Quelle politique pour les industries culturelles à l'ère du numérique ? | Terra Nova – Fondation Terra Nova

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Vente de livres en ligne, plateformes de diffusion musicale, cinéma à la demande sur les petits écrans, croissance des jeux vidéo : les mondes de la culture sont bouleversés depuis plusieurs années par le développement du numérique. Les « industries culturelles » (livre, musique, cinéma et audiovisuel, jeux vidéo) ne rencontrent plus leur public de la même façon, n’affrontent plus les mêmes contraintes ni les mêmes défis. Les innovations techniques dessinent un nouvel univers de mise à disposition des œuvres, qui nous a fait entrer dans un monde de l’abondance, et même de la surabondance. Les aspirations du public, dès avant le choc des confinements dus à la situation sanitaire, transformaient rapidement les usages. Comment la politique culturelle doit-elle s’adapter à cette nouvelle donne ? 
La politique culturelle a développé depuis plus de soixante ans une palette d’outils d’intervention (outils budgétaires, fiscaux, réglementaires, institutionnels…) permettant, avec un succès inégal, de poursuivre deux objectifs majeurs : la promotion de l’art et la démocratisation de l’accès à la culture. Elle s’est toujours adaptée à un contexte changeant. Mais la rupture à laquelle nous faisons face avec le développement du numérique est d’une ampleur inédite car elle concerne aussi bien les conditions de production, de reproduction, de stockage et de diffusion des œuvres que leurs modes de consommation, faisant entrer les artistes et leurs œuvres dans un système de circulation accéléré et global.
Après avoir décrit ces changements et pris la mesure de leur impact sur les industries culturelles, cette note se propose d’en tirer les conséquences pour les politiques culturelles. Faut-il changer les objectifs fondamentaux de l’action culturelle ? Le soutien à la création et la défense de la diversité restent des objectifs majeurs tandis que la question de la démocratisation a changé de nature dans une économie de surabondance. Mais ce sont surtout les outils de l’action publique qui sont remis en cause : dans un marché global, où s’affirment des acteurs transnationaux très puissants, la régulation sectorielle nationale ne fonctionne plus. Quels seraient donc les nouveaux outils pertinents ?
Après avoir illustré ces changements de perspective sur quatre enjeux actuels (le bilan du « pass Culture », l’avenir de l’audiovisuel public, le bouleversement de la chronologie des médias et la régulation des nouveaux acteurs globaux du numérique), la note développe de nouvelles priorités : assurer l’égalité d’accès à l’offre numérique, comprendre les nouveaux modèles économiques adaptés au changement des usages et des supports techniques pour favoriser des acteurs nationaux capables de soutenir une concurrence mondiale, soutenir parallèlement l’économie physique, mettre l’accent sur le pluralisme des systèmes de prescription en travaillant notamment sur la régulation des algorithmes de recommandation, se donner les moyens de synthétiser les connaissances disponibles sur un secteur qui n’en a sans doute pas encore fini avec la mutation en cours.
En 2019, le ministère de la Culture a fêté son 60e anniversaire. C’était aussi l’année de plusieurs décisions relatives à l’intervention publique dans les industries culturelles. Le président de la République a annoncé cette année-là la création d’un fonds public d’investissement en capital de 225 millions d’euros, géré par BPI France, en faveur des industries culturelles et créatives (ICC[1]), la mise en place d’un comité stratégique de filière (CSF) les concernant, ainsi que le lancement des états généraux des industries culturelles et créatives. Une nouvelle loi relative à l’audiovisuel est également entrée en discussion, et le Centre national de la musique (CNM) est enfin sorti des limbes[2].
Si l’importance des industries culturelles n’a jamais été niée par les pouvoirs publics en France, les bouleversements auxquels sont confrontés ces secteurs depuis plusieurs années, caractérisés par la numérisation et la croissance exponentielle des usages de l’Internet, laissent à penser que les instruments de politique publique jusqu’ici mis en œuvre ne sont plus adaptés aux défis de notre époque. En témoignent par exemple la nomination en 2019 d’un président du CNC au profil inédit sur un projet de rénovation du système et la concrétisation du Centre national de la musique (CNM) début 2020, comme manifestation d’un besoin de discuter collectivement[3] des enjeux et des solutions à mettre en œuvre.
Ces mutations nécessitent une réflexion fondée sur une appréhension du système dans son ensemble et une vision de ce que peut et doit être une intervention publique dans les industries culturelles à l’ère du numérique.
L’objectif de cette note est de proposer un cadre d’analyse des politiques publiques dans les différents secteurs des industries culturelles et de proposer des pistes de réflexion sur leur adaptation aux nouveaux enjeux. En particulier, elle interroge les spécificités de l’intervention publique dans ce domaine, en montrant qu’il ne peut s’agir ni d’une simple extension des politiques développées dans les secteurs d’intervention historiques, ni d’une simple politique industrielle qui ne prendrait pas en compte les spécificités des arts et de la culture. Elle interrogera aussi la pertinence d’une approche commune, ou générique, des industries culturelles.
Tableau 1 – Le poids des industries culturelles en France (en milliards d’euros)

LIVRE

MUSIQUE

CINÉMA

JEUX VIDEO

TÉLÉVISION

Chiffre d’affaires

(direct et connexe)

6,3

0,725*

3,8

5,2

12

LIVRE
MUSIQUE
CINÉMA
JEUX VIDEO
TÉLÉVISION
Chiffre d’affaires
(direct et connexe)
6,3
0,725*
3,8
5,2
12
Objectifs et modalités données 2018 – Source : France Créative (étude Ernst et Young et DEPS ministère de la Culture)
* Ce chiffre correspond aux revenus des distributeurs et diffuseurs de musique enregistrée et non à ceux de l’ensemble de la filière musicale dans laquelle le spectacle vivant occupe une place importante.
L’étude Ernst & Young évalue à 91,4 Mds€ le chiffre d’affaires des industries culturelles et créatives en 2018. Cette étude inclut également dans le périmètre des ICC : la publicité (17 Md€), la presse (10,5 Md€) et la radio (1,5 Md€).
Outre les secteurs listés dans le tableau 1, E &Y inclut dans le périmètre des ICC deux secteurs culturels « traditionnels » :
– les arts visuels – 23,4 Md€
– le spectacle vivant – 9,1 Md€
Les industries culturelles au sens strict (livre, musique, cinéma, jeux vidéo), pèsent ensemble un peu plus du quart des ICC (27 %), et 45 % du domaine culturel.
Les principales missions confiées au ministère français de la Culture[4] lors de sa création[5] concernaient deux volets principaux.
1) La défense et la promotion de l’art : il s’agit d’une part du patrimoine (préservation, conservation et mise en valeur du patrimoine national, musées, monuments historiques, dépôt légal, archives audiovisuelles de l’INA[6]), d’autre part de la création (soutien aux artistes, aux structures qui les accueillent et aux projets qu’ils développent). Ces deux aspects sont souvent présentés séparément mais ils se complètent en ce qu’ils correspondent à la dimension spécifiquement artistique des politiques culturelles et répondent à une logique d’offre. Ils sont en outre fortement, et de façon croissante, inter corrélés[7].
2) La démocratisation : il s’agissait de légitimer le financement public des arts par une fonction émancipatrice (« donner accès à chaque citoyen aux chefs-d’œuvre artistiques »). Une politique intensive de l’offre (concernant notamment la culture vivante, création de théâtres publics et de maisons de la culture, mouvement de décentralisation théâtrale et musicale) a été emblématique de cette ambition. Cette politique a rencontré d’importantes limites[8], et ses résultats se sont révélés au fil du temps relativement décevants : l’évolution de la structure sociale des publics artistiques est restée modeste, le niveau d’éducation restant le principal déterminant de la consommation des formes d’art « légitimes[9] ». Dans le même temps, le développement des industries culturelles (livre, musique enregistrée, cinéma), donnant accès à un large public à des œuvres de toute nature, a conduit à mettre en évidence leur contribution au processus de démocratisation[10].
Au-delà de ces objectifs fondateurs, une autre mission de la politique culturelle française est apparue : préserver ou promouvoir l’identité culturelle nationale (d’abord connue sous le nom d’« exception culturelle[11] ») et favoriser la diversité dans la création contre le risque de standardisation[12].
Les arts et la culture sont également considérés comme générateurs d’externalités positives (contribution au bien-être social et à l’activité économique, élévation du niveau d’éducation, etc.) et méritent de ce point de vue d’être soutenus par les pouvoirs publics.
La croissance et l’importance économique des industries culturelles et créatives ont enfin conduit à identifier un objectif de politique industrielle : le soutien à des industries considérées comme stratégiques du point de vue de leur poids économique et de leur contribution à la création d’emplois.

