nous visons, pour cette étape, l’horizon 2025-2026, qui marquerait alors le début d’une véritable industrialisation de la technologie.
Nous avons pour l’heure trois prototypes en laboratoire et nous cherchons actuellement des sites qui pourraient accueillir nos futurs pilotes. Nous avons plusieurs contacts avec des industriels intéressés. Mais nous prenons notre temps afin de cibler au mieux le site le plus pertinent. Tout cela est en tout cas en cours.
Oui, nous savons déjà qu’elle serait rentable à l’échelle industrielle, notamment au vu du prix de l’électricité aujourd’hui. Ce qui reste à définir est le temps qui sera nécessaire pour atteindre cette rentabilité. Ce que nous avons prévu pour l’heure est d’avoir une rentabilité sur trois à quatre ans, pour une usine produisant environ 500 tonnes de CO₂ par an. Mais cela variera en fonction, notamment, du prix de l’électricité et des différentes taxes carbone. Nous sommes en tout cas assez confiants. D’autant plus qu’il s’agit d’un système robuste, qui dépend beaucoup du prix de l’électricité, certes, mais qui, finalement, peut trouver une vraie valeur en permettant de valoriser le CO₂.
Nous avons effectivement la volonté de privilégier des catalyseurs principalement à base de fer, ou en tout cas de métaux très abondants, faciles à produire et à utiliser, et surtout non soumis à des controverses géopolitiques ou environnementales.
Il ne faut effectivement pas oublier que nous ne sommes pas les seuls à faire cela. On peut par exemple citer Twelve, Dioxycle ou encore Prometheus Fuels. Ces acteurs ont d’autres approches, très intéressantes, qui permettent d’obtenir d’autres produits, avec d’autres catalyseurs. Cela montre qu’il s’agit d’un sujet d’actualité et que ces technologies devraient arriver sur le marché assez vite. Il est intéressant de voir toutes ces solutions émerger. Comme nous visons tous des produits finaux différents, à l’aide de catalyseurs qui le sont également, nous nous voyons plus comme des acteurs complémentaires plutôt que concurrents. Il y a largement assez de CO₂ à transformer pour que chacun puisse trouver sa place. En travaillant de concert, nous pourrons limiter fortement l’empreinte carbone de l’industrie.
Nous nous focalisons ainsi pour l’instant sur le bassin européen de la chimie et de la pharmaceutique : France, Belgique, Suisse, Allemagne, Autriche… Nous n’excluons toutefois pas, ensuite, de poursuivre le déploiement de notre technologie encore plus largement au niveau international.
[1] Unité Mixte de Recherche, Université Paris Cité, CNRS, UMR 7591, Sciences Chimiques
[2] Échelle TRL : technology readiness level, système de mesure permettant d’évaluer en fonction de neuf niveaux la maturité d’une technologie.
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Posté le 10 octobre 2022 par Benoît CRÉPIN
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