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Nous régulons tous nos émotions, chaque jour de notre vie. Grâce à ce processus psychologique, nous pouvons gérer la façon dont nous ressentons et exprimons nos émotions, quelle que soit la situation qui se présente. Mais chez certaines personnes, cette régulation n’est pas efficace. Les sentiments qu’elles éprouvent sont intenses et difficiles à supporter ce qui les amène souvent, pour leur échapper, à adopter des comportements tels que l’automutilation, la consommation d’alcool ou la suralimentation.
Pour réguler nos émotions, nous avons recours à diverses stratégies, telles que la réévaluation (qui consiste à changer ce que nous ressentons à propos de quelque chose) et le déploiement attentionnel (qui revient à détourner notre attention de quelque chose). Ces stratégies reposent sur des systèmes neuronaux sous-jacents du cortex préfrontal de notre cerveau. Si ceux-ci dysfonctionnent, nous pouvons perdre la capacité à gérer efficacement nos émotions.
Mais la dysrégulation émotionnelle ne se produit pas uniquement lorsque le cerveau néglige d’utiliser ses stratégies de régulation. Elle peut aussi survenir lorsque les tentatives pour atténuer les émotions non désirées s’avèrent infructueuses, ou encore lorsque des stratégies contre-productives d’atténuation sont mises en œuvre, c’est-à-dire lorsque le coût desdites stratégies est supérieur aux avantages à court terme procurés par l’atténuation d’une émotion intense. Décider de ne pas ouvrir ses factures pour s’épargner une crise d’anxiété peut aider à se sentir mieux à court terme, mais se traduit à long terme par une continuelle augmentation de coûts.
Les tentatives de régulation infructueuses et l’emploi d’atténuations contre-productives sont au cœur de nombreux problèmes de santé mentale, tels que les troubles anxieux et les troubles de l’humeur. Mais le chemin menant à la dysrégulation émotionnelle n’est pas toujours le même. En fait, la recherche a trouvé plusieurs causes à ces situations.
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Dans les troubles anxieux, le dysfonctionnement des systèmes émotionnels du cerveau se traduit par des réactions émotionnelles beaucoup plus intenses que celles qui se produisent habituellement, ainsi que par une perception accrue de la menace et une vision négative du monde. Ces caractéristiques influent sur l’efficacité des stratégies de régulation des émotions. En résulte une dépendance excessive vis-à-vis de stratégies inadaptées, par exemple celles consistant à éviter ou essayer de supprimer les émotions.
Dans le cerveau des personnes atteintes de troubles anxieux, le système sur lequel repose la réévaluation ne fonctionne pas aussi efficacement que dans le cerveau des personnes qui ne sont pas affectées. Lorsque cette stratégie d’atténuation des émotions est utilisée, certaines parties du cortex préfrontal sont moins activées comparativement à celles des personnes non anxieuses. En fait, plus le niveau des symptômes d’anxiété est élevé, moins ces régions du cerveau sont activées. Cela signifie que plus les symptômes sont intenses, moins ils peuvent être réévalués.
De même, les personnes atteintes de trouble dépressif majeur –qui se traduit par une incapacité à réguler ou réparer les émotions, se manifestant par de longs épisodes de dépression– éprouvent des difficultés à utiliser le contrôle cognitif pour gérer leurs émotions négatives et diminuer l’intensité de leur émotions. Ceci s’explique par des différences neurobiologiques, telles qu’une diminution de la densité de la matière grise et du volume du cortex préfrontal. Chez les personnes dépressives, on constate moins d’activation cérébrale et un métabolisme moins élevé dans cette région du cerveau lorsqu’elles accomplissent des tâches visant à réguler leurs émotions.
La fonction des systèmes cérébraux de motivation est par ailleurs parfois moins efficace chez les personnes atteintes de trouble dépressif majeur que chez les autres. Ces réseaux de connexions neurales relient le striatum ventral, situé au milieu du cerveau, et le cortex préfrontal. Ce fonctionnement moins performant pourrait expliquer leur moindre aptitude à réguler les émotions positives. Une difficulté connue sous le nom d’anhédonie), qui se traduit par un manque de plaisir et d’appétit pour la vie.
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Les capacités à utiliser une stratégie de régulation ou une autre varient selon les gens, cela ne fait aucun doute. Mais chez certains, il est des stratégies qui ne fonctionnent tout simplement pas. Il se peut que les personnes atteintes de troubles anxieux considèrent la réévaluation comme une stratégie moins efficace parce que le biais d’attention qui les affecte fait qu’ils accordent involontairement plus d’attention aux informations négatives et menaçantes. Cela peut les empêcher d’interpréter les situations de façon positive –ce qui constitue un aspect clé de la réévaluation.
Il est également possible que la réévaluation ne fonctionne pas aussi bien chez les personnes atteintes de troubles de l’humeur que chez les autres. Les biais cognitifs dont souffrent les personnes atteintes de trouble dépressif majeur peut les amener à interpréter les situations comme étant plus négatives qu’elles ne le sont, et à avoir du mal à éprouver des pensées positives.
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Bien que des stratégies inadaptées puissent aider les gens à se sentir mieux à court terme, elles se traduisent à long terme par des coûts dont les conséquences sont la persistance de l’anxiété et des troubles de l’humeur. Les personnes anxieuses comptent davantage sur des stratégies inadaptées telles que la suppression (qui consiste à essayer d’inhiber ou de cacher les réactions émotionnelles), et moins sur les stratégies d’adaptation comme la réévaluation. Bien que les recherches à ce sujet soient encore en cours, on pense que lorsqu’elles expérimentent des émotions intenses, ces personnes trouvent très difficile de se désengager –la première étape nécessaire à la réévaluation– et se tournent donc plutôt vers une stratégie inadaptée de suppression.
Le recours à des stratégies inadaptées comme la suppression et la rumination (au cours de laquelle les gens ont des pensées négatives et auto-dépréciatrices répétitives) est également une caractéristique fréquemment rencontrée chez les personnes souffrant de trouble dépressif majeur.
Il est important de souligner que les troubles de l’humeur ne sont pas uniquement dus à des anomalies neurologiques. Les recherches suggèrent qu’elles résultent d’une conjugaison de différents paramètres: physiologie cérébrale, psychologie et facteurs environnementaux contribuent ensemble à ces désordres.
Alors que les scientifiques recherchent de nouveaux traitements prometteurs, des actions simples peuvent aider les gens à atténuer l’influence des pensées et des émotions négatives sur leur humeur. Les personnes en proie à ces troubles peuvent par exemple vraiment gagner à s’engager dans des actions positives, en exprimant leur gratitude, en faisant montre de bonté envers les autres et en réfléchissant aux éléments qui constituent des atouts en terme de caractère.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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