1.2 Modalités de l’action publique

Du fait des problématiques spécifiques qu’elles soulèvent, cette note se centre sur les actions de l’État vis-à-vis des industries culturelles (livre, musique, cinéma et audiovisuel, jeux vidéo[13]). Néanmoins, pour construire une vision générale, nous évoquerons aussi ce qui peut être fait dans d’autres secteurs (arts plastiques, patrimoine, spectacle vivant).
L’action publique en faveur de la culture a été structurée autour de différentes formes d’intervention, dont la palette s’est enrichie au fil du temps.

1.2.1 L’intervention directe : l’État acteur

Dans cette configuration, l’État gère directement certaines activités par l’intermédiaire d’établissements publics ou d’entreprises publiques. Ce mode d’intervention concerne surtout les services culturels (patrimoine et spectacle vivant) et peu les industries culturelles, à l’exception notable du service public de l’audiovisuel[14].

1.2.2 L’intervention indirecte : l’État financeur

L’État intervient dans l’économie de certains secteurs par le biais de subventions (fonctionnement et équipement) ou de dotations financières. Deux objectifs légitiment ce type d’intervention :
– corriger les imperfections du marché ;
– surmonter les difficultés des acteurs à prendre des risques, compte tenu de l’incertitude inhérente à la création artistique.
Les financements peuvent être attribués à des projets ou à des structures (associatives ou dotées de missions d’intérêt public), sur des périodes qui peuvent être pluriannuelles. Si la seconde modalité est beaucoup moins développée dans les industries culturelles pour des questions de droit de la concurrence, la première a un terrain d’application plus large et concerne l’ensemble des secteurs culturels. Elle se veut un moyen de stimuler la création : commande publique (arts plastiques), aides à l’écriture ou à la production d’œuvres (spectacle vivant, cinéma), aides aux auteurs et éditeurs (livre) figurent parmi les mesures les plus fréquemment utilisées.
Il faut noter l’existence dans certains secteurs (cinéma et audiovisuel)[15] d’un mécanisme particulier, dit fonds de soutien, dont le principe de fonctionnement est le suivant. Le fonds est alimenté par une taxe parafiscale prélevée sur le prix du service final (place de cinéma) ou sur le chiffre d’affaires des diffuseurs (télévision). Les sommes recueillies sont utilisables par les acteurs nationaux du secteur concerné, de manière automatique ou sélective, pour financer leur activité (production, distribution, etc.). Ce mécanisme trouve son expression la plus aboutie dans le « fonds de soutien cinéma – audiovisuel – multimédia » du CNC. Pour dire les choses brièvement, en prélevant une taxe sur le prix de chaque billet de cinéma pour financer les nouvelles productions, il consiste en un système d’épargne forcée assorti d’un mécanisme de redistribution.

1.2.3 Influence sur la structure des marchés : l’État régulateur

Les industries culturelles étant majoritairement le fait d’entreprises privées sur lesquelles l’État peut difficilement intervenir directement sans contrevenir au droit de la concurrence, la régulation est le mode d’action le plus évident, et sans doute le plus structurant. Des mesures réglementaires visant à infléchir le fonctionnement du marché permettent de répondre aux grands objectifs de la politique culturelle, principalement (mais pas exclusivement) la préservation de la diversité de la création.
Loi sur le prix unique du livre, quotas de diffusion de programmes français imposés aux diffuseurs (radios et télévisions), chronologie de diffusion des œuvres cinématographiques, mesures anti-concentration, autorisation ou non de la publicité : le panel des instruments est divers et varié. Il faut ajouter à ce panorama la lutte contre le piratage, à laquelle répond la création de l’HADOPI (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet[16]). Notons enfin l’existence en France d’un régime particulier d’assurance-chômage applicable aux artistes et techniciens du spectacle : le « régime de l’intermittence  ». Créé en 1936 pour les techniciens du cinéma, il a été étendu en 1969 aux professionnels du spectacle (audiovisuel et spectacle vivant). La justification d’un régime spécifique est fondée sur le fait que, dans un secteur où le fonctionnement par projet est la norme, les périodes de chômage s’inscrivent « naturellement « dans les intervalles séparant la participation à deux projets[17].

1.2.4 La fiscalité

Des dispositions fiscales particulières permettent à l’État de soutenir certains secteurs culturels :
– taux de TVA réduit (exemple du livre) ;
– déductions fiscales pour les particuliers et entreprises qui effectuent « des versements au profit d’organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres du spectacle vivant, de musique et du cinéma » (loi Aillagon de 2003 sur le mécénat)[18] ;
– mécanismes de crédit d’impôt afin de localiser (ou de relocaliser) des activités de production sur le territoire national (cinéma, jeux vidéo et production musicale) ;
– régime fiscal particulier applicable aux droits d’auteur et aux droits voisins[19].

 1.2.5 La médiation

La fonction de médiation a été introduite en 1982 dans le cinéma, plus récemment dans d’autres industries culturelles : en 2014 dans le livre et en 2016 dans la musique.
En nommant un médiateur, l’État s’interdit d’imposer une réglementation à toute une profession mais intervient pour régler un conflit qui oppose certains acteurs du marché en organisant et encadrant les négociations.

1.2.6 La formation

Les actions publiques dans le domaine de la formation comprennent deux volets, selon qu’il s’agit de formation professionnelle (formation aux métiers de la culture) ou générale (concernant l’ensemble de la population).
Concernant le volet professionnel, l’État intervient en amont des marchés en prenant en charge la formation dans des écoles spécialisées, dans l’objectif de maintenir une haute technicité de la main-d’œuvre française et de fournir aux entreprises installées en France des professionnels qualifiés[20].
À côté de l’enseignement professionnel, il faut mentionner tout ce qui relève de l’éducation artistique et culturelle (EAC), qui est proposé aussi bien par l’État (à l’école primaire) que par les collectivités locales (écoles de musique, conservatoires…). Cet enseignement général vise à mettre en contact la jeunesse avec l’histoire de l’art et les œuvres culturelles dans une logique de formation des goûts, qui conduira aux pratiques culturelles de l’âge adulte[21]. Il concerne également le développement des pratiques amateurs[22].

1.2.7 La labellisation

La labellisation d’institutions ou d’entreprises culturelles remonte aux années 1980, avec la création dans le domaine patrimonial du label « musée classé et contrôlé », remplacé depuis la loi de 2002 par le label « musée de France ». Dans les industries culturelles, la labellisation concerne le cinéma avec les salles classées « art et essai » et l’industrie du livre avec les « librairies indépendantes de référence ». Cette labellisation ouvre le droit à des subventions.

1.2.8 Centres nationaux

Il faut enfin noter, dans tous les secteurs, à l’exception de celui des jeux vidéo, l’existence d’un centre national, établissement public dont le périmètre d’intervention est variable mais qui est le plus souvent un lieu de concertation et de coordination entre l’État et la profession. La création de ces centres correspond à une logique horizontale de rencontre entre les différents partenaires d’un secteur[23] se substituant à une logique verticale d’administration par une direction du Ministère[24].

Centre national du livre (CNL)

Le CNL est un établissement public à caractère administratif créé par la loi du 11 octobre 1946 (alors Centre national des lettres). Il attribue, sur avis de différentes commissions, des aides aux auteurs, aux éditeurs, aux libraires et aux bibliothèques.

Financé entre 1976 et 1978 par une taxe sur les appareils de reproduction et d’impression, il est depuis le 19 janvier 2019 financé en totalité sur le budget de l’État. Budget 2019 : 24 M€.

Centre national de la musique (CNM)

Le CNM, établissement public à caractère industriel et commercial, a été créé par la loi du 30 octobre 2019 et est entré en activité en 2020. Le CNM interviendra dans tous les champs du secteur, spectacle vivant et musique enregistrée, en soutien à la création, par des dispositifs financiers, d’expertise, et aussi comme observatoire de la profession. Le CNM a fusionné plusieurs structures existantes autour du Centre national des variétés, de la chanson et du jazz (CNV), qui perçoit une taxe sur chaque billet de concert et redistribue selon les années environ 30 M€ d’aides à la filière : y sont agrégés le Fonds pour la création musicale (FCM), le centre Information et ressources pour les musiques actuelles (IRMA), le Bureau export de la musique française (Burex) et le Club action des labels et des disquaires indépendants (Calif). Budget 2020 : 50 M€.

Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)

Le CNC est un établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière ; il a été créé par la loi du 25 octobre 1946 ; il a six missions principales (réglementation du cinéma, soutien à l’économie du cinéma et de l’audiovisuel, promotion, protection et diffusion du patrimoine cinématographique, actions européennes et internationales, classification).

Le CNC est placé sous l’autorité du ministère de la Culture. Son fonds de soutien à la création, comme ses frais de fonctionnement, ne sont pas ponctionnés sur le budget de la culture. Ils proviennent de taxes prélevées dans le secteur, (taxe sur le prix des billets de cinéma, taxe sur le chiffre d’affaires  des chaînes de télévision, etc.). Budget initial 2020 : 675,3 M€ (budget révisé : 588,9 M€[25]).

1.3 Liens entre objectifs et modalités d’action

Centre national du livre (CNL)
Le CNL est un établissement public à caractère administratif créé par la loi du 11 octobre 1946 (alors Centre national des lettres). Il attribue, sur avis de différentes commissions, des aides aux auteurs, aux éditeurs, aux libraires et aux bibliothèques.
Financé entre 1976 et 1978 par une taxe sur les appareils de reproduction et d’impression, il est depuis le 19 janvier 2019 financé en totalité sur le budget de l’État. Budget 2019 : 24 M€.
Centre national de la musique (CNM)
Le CNM, établissement public à caractère industriel et commercial, a été créé par la loi du 30 octobre 2019 et est entré en activité en 2020. Le CNM interviendra dans tous les champs du secteur, spectacle vivant et musique enregistrée, en soutien à la création, par des dispositifs financiers, d’expertise, et aussi comme observatoire de la profession. Le CNM a fusionné plusieurs structures existantes autour du Centre national des variétés, de la chanson et du jazz (CNV), qui perçoit une taxe sur chaque billet de concert et redistribue selon les années environ 30 M€ d’aides à la filière : y sont agrégés le Fonds pour la création musicale (FCM), le centre Information et ressources pour les musiques actuelles (IRMA), le Bureau export de la musique française (Burex) et le Club action des labels et des disquaires indépendants (Calif). Budget 2020 : 50 M€.
Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)
Le CNC est un établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière ; il a été créé par la loi du 25 octobre 1946 ; il a six missions principales (réglementation du cinéma, soutien à l’économie du cinéma et de l’audiovisuel, promotion, protection et diffusion du patrimoine cinématographique, actions européennes et internationales, classification).
Le CNC est placé sous l’autorité du ministère de la Culture. Son fonds de soutien à la création, comme ses frais de fonctionnement, ne sont pas ponctionnés sur le budget de la culture. Ils proviennent de taxes prélevées dans le secteur, (taxe sur le prix des billets de cinéma, taxe sur le chiffre d’affaires  des chaînes de télévision, etc.). Budget initial 2020 : 675,3 M€ (budget révisé : 588,9 M€[25]).
Les liens entre objectifs et modalités d’action des politiques culturelles sont présentés dans le tableau 2[26]. On observe que les actions « classiques » de financement visent principalement le soutien à la création alors que la régulation a pour objectif principal la préservation de la diversité[27]. Plusieurs types d’action contribuent à la démocratisation (laquelle peut également être un objectif secondaire de certaines actions, par exemple certaines actions de mécénat visent un public spécifique).
Tableau 2 – Liens entre objectifs et modalités d’action des politiques culturelles26

CRÉATION

DÉMOCRATISATION

DIVERSITÉ

Acteur

x

x

Financeur

  • Subvention : structure
  • Subvention : projet
  • Fonds de soutien

x

x

x

x

Régulateur

  • Prix unique
  • Quotas
  • Chronologie  des médias
  • Dispositifs anticoncentration
  • Interdiction de la publicité

x

x

x

x

x

Fiscalité

  • TVA
  • Crédit d’impôt
  • Mécénat
  • Droit d’auteur

x

x

x

x

Médiation

  • Centres nationaux

x

Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

1.4 L’intervention publique dans les industries culturelles : le cas français

CRÉATION
DÉMOCRATISATION
DIVERSITÉ
Acteur
x
x
Financeur

  • Subvention : structure
  • Subvention : projet
  • Fonds de soutien

x

x

x

x

Régulateur

  • Prix unique
  • Quotas
  • Chronologie  des médias
  • Dispositifs anticoncentration
  • Interdiction de la publicité

x

x

x

x

x

Fiscalité

  • TVA
  • Crédit d’impôt
  • Mécénat
  • Droit d’auteur

x

x

x

x

Médiation

  • Centres nationaux

x

Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

x
x
x
x
Régulateur

  • Prix unique
  • Quotas
  • Chronologie  des médias
  • Dispositifs anticoncentration
  • Interdiction de la publicité

x

x

x

x

x

Fiscalité

  • TVA
  • Crédit d’impôt
  • Mécénat
  • Droit d’auteur

x

x

x

x

Médiation

  • Centres nationaux

x

Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

x
x
x
x
x
Fiscalité

  • TVA
  • Crédit d’impôt
  • Mécénat
  • Droit d’auteur

x

x

x

x

Médiation

  • Centres nationaux

x

Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

x
x
x
x
Médiation

  • Centres nationaux

x

Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

x
Formation

  • Professionnelle
  • Education artistique

x

x

Labellisation

x

x
x
Labellisation
x
Différents outils d’intervention publique sont mobilisés dans quatre secteurs des industries culturelles en France : le livre, la musique, le cinéma et les jeux vidéo. Sans chercher à être exhaustifs, nous mettons l’accent sur les mesures les plus emblématiques pour chacun d’eux.

1.4.1 Cinéma et audiovisuel

Le cinéma est, de longue date, l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics français. C’est dans ce domaine que la notion d’exception culturelle a été développée et qu’elle a été le plus mise en avant. De nombreuses mesures encadrent l’activité cinématographique (compte de soutien, chronologie des médias, modalités de diffusion des films à la télévision…) faisant du modèle français un cas à part dans le paysage européen, soutenu par une activité intense de lobbying de la profession, à la fois aux niveaux national et européen.

La chronologie des médias est la règle définissant l’ordre et les délais dans lesquels les diverses exploitations d’une œuvre cinématographique peuvent intervenir (salle, DVD, VOD, TV, SVOD…). Ce concept sera analysé plus loin de façon plus détaillée.

Principale originalité du système français, les interventions directes financées par le budget de l’État sont pratiquement inexistantes[28]. Le soutien financier est pour l’essentiel alimenté en interne, par les contributions obligatoires des entreprises concernées par les exploitations des films : salles de cinéma ; chaînes de télévision ; éditeurs vidéo.
Il comporte deux composantes principales :
1) les aides automatiques et sélectives du Compte de soutien géré par le CNC, dont la part cinéma est financée par la taxe spéciale additionnelle (TSA) sur le prix des places de cinéma, la taxe sur les diffuseurs télévisuels, la taxe sur l’édition vidéo ;
2) les obligations d’investissement des chaînes nationales dans le financement d’œuvres cinématographiques françaises et européennes, sous forme de préachat de droits de diffusion ou d’apports en coproduction.
En dehors du compte de soutien, le système de financement des films est complété par plusieurs mécanismes visant à faciliter l’accès des producteurs aux ressources nécessaires dans le contexte d’une industrie de coûts fixes :
– un système de crédit et de garanties bancaires, organisé autour de l’Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), permettant notamment aux producteurs d’obtenir dans des conditions favorables des avances de trésorerie sur les contrats passés ou les aides attendues ;
– une incitation fiscale visant à favoriser le financement des films par des fonds privés (notamment de particuliers), les Sociétés de financement du cinéma et de l’audiovisuel (SOFICA) ;
– des aides pouvant être obtenues au niveau national (fonds régionaux), ou européen (fonds Eurimages).

1.4.2 Livre

Le système français de soutien financier au cinéma est assujetti au respect d’un cadre réglementaire portant sur la production (définition de l’œuvre cinématographique, conditions de l’agrément pour avoir accès au compte de soutien…) et la diffusion (chronologie des médias, quotas d’œuvres françaises et européennes pour les chaînes de télévision…).
Bien que la littérature ne représente qu’un peu plus de 20 % du marché du livre[29], la défense de la diversité et de la créativité de ce segment a inspiré des mesures de politique publique, en particulier la plus importante : la loi sur le prix unique du livre[30] (juin 1981) qui limite de manière drastique la possibilité de réduire les prix des livres afin de protéger le réseau de libraires contre la concurrence de la grande distribution. Cette loi, loin d’être une simple défense du petit commerce, visait deux objectifs principaux :
1) la diversité de la création ;
2) l’accès le plus large possible aux œuvres grâce au maintien d’un réseau de librairies, généralistes ou spécialisées, et un accès égal au livre sur l’ensemble du territoire, à travers la densité du commerce du livre[31].
Il s’agissait de limiter le pouvoir de marché des grandes surfaces en interdisant la compétition par les prix. Une telle concurrence, en rognant les marges unitaires élevées de la librairie, aurait contraint les libraires à limiter leur effort de promotion en faveur des livres au taux de rotation faible et ainsi nui à la diversité de la création. Elle a permis de maintenir un réseau dense de points de vente sur le territoire et a contribué à préserver la vitalité de l’édition française, au contraire de pays voisins qui ont vu leur réseau de librairies s’effondrer[32].

1.4.3 Musique

La domination du marché de la musique enregistrée par des sociétés multinationales peut expliquer que l’industrie ait pu avoir un pouvoir de lobbying nettement moins important que celui de l’industrie du livre, où les acteurs nationaux (écrivains, éditeurs, libraires…) ont un rôle prédominant. De plus, en dehors de genres « nobles » (le classique et, dans une moindre mesure, le jazz) dont la part de marché est modeste, la musique enregistrée n’a pas la même valeur symbolique que la littérature ou plus généralement l’écrit[33]. En conséquence, si l’État soutient directement la musique vivante (opéras, orchestres nationaux et régionaux, festivals de musique classique et de musique actuelle), son intervention sur l’économie de la musique enregistrée repose principalement sur des instruments de régulation.
La principale de ces mesures est un système de quotas imposés aux radiodiffuseurs. Ceux-ci sont en effet tenus depuis 1996[34] de diffuser sur leurs antennes au moins 40 % de chansons françaises ou francophones, dont la moitié de nouveaux talents et nouvelles productions. La radio a longtemps été le moyen privilégié pour faire connaître un artiste ou un titre, et leur exposition sur les ondes a un impact direct sur les ventes d’albums. L’imposition de quotas de diffusion a comme objectif de promouvoir la production nationale et de favoriser la diversité de la création.

1.4.4 Jeux vidéo

L’industrie du jeu vidéo est apparue plus récemment dans le spectre des préoccupations de politique publique. La reconnaissance de la créativité dans le processus de production, la place très importante qu’occupent les jeux vidéo chez les consommateurs, et pas seulement les plus jeunes, la santé économique du secteur et l’existence d’un « champion national » (Ubisoft) ont pu motiver l’intérêt croissant des autorités, en témoigne par exemple la création en 2008 d’un fonds d’aide au jeu vidéo, cofinancé par le ministère de l’Économie et des Finances et le CNC[35].
Le jeu vidéo français bénéficie d’interventions publiques de deux types. Le crédit d’impôt vise à soutenir l’ensemble de l’industrie nationale face à une concurrence internationale dans laquelle les coûts salariaux sont décisifs (objectif de politique industrielle). À côté du crédit d’impôt, d’autres dispositifs existent pour soutenir des projets spécifiques, dans l’esprit des systèmes d’aides sélectives existant dans les autres industries culturelles, le cinéma en particulier.

1.4.5 Synthèse

Le tableau 3 ci-après montre, d’une part, la diversité des outils mis en œuvre dans les différents secteurs, et de l’autre l’opposition entre les secteurs selon l’intensité de l’intervention publique : livre et cinéma vs musique et jeux vidéo.
Nous pouvons également noter que les politiques publiques dans les industries culturelles se sont progressivement enrichies pour s’adapter à un contexte éminemment changeant. Par exemple, si le CNC est né après la guerre, le système d’intervention publique dans le cinéma s’est étendu au fur et à mesure que les modes de diffusion des œuvres cinématographiques se sont diversifiés (salle, télévision, vidéo domestique, vidéo à la demande…) : la TSA date de 1948, l’avance sur recettes de 1959, la première chronologie des médias de 1980…
Tableau 3 – L’intervention publique sur les industries culturelles

LIVRE

MUSIQUE

CINÉMA

JEU VIDEO

Acteur

– Bibliothèques

– Documentation Française

– Stations musicales de Radio France (France Musique, Le Mouv’)

– Filiales cinéma de France Télévisions

– Cinémathèque

 

Financement

Subventions et aides au projet

Fonds de soutien

Régulation

Dont interdiction de la publicité TV

Prix unique

Partielle

Quotas radio

Non

– Chronologie des médias

– Obligations de production et de diffusion

Oui (en cours de révision)

Non

Fiscalité

Taux de TVA réduit

Crédit d’impôt

Crédit d’impôt

Soficas

Crédit d’impôt

Médiation

Médiateur du livre

Médiateur de la musique

CNC

Médiateur du cinéma

Formation

ENSIB

Conservatoires

– Femis

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Les transformations ayant affecté le champ culturel depuis deux décennies reposent sur deux facteurs principaux : la technologie et la consommation. Ils ont amené deux ruptures principales dans l’organisation et l’économie des industries culturelles. Ces ruptures, dont l’effet le plus visible et le plus structurant est l’émergence des plateformes comme acteurs centraux des secteurs, doivent être analysées dans leur dynamique, afin de permettre de définir le cadre dans lequel doit se repenser l’intervention publique.

2.1 Facteurs de rupture

Les facteurs technologiques (numérisation et dématérialisation des contenus menant à la mondialisation de la diffusion et à l’émergence de nouveaux acteurs) et sociologiques (nouveaux modes de consommation) sont traités séparément pour la clarté de l’exposé mais il convient de noter qu’ils interagissent fortement.

2.1.1 Technologie

Le premier facteur de rupture a été la substitution des technologies analogiques par des technologies numériques pour le codage, le transport et le stockage des contenus. Le développement des industries culturelles au XXe siècle a été fondé sur la reproduction des œuvres d’art sur des supports physiques spécifiques à chaque industrie. Avec la numérisation, tout contenu, quelle qu’en soit la nature (texte, son, image fixe ou animée), peut être codé sous la forme d’une suite de nombres[36]. Cette technologie crée un format d’encodage commun pour toutes les industries culturelles : les réseaux, comme les supports, sont devenus universels. Cette convergence technologique a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs, aussi bien dans les industries culturelles que dans d’autres secteurs économiques.
Le second facteur décisif a été la naissance et le développement exponentiel dInternet, qui permet la transmission rapide et peu coûteuse de fichiers numériques partout dans le monde. Cette innovation a entraîné une véritable révolution dans la circulation des contenus culturels.
La première conséquence de la conjonction de ces deux phénomènes est la globalisation et la déterritorialisation des industries culturelles. Alors que les industries traditionnelles dépendaient pour leur diffusion d’installations matérielles implantées localement (librairies, cinémas, disquaires ou grandes surfaces[37]), il est désormais techniquement possible d’envoyer n’importe quel contenu culturel (un fichier numérique) de n’importe quel endroit dans le monde à un autre. Cela ne signifie pas que les frontières ont totalement disparu. La diffusion des œuvres reste assujettie aux législations locales et à la détention des droits[38] et les publics conservent des spécificités, par exemple linguistiques.
Cette rupture des liens entre diffusion et territoires a un impact décisif sur les politiques culturelles car les interventions de l’État (dans la culture comme dans d’autres secteurs économiques) se limitent généralement à son territoire national.
Les entreprises du secteur culturel explorent depuis longtemps les synergies entre les secteurs, ce qui a favorisé, avec plus ou moins de succès, l’émergence de groupes multimédias[39]. Ces synergies sont facilitées par les évolutions technologiques mais reposent également sur des arguments marketing : exploitation de la notoriété d’un artiste ou d’une œuvre et valorisation sur différents modes de diffusion.

LE CONCEPT DE PLATEFORME

Les plateformes ont pour fonction la mise en relation d’acheteurs et de vendeurs.

Dans la théorie économique, elles correspondent au cas des marchés bifaces (ou multifaces). Ces marchés bifaces mettent en relation deux (ou plusieurs) groupes d’agents, qui ont des gains potentiels à interagir. Une plateforme rend possible ou facilite les transactions entre ces groupes. Par exemple, une chaîne de télévision gratuite met en relation des annonceurs publicitaires et des téléspectateurs/ consommateurs.

La plateforme est rémunérée par les deux catégories d’agents, de façon généralement asymétrique (pouvant aller jusqu’à la gratuité pour l’une d’entre elles, le plus souvent les acheteurs).

Le concept de plateforme préexistait au développement technologique* mais Internet a démultiplié le mécanisme des externalités de réseau en en élargissant la portée et la vitesse : le nombre de produits ou services référencés est quasi infini, et l’accès instantané à un marché mondial est devenu possible.

Les externalités de réseau peuvent être directes (l’utilité pour un agent dépend du nombre des autres utilisateurs) ou indirectes dans le cas des marchés bifaces (le bénéfice d’un agent dépend du nombre d’agents de l’autre groupe). Elles sont la source de rendements croissants (plus l’entreprise est grosse, plus elle est efficace), ce qui conduit les entreprises à mener des stratégies de conquête rapide de parts de marché et aboutit à des situations de monopoles ou quasi-monopole (situation dite de « the winner takes all »).

Le modèle des plateformes s’oppose au modèle « vertical » classique dans la distribution des produits, où un distributeur achète des biens à des fournisseurs pour les revendre à des clients sans qu’il y ait d’interactions entre fournisseurs et clients[40].

* Jean Tirole donne l’exemple d’un marché de fruits et légumes où des producteurs louent des emplacements pour avoir accès aux acheteurs (in Tirole J., Économie du bien commun, PUF, 2016, p. 513).

LE CONCEPT DE PLATEFORME
Les plateformes ont pour fonction la mise en relation d’acheteurs et de vendeurs.
Dans la théorie économique, elles correspondent au cas des marchés bifaces (ou multifaces). Ces marchés bifaces mettent en relation deux (ou plusieurs) groupes d’agents, qui ont des gains potentiels à interagir. Une plateforme rend possible ou facilite les transactions entre ces groupes. Par exemple, une chaîne de télévision gratuite met en relation des annonceurs publicitaires et des téléspectateurs/ consommateurs.
La plateforme est rémunérée par les deux catégories d’agents, de façon généralement asymétrique (pouvant aller jusqu’à la gratuité pour l’une d’entre elles, le plus souvent les acheteurs).
Le concept de plateforme préexistait au développement technologique* mais Internet a démultiplié le mécanisme des externalités de réseau en en élargissant la portée et la vitesse : le nombre de produits ou services référencés est quasi infini, et l’accès instantané à un marché mondial est devenu possible.
Les externalités de réseau peuvent être directes (l’utilité pour un agent dépend du nombre des autres utilisateurs) ou indirectes dans le cas des marchés bifaces (le bénéfice d’un agent dépend du nombre d’agents de l’autre groupe). Elles sont la source de rendements croissants (plus l’entreprise est grosse, plus elle est efficace), ce qui conduit les entreprises à mener des stratégies de conquête rapide de parts de marché et aboutit à des situations de monopoles ou quasi-monopole (situation dite de « the winner takes all »).
Le modèle des plateformes s’oppose au modèle « vertical » classique dans la distribution des produits, où un distributeur achète des biens à des fournisseurs pour les revendre à des clients sans qu’il y ait d’interactions entre fournisseurs et clients[40].
* Jean Tirole donne l’exemple d’un marché de fruits et légumes où des producteurs louent des emplacements pour avoir accès aux acheteurs (in Tirole J., Économie du bien commun, PUF, 2016, p. 513).
L’émergence de plateformes mondiales de diffusion numérique de contenus culturels (cf.  encadré) est une conséquence fondamentale de ces évolutions. Ces acteurs peuvent provenir d’Internet ou du monde technologique (les GAFA ou leurs équivalents chinois) ou se développer spécifiquement dans le domaine culturel (Netflix, Spotify). Le pouvoir de marché et les ressources financières de certains de ces acteurs sont incomparables avec ceux des entreprises des industries culturelles traditionnelles.
Lorsque ces entreprises n’ont pas leur cœur de métier dans le domaine culturel (c’est le cas aujourd’hui des GAFA), le contenu disponible est généralement fourni à bas prix ou parfois gratuitement. Il sert dans certains cas à augmenter l’attractivité et la fréquentation de la plateforme et donc ses recettes publicitaires (Google, Facebook) ; dans d’autres cas, il stimule l’achat de matériel technologique fourni par l’entreprise et vendu avec de fortes marges (Apple). Pour Amazon, qui est aujourd’hui une place de marché universelle, il constitue un produit d’appel pour son offre « Prime[41] », qui est génératrice de recettes élevées. Par ailleurs, la plateforme se considérant comme un hébergeur et non comme un diffuseur responsable des contenus qu’elle propose, on a vu émerger de sérieuses questions sur le respect des droits de propriété intellectuelle[42].
       Tableau 4 – Poids comparés de quelques acteurs des industries culturelles

CHIFFRE D’AFFAIRES

2020 (milliards $)

CAPITALISATION BOURSIÈRE

au 17/05/2021 (milliards $)

APPLE

274

2 106

AMAZON

386

1 650

GOOGLE

183

1 544

FACEBOOK

84

756

ALIBABA

72

572

TENCENT

74

743

NETFLIX

25

216

VIVENDI

20

39

GROUPE TF1

2,5

2,1

          Source : rapports d’activité des entreprises (CA) – Boursorama (capitalisation boursière)

 

 

CHIFFRE D’AFFAIRES
2020 (milliards $)
CAPITALISATION BOURSIÈRE
au 17/05/2021 (milliards $)
APPLE
274
2 106
AMAZON
386
1 650
GOOGLE
183
1 544
FACEBOOK
84
756
ALIBABA
72
572
TENCENT
74
743
NETFLIX
25
216
VIVENDI
20
39
GROUPE TF1
2,5
2,1
          Source : rapports d’activité des entreprises (CA) – Boursorama (capitalisation boursière)
 
 
Le tableau 4 montre sans équivoque que les poids lourds à l’échelle nationale (Vivendi et le groupe TF1) pèsent bien peu si on les compare aux entreprises technologiques américaines ou aux deux géants chinois Alibaba et Tencent, tous des groupes diversifiés. Même Netflix, qui est une entreprise dont l’activité est intégralement « culturelle » (principalement SVOD), a un chiffre d’affaires supérieur à Vivendi et une capitalisation boursière bien plus élevée.

2.1.2 Consommation

Le développement du numérique s’est traduit de facto par une nouvelle vague de démocratisation de l’accès dans les industries culturelles. Celle-ci a redonné du pouvoir aux consommateurs, qui ont la possibilité de comparer et de choisir[43], entraînant une remise en cause des logiques d’offre et de programmation qui prévalaient dans le champ culturel. À cette logique verticale s’est substituée une logique de pilotage par la demande, qui renforce la nécessité pour les œuvres de séduire les acheteurs et les consommateurs. Cette inversion s’est accompagnée d’un sentiment de libération des consommateurs, vis-à-vis des intermédiaires, qui s’est beaucoup exprimé aux premiers temps d’Internet. En outre, elle a un impact sur la valeur que les consommateurs accordent à l’œuvre. La situation d’abondance, intégrée dans des offres d’accès (plateformes par abonnement), participe d’une banalisation des œuvres, auxquelles on accède selon les mêmes modalités que l’eau ou l’électricité[44].
Il en découle une remise en question des instances de légitimation (académies, critiques, institutions[45]…) dont le rôle est de produire des normes esthétiques (définir ce qui est « bon » et/ou « beau »). Cette remise en question oppose un processus « top-down » (les experts définissant la légitimité artistique) à un processus « bottom-up » (les normes découlant des préférences du consommateur). Cette opposition renvoie aux analyses de Bourdieu qui ont stigmatisé le rôle de la culture légitime en tant que facteur de reproduction des inégalités sociales[46]. Elle soulève avec acuité des interrogations sur le pouvoir symbolique des mondes artistiques[47], ainsi qu’en témoignent les débats polémiques sur l’art contemporain ou l’opposition entre des palmarès issus du jugement de professionnels (par exemple les prix attribués au Festival de Cannes) et les résultats du « box-office ». Il faut cependant noter que, dans la réalité, cette opposition n’est pas aussi tranchée : les deux systèmes ne sont pas forcément antagonistes (certains succès commerciaux étant également vus favorablement par la critique), et la notoriété d’une œuvre résultant souvent d’une alchimie complexe entre les deux.
Cette opposition a été considérablement renforcée par la puissance des réseaux sociaux, qui reposent sur une logique de communication peer-to-peer entre consommateurs échangeant leurs opinions et leurs jugements (très loin du processus vertical top-down), même si, pour faire face au problème de l’hyperchoix, le consommateur peut recourir au jugement de nouveaux influenceurs ou aux recommandations des algorithmes[48].
La croissance exponentielle des données disponibles (big data) et la croissance tout aussi importante de la puissance de calcul des microprocesseurs permettent aujourd’hui d’utiliser les nouveaux modes de distribution des contenus culturels qui permettent une connaissance sans précédent du comportement du consommateur. Les données recueillies, au-delà des questions relatives au respect de la vie privée, peuvent être exploitées de deux manières : premièrement en renforçant les choix routiniers des consommateurs grâce aux algorithmes de recommandation[49], deuxièmement en concevant des contenus basés sur l’anticipation de leurs réactions. Plus radicalement, le développement des techniques d’intelligence artificielle[50] peut conduire à un changement de paradigme des relations entre l’offre et la demande et mettre à bas le modèle romantique de l’autonomie de l’artiste[51].

2.2 Le double basculement des industries culturelles

Ces ruptures ont donné lieu, plus qu’à une évolution, à un double basculement qui concerne l’ensemble des industries culturelles dans des proportions variables : d’une économie de (relative) pénurie à une économie d’abondance, d’une économie concentrique[52] à une économie globale.
Nous explicitons ces deux aspects.

2.2.1 Le basculement de la rareté à l’abondance

Le basculement de la rareté à la surabondance résulte de la combinaison de trois phénomènes : la réduction des barrières à l’entrée sectorielles, le développement des capacités de stockage et la globalisation de la distribution.
Réduction des barrières à l’entrée
La numérisation des œuvres et leur mise à disposition sous format dématérialisé ont permis une baisse significative des coûts de production en supprimant tout ce qui était relatif à la reproduction matérielle des œuvres et à leur diffusion (duplication physique de l’original, logistique, stockage dans les points de vente…). Parallèlement, les outils de production, autrefois réservés aux professionnels, ont vu leur prix baisser significativement et leur ergonomie s’améliorer, ouvrant leur usage à des amateurs avertis.
Développement des capacités de stockage
La théorie de la longue traîne proposée par Chris Anderson[53] reposait sur l’idée que le numérique permettait le passage d’un monde où les capacités de stockage étaient limitées (dans les magasins) à un autre où ces capacités devenaient infinies (sur les plateformes numériques). En conséquence, les œuvres, même peu demandées, ont désormais la possibilité de rester à la disposition du consommateur (alors qu’elles disparaissent rapidement des rayons des magasins physiques), ce qui permet d’étaler dans le temps les ventes sur une gamme plus large de produits. Les produits qui font l’objet d’une faible demande, ou qui n’ont qu’un faible volume de vente, peuvent alors collectivement représenter une part de marché égale ou supérieure à celle des best-sellers. Comme l’écrit Anderson, « brusquement la popularité n’a plus le monopole de la profitabilité ». Si les conséquences de cette analyse – et la théorie elle-même – ont été démenties par les faits, la concentration sur les meilleures ventes ayant plutôt augmenté, au moins jusqu’à ce jour[54], le phénomène relatif aux capacités de stockage reste vrai. Conséquence : les œuvres mises à disposition du public sur les plateformes numériques sont en nombre croissant, sans commune mesure avec le nombre de références disponibles dans les magasins physiques. Ainsi, les nombres de livres sur Amazon et de titres de musique sur Spotify sont passés respectivement de 2,3 millions à 2,6 millions et de 18 millions à 40 millions entre 2010 et 2018[55]. Aujourd’hui, le développement des algorithmes qui structurent le ciblage des consommateurs conduirait non pas à un lissage de la courbe de consommation, mais à une polarisation autour de plusieurs communautés. Ces phénomènes restent à confirmer.
Globalisation de la distribution
Troisième phénomène à l’origine du passage à l’ère de l’abondance, l’avènement de canaux de distribution globalisés donne la possibilité technique de proposer une offre universelle aux consommateurs du monde entier. Si le secteur des contenus audiovisuels exploite aujourd’hui cette possibilité de façon limitée, en conservant un volant de programmes destinés à des territoires spécifiques, les plateformes dans la musique et le jeu vidéo ont une approche globale. Netflix est disponible dans pratiquement tous les pays du monde[56] sans que l’entreprise dispose d’un réseau de filiales territoriales étendu, et certains droits sont achetés pour une exploitation dans le monde entier. Spotify est proposé avec une même offre dans quatre-vingts pays et Steam propose ses jeux vidéo aux internautes où qu’ils résident. Cela conduit les canaux de distribution à s’alimenter à partir d’une offre plus large, ce qui se traduit par une concurrence plus importante entre les contenus au catalogue.
Là encore, les développements des algorithmes peuvent conduire à une relocalisation partielle de la consommation, en témoigne par exemple le succès des artistes français dans les musiques actuelles.

2.2.2 Le basculement d’une économie concentrique à une économie globale

Dans le contexte qui a porté le développement des industries culturelles, la diffusion d’une œuvre se faisait en cercles concentriques. Il lui fallait d’abord trouver un public au niveau local (l’échelle pouvait varier d’un pays à l’autre, en fonction des caractéristiques spécifiques des secteurs), puis élargir sa distribution. Aujourd’hui, ces différentes étapes ne sont plus nécessaires et la construction d’une audience peut se faire d’emblée à une échelle globale.
À titre d’exemple, le troisième film de la série Star Wars (Le Retour du Jedi, 1983) a été distribué dans le monde entier sur une période s’étalant sur plusieurs années. À l’inverse, le septième film de la série (The Force awakens) a bénéficié en 2015 d’une sortie internationale s’étalant sur seulement quelques jours.

Figure 1 – Évolutions des sorties nationales du Retour du Jedi et du Réveil de la Force[57]
Dans la musique, lorsqu’un groupe remplissait les salles dans son territoire d’origine, il pouvait ensuite être diffusé à l’échelle nationale, puis, éventuellement, toucher un public international. Pour construire son succès, l’artiste devait d’abord être reconnu localement, et donc construire une identité liée à son territoire. La diffusion sur des plateformes numériques permet aujourd’hui à certains artistes de bâtir leur succès en commençant à créer une communauté dont les membres se recrutent sur l’ensemble du globe, sans nécessairement passer par la case locale. À ce jour, cette dynamique ne se substitue pas à la première : à côté des développements globaux d’artistes continuent à exister des développements progressifs, dans le monde physique comme dans le monde numérique.
Ce changement, loin d’être anecdotique, est fondamental car il modifie les conditions de la concurrence, qui porte aujourd’hui principalement sur la visibilité, ressource rare à l’ère numérique. Un marché unique et globalisé s’installe et prend une place prépondérante à côté de marchés locaux qui peuvent subsister avec plus ou moins d’importance selon les secteurs[58]. Cette évolution remplace une situation dans laquelle le marché mondial reposait sur une multitude de marchés locaux d’où émergeaient des propositions artistiques qui avaient réussi à fédérer un public diversifié et lié à un territoire. Sur ce marché unique, le coût de la visibilité augmente, le niveau minimum d’audience qu’il faut atteindre pour bénéficier d’une visibilité augmente lui aussi, et les œuvres capables de rassembler des audiences conséquentes dans le monde entier bénéficient d’un atout indéniable. Les jeux vidéo et, dans une moindre mesure, l’animation ont en partie évolué au fil du temps dans ce contexte mondial.
Figure 2 – L’économie concentrique des industries culturelles[59]
Le modèle historique (figure 2) de construction de la notoriété et de l’économie d’une œuvre ou d’un artiste est désormais concurrencé par un modèle (figure 3) qui court-circuite le niveau local et le niveau national et met les œuvres et les artistes qui s’y inscrivent dans un contexte de concurrence d’emblée globale. Dans ce nouveau modèle, la distribution est le fait de plateformes (Spotify ou Deezer, Netflix…), et la prescription est assurée en partie par ces plateformes, via leurs algorithmes de mise en avant, en partie par d’autres voies variées. C’est aux artistes et à leurs éditeurs de s’efforcer de trouver des moyens d’être visibles dans le maelstrom de ces plateformes globales. Dans ce contexte, encore plus que dans le précédent, les moyens financiers sont un atout considérable pour engendrer de la visibilité.
Figure 3 – L’économie globale des industries culturelles[60]
Dans le contexte précédent, le passage obligatoire par la consécration locale offrait une forme de protection aux expressions nationales. Dans le nouveau contexte, la compétition pour la visibilité se joue sur les critères classiques de coût et de qualité, mais aussi sur la capacité à capter l’attention au niveau global, ressource rare dans un monde numérique où toutes les œuvres ont droit de cité.
Il convient néanmoins d’apporter deux nuances à cette mutation fondamentale. D’une part, les récents développements semblent indiquer que la dimension « locale » des artistes peut bénéficier d’une protection même dans un contexte de marchés globaux. Dans la manière dont les algorithmes de mise en avant des plateformes numériques ciblent les consommateurs à qui proposer des œuvres, il est possible que, indirectement, la nationalité des œuvres – par exemple la langue des chansons – joue un rôle, qui conduise à donner un avantage aux œuvres nationales. C’est ce qui expliquerait le succès des musiques françaises aujourd’hui. Sur les vingt artistes les plus écoutés sur Spotify en France en 2018, dix-huit étaient francophones. Dix-neuf étaient d’ailleurs des artistes de musique urbaine, ce qui tend à indiquer que la question de la diversité se pose en des termes non plus de nationalité mais de genre de musique ou de renouvellement artistique.
D’autre part, si les plateformes et les modes de consommation associés (digital, abonnement) constituent le moteur principal de croissance des industries culturelles aujourd’hui (à l’exception du livre), la survivance de circuits parallèles peut être envisagée : les vinyles et les concerts à côté du streaming, les salles de cinéma à côté de la SVOD… Ces circuits traditionnels continueront à s’inscrire dans une économie « concentrique » et pourront toujours permettre à des artistes de vivre ou de développer leur notoriété à une échelle locale. Une question en suspens étant celle de la viabilité de leur économie dans ce nouveau contexte, la crise sanitaire ayant tendance à en exacerber les caractéristiques.
L’ensemble de ces analyses nous conduit au constat que les politiques culturelles sont confrontées à un nouveau basculement et qu’elles doivent adapter leurs outils au contexte des industries culturelles numériques (figure 4).
Figure 4 – Les changements de paradigme des contextes des politiques culturelles[61]
Les politiques publiques pour les industries culturelles se sont construites peu à peu, en s’adaptant de façon permanente aux évolutions du contexte dans lequel elles se sont développées. Tout en mobilisant d’abord les instruments utilisés pour les secteurs culturels traditionnels (patrimoine, spectacle vivant), y compris les subventions à la production, elles ont progressivement élargi leurs modalités d’action en mettant en place des instruments spécifiques mieux adaptés. Les instruments de régulation sont de ceux-là et visent à préserver la diversité de l’offre culturelle (par exemple, comme indiqué précédemment, la loi sur le prix unique du livre ou le système de chronologie des médias relatif à la diffusion des œuvres cinématographiques).
Cependant, même si les politiques publiques n’ont pas cessé de s’adapter, y compris face aux ruptures décrites dans la partie précédente, la question de leur bienfondé et de leur efficacité reste aujourd’hui posée, eu égard à la remise en cause (ou à l’aggiornamento) des objectifs ainsi que des nouvelles conditions dans lesquelles elles s’exercent.

3.1 Les conséquences des changements

3.1.1 Un nouvel environnement 

Au moment d’interroger l’intervention publique dans le domaine des industries culturelles, il convient de prendre en compte d’autres éléments de contexte, allant au-delà des bouleversements structurels qui ont été analysés précédemment.
Plusieurs changements majeurs se sont produits depuis la création du ministère de la Culture il y a soixante ans et affectent sa place dans l’écosystème de la culture en France.
La place de l’État : l’État a perdu sa position centrale vis-à-vis des secteurs culturels. C’est le cas dans les secteurs culturels traditionnels (patrimoine et spectacle vivant), du fait du poids croissant des collectivités territoriales dans le financement de ces activités. C’est le cas surtout dans les industries culturelles, où l’État doit faire face à la question de la légitimité de son action face à des secteurs qui s’accommodent de l’économie de marché et où des entreprises internationales telles que les plateformes numériques ont pris une place prédominante[62]. Ces évolutions réduisent considérablement l’autonomie d’action de l’État.
Le statut de l’art et sa place dans la société ont aussi considérablement changé, nous l’avons évoqué. Dans la perspective de Malraux, la valeur de l’art était surtout esthétique (intrinsèque/endogène) : l’objectif était de mettre en contact la population avec les « chefs-d’œuvre de l’humanité », définis sans ambiguïté par les historiens de l’art et les experts. La question devient plus complexe quand il s’agit de création contemporaine[63] ne bénéficiant pas de la légitimation par le recul historique. Elle se pose également pour des formes nouvelles, n’appartenant pas au périmètre classique du champ culturel dont l’extension se fait progressivement par un processus de reconnaissance et de légitimation : rappelons que le cinéma était, à ses débuts, considéré comme une attraction foraine, alors que nul ne lui dénierait aujourd’hui un statut de mode d’expression artistique ; on peut penser que le même processus est en cours pour les jeux vidéo. Cette extension des formes[64] est centrale dans plusieurs industries culturelles, dont l’activité n’est pas limitée à la reproduction et à la diffusion de formes traditionnelles (la littérature par exemple), mais qui créent leurs propres contenus. La question du périmètre s’accompagne d’interrogations sur la définition de l’artiste qui sera, comme on le verra par la suite, au cœur des politiques de soutien à la création. La définition du champ couvert[65] par l’action du ministère de la Culture a été critiquée au nom de l’antiélitisme et étendue à des pratiques plus « populaires[66] ». D’autres valeurs, liées aux externalités positives de l’art (extrinsèques/exogènes), sont apparues pour justifier les politiques culturelles : valeurs sociales (justifier les dépenses culturelles par leurs effets sociaux, notamment l’inclusion, dans une logique utilitariste s’opposant à l’autonomie de l’art), valeurs éthiques (justifier l’œuvre d’art par sa conformité idéologique au service de causes[67] – genre, anticolonialisme… – et non par sa valeur esthétique[68]).
Le rapport entre offre et demande : la création du ministère de la Culture se situait dans un contexte de rareté de l’offre, et ses premières actions ont concerné le développement de l’offre (par exemple la décentralisation théâtrale). La logique sous-jacente était fondée sur le postulat de la « révélation » : il suffisait de mettre en contact le public avec une œuvre pour que la relation artistique s’établisse[69]. Le nouveau contexte s’inscrit, en particulier pour les industries culturelles, dans la perspective d’une offre très abondante. Cela conduit à s’intéresser davantage à une demande confrontée à une situation d’hyperchoix, qui donne une place centrale à la prescription visant à aider le consommateur à s’orienter face à la surabondance de l’offre. La difficulté de la prescription est renforcée par la « crise de la médiation » qui, à l’époque des réseaux sociaux, met en cause la légitimité des jugements d’experts. La prise en compte de la demande peut même aller jusqu’à orienter la création par les « data » recueillies sur les comportements passés des consommateurs[70]. L’action sur la demande a également été le fondement de l’expérimentation du « pass Culture ».

 3.1.2 Des objectifs renouvelés

Le soutien à la création demeure une mission centrale du ministère de la Culture. L’une des premières déclarations de la nouvelle ministre de la Culture allait d’ailleurs dans ce sens : « Je serai la ministre des artistes ». La prolongation du régime des intermittents traduit concrètement cet objectif de préserver l’écosystème artistique et concerne aussi bien les secteurs traditionnels que les industries culturelles (en particulier le cinéma). Ce soutien est justifié par la vision classique de l’autonomie de l’art et de l’artiste, mais aussi par sa contribution à l’économie créative[71]. La difficulté est de définir opérationnellement qui est un artiste professionnel dans un contexte où les frontières de la création peuvent être floues (cf. le slogan « tous créateurs », les pratiques amateurs et le développement de l’UGC, « User Generated Content »).
Dans le contexte où la demande est confrontée à une surabondance de l’offre, elle-même renforcée par la transition vers l’économie numérique qui permet un accès facile (via Internet) et à bas prix à une large gamme de produits et services, la question de la démocratisation est déplacée vers celle de la « fracture numérique » (ceux qui ont accès à Internet par rapport à ceux qui n’y ont pas accès ou en ont un usage limité[72]). Une nouvelle priorité politique consiste donc à réduire cette fracture et à permettre à chaque citoyen d’avoir accès à l’offre extrêmement abondante fournie par les plateformes sur Internet. De même, dans un contexte de crise de la médiation, dans lequel les consommateurs effectuent leurs propres choix en fonction de leur système de préférences ou de goûts, influencés par la communication interpersonnelle (bouche à oreille)[73], la publicité ou les algorithmes de recommandation, l’intervention publique doit composer avec la perspective d’une accélération de l’évolution de l’art vers le divertissement et son insertion dans une économie de l’« entertainment » ou des loisirs[74],[75].
La diversité demeure un objectif consensuel : elle est sans doute la dimension spécifiquement culturelle de la politique industrielle dans le domaine des industries culturelles et est un fondement des politiques de régulation. Elle a d’abord été abordée sous l’angle de l’« exception culturelle », formulation ensuite abandonnée en raison de ses connotations protectionnistes (voire de préférence nationale), alors que la diversité a une connotation écologique (cf. biodiversité) et plus positive. Cependant, le maintien des cultures nationales ou locales reste un enjeu important : dans une perspective de souveraineté culturelle, on ne saurait externaliser la fabrication de l’imaginaire artistique comme on le fait pour des biens industriels. On pourrait penser que la surabondance de l’offre résoudrait mécaniquement la question. Sauf que, dans un marché globalisé où l’enjeu principal est la visibilité, la concentration de la demande[76] risque de réduire à néant cette ambition. Si la longue traîne fonctionnait, on aurait alors une diversité à la fois du côté de l’offre et de la demande. Si, comme on l’a vu précédemment, elle ne fonctionne pas, on aboutit à une concentration de la demande : face à l’hyperchoix, le consommateur se rabat sur les offres validées par la majorité du moment. Il y a alors un risque d’uniformisation[77]. Cela implique un déplacement de l’enjeu vers la mise en visibilité de la diversité existante dans le contexte des ressources cognitives limitées dans l’économie de l’attention[78].
La politique industrielle continue à occuper une place centrale dans les relations des pouvoirs publics avec les industries culturelles. La question est alors de préciser ce qu’il y a de spécifiquement culturel dans de telles politiques.
En résumé : la crise de l’art conduit à des interrogations sur les deux premiers objectifs (défense et promotion de l’art, démocratisation) qui étaient les fondements de la politique culturelle publique originelle. Ce qui ne va évidemment pas être sans conséquences sur les moyens d’action à mettre en œuvre. Deux objectifs nous semblent aujourd’hui devoir occuper une place centrale[79] : le soutien à la création (avec sans doute des modalités différentes qu’antérieurement) et la diversité, soutenue en particulier par la régulation (cf. tableau 2). La démocratisation est remise en cause, au moins dans ses modalités, par l’abondance de l’offre et l’action directe sur la demande des industries culturelles.

 3.1.3 Des moyens d’action historiques remis en cause

Si l’on reprend systématiquement les moyens d’action décrits dans la première partie de cette note (cf. tableau 3), plusieurs observations peuvent être faites.
L’intervention directe de l’État, qui était le mode privilégié d’action dans les secteurs traditionnels, est remise en cause par l’évolution du secteur et peu appropriée au cas des industries culturelles.
– La création d’établissements publics[80] n’est plus vraiment justifiée face à la surabondance de l’offre (ce qui, outre les arguments de contrôle de l’information, était le cas pour la télévision publique[81], créée à une époque où il n’existait pas d’offre privée).
– Le financement direct se heurte à la fois aux règles de la concurrence et aux contraintes budgétaires ; il ne peut s’agir que d’aides exceptionnelles, en particulier dans le contexte de la crise Covid.
Les moyens à privilégier dans une « refondation contemporaine » sont donc la régulation (visant en priorité la diversité), la fiscalité (par exemple, le débat sur le mécénat[82] devrait insister sur son rôle en tant que multiplicateur des dépenses publiques au lieu de le stigmatiser comme une niche fiscale) et la médiation (lieux de concertation entre acteurs publics et privés). Par ailleurs, des actions telles que la défense du droit d’auteur ou le statut des intermittents restent pertinentes dans la perspective du soutien à la création, ainsi que les crédits d’impôts dans le contexte de la politique industrielle. L’action sur la demande devrait porter sur léducation (déterminant de la demande future) et la labellisation (qui peut jouer un rôle de prescription au sein d’une offre surabondante).
Si les enjeux et modalités de l’éducation artistique dépassent, comme indiqué précédemment, l’objet de la présente note, quelques remarques peuvent être faites sur la prescription, qui joue un rôle central dans un contexte d’hyper-offre accentué par le numérique. Entretenir une production diversifiée est important à condition que cette production ait les moyens d’exister dans la diffusion. Quand tout est disponible, c’est la manière dont se fait l’aide aux consommateurs (la prescription) qui permet d’agir sur la demande. Les plateformes numériques intègrent leurs propres modalités algorithmiques de prescription. Mais Internet est un univers ouvert, dans lequel des acteurs tiers (influenceurs, réseaux sociaux) peuvent participer à la prescription. Dans ce contexte, une politique culturelle de mise en avant de certaines œuvres – œuvres produites par des artistes nationaux, catalogue hors best-sellers… – passera avant tout par la construction de nouveaux outils de prescription, adaptés à chacun des deux mondes, l’univers physique et l’univers numérique. Le recentrage sur la prescription est une voie à étudier pour l’action publique. Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir un « art officiel », ce qui serait contraire au principe libéral de neutralité esthétique de l’acteur public. Il faut cependant rappeler que les actions en faveur des arts à l’époque monarchique ont aussi concerné les contenus (voir par exemple le soutien de Louis XIV à Molière ou Lully).
À l’époque contemporaine, les choix de la commande publique comportent aussi une dimension esthétique (par exemple les choix présidentiels concernant l’architecture des nouveaux bâtiments publics tels que la pyramide du Louvre ou l’opéra Bastille). Néanmoins, les choix esthétiques concernent peu les industries culturelles (on pourrait toutefois citer le cas de l’avance sur recettes du CNC mais les décisions sont déléguées à des commissions composées de professionnels du secteur). Il s’agit plutôt de réguler les mécanismes de prescription : nous y reviendrons par la suite.
Certaines modalités d’action semblent en revanche obsolètes eu égard aux évolutions numériques du secteur : par exemple, alors que l’imposition de quotas semblait être une solution pertinente dans l’ancien contexte pour préserver une place à la production nationale, elle n’est plus appropriée, et difficile voire impossible à mettre en œuvre pour les bibliothèques numériques (SVOD, musique en streaming, etc.).
 
Dans cette section, après une analyse des limites des politiques actuelles, nous identifierons les éléments clés qui doivent structurer la définition de politiques culturelles contemporaines.

3.2.1 Les limites des politiques actuelles

Nos analyses confirment l’entrée dans une nouvelle ère et appellent une autre manière d’aborder l’intervention publique. Cette nouvelle approche doit être fondée sur la compréhension des dynamiques à l’œuvre et nécessite d’investir davantage dans l’analyse des modalités de fonctionnement de ces secteurs et de leurs interactions. Il faut aller au-delà de la grille de lecture qui constitue actuellement l’essentiel de la grammaire d’action des pouvoirs publics : pilotage par des indicateurs, binôme états généraux-déblocage de millions d’argent public, obsession ambiguë du champion, soutien à la production.
L’État est entré, depuis quelques années, dans une ère où son action fait l’objet d’énonciation d’objectifs puis d’une évaluation largement fondée sur des indicateurs. Il faut admettre d’abord que les indicateurs, quels qu’ils soient et dans n’importe quel contexte, ont une portée structurante. Mais, en matière de culture, le chiffrage est à prendre avec précaution. La question des indicateurs est donc duale : définition (qui doit tenir compte du contexte et de ses évolutions), modalités de mesure (qui doivent éviter le risque « réductionniste » de se limiter à ce qui est facile à mesurer).
Dans le cinéma par exemple, quelques indicateurs évidents s’imposent : la fréquentation (nombre de spectateurs dans les salles), la part de marché du cinéma français, le nombre de films français produits… Ces indicateurs s’accordent très bien avec, d’une part, un partage des écrans entre des blockbusters hollywoodiens et de grandes comédies populaires françaises, et, d’autre part, l’existence d’un grand nombre de films français n’ayant presque plus accès aux salles. De nombreuses voix s’élèvent depuis quelques années pour dire qu’on produit trop de films. Si le volume de production « optimal » est une grandeur impossible à calculer, il est certain qu’une situation où l’on produit de nombreux films qui n’auront pas la possibilité d’être vus (difficulté d’accès aux salles, temps d’exposition trop restreint) est problématique. Elle est pourtant compatible avec une batterie d’indicateurs qui jouent un rôle dans le pilotage sectoriel.
La culture s’accorde assez mal avec des indicateurs chiffrés simples. Comme il semble difficile de renoncer à cette modalité d’évaluation des politiques publiques, il paraît à tout le moins important que les indicateurs, figurant dans la lettre de mission des directeurs ou directrices d’institutions, soient publics permettant ainsi un débat sur leur choix.

3.2.2 Les éléments clés de décision

Comme indiqué précédemment, le soutien à la création dépasse les frontières sectorielles pour concerner l’ensemble de l’écosystème artistique : le statut des artistes (au-delà des seuls intermittents du spectacle[83]), les droits d’auteur, le soutien à la production.
Si on considère plus spécifiquement les industries culturelles, trois facteurs clés de décision doivent être pris en compte.
1) Les industries culturelles constituent-elles un domaine spécifique et/ou homogène ? La réglementation sectorielle est-elle donc toujours adaptée ?
2) Comment définir et appliquer une politique publique dans un monde globalisé ? Le niveau national est-il toujours pertinent pour l’action publique ?
3) Quelles relations entre les pouvoirs publics et les entreprises ?
Un domaine homogène ?
Les politiques à l’égard des industries culturelles ont été élaborées secteur par secteur. Les bouleversements mettent en avant la dimension structurante forte du numérique. La convergence a d’abord été technologique : les réseaux et les plateformes mettent à disposition indifféremment tous types d’informations, quelle qu’en soit la nature (données, texte, son, image). Elles imposent de plus en plus aux différents secteurs des mouvements semblables, et peuvent même conduire à une convergence accentuée sur le plan industriel : plusieurs acteurs (Apple et Amazon par exemple) offrent ainsi des offres groupées (« bundles ») regroupant plusieurs secteurs (musique, vidéo…). Cela appelle des politiques culturelles qui dépassent les logiques purement sectorielles et soient cohérentes avec une compréhension des mouvements en cours en prenant en compte leur dimension transversale.
– Certaines mesures concernent des extensions visant à adapter au nouveau contexte numérique des régulations antérieures : elles peuvent cependant être mises en cause par les bouleversements en cours des modes de commercialisation. Les plateformes numériques ont commencé par dupliquer les pratiques du monde physique (achat à l’acte ou location). Puis elles ont adopté le mode de l’abonnement qui donne un accès illimité pour un prix forfaitaire à un vaste catalogue de contenus. La musique (Spotify ou Deezer) et la vidéo (Netflix ou Disney +) ont déjà basculé dans ce nouveau modèle économique, l’industrie du livre pas encore[84]. La loi sur le prix unique du livre a été étendue sans problème aux librairies numériques basées sur le modèle de l’achat à l’acte, mais qu’en serait-il dans le cas d’un modèle de streaming financé par abonnement ou dans celui des nouvelles formes d’écriture (livre « augmenté », écriture collaborative…) ?
– La création de centres correspond également à une logique sectorielle, renouant avec la tradition des « guichets[85] » menée par le ministère de la Culture depuis son origine. Si elle favorise la concertation et la médiation entre acteurs publics et privés, elle peut être confrontée à la porosité des frontières sectorielles (par exemple entre industrie de la musique et spectacle vivant[86]), ainsi qu’à l’existence d’acteurs, notamment internationaux, dont l’action est multisectorielle (les GAFA proposent tous sur leurs plateformes une offre culturelle diversifiée : musique, vidéo, jeux vidéo…).
Les limites de l’action nationale
Les politiques publiques sont confrontées aux limites nationales de leur action, alors que le contexte est désormais globalisé. Cette caractéristique ne concerne pas uniquement les industries culturelles, mais la spécificité de ces dernières tient à la nécessaire préservation de la diversité, qui est une des conditions de leur survie.
Les politiques nationales perdent leur pertinence lorsque les frontières deviennent perméables et que les marchés sont largement mondialisés et dominés par des entreprises agissant dans (presque) tous les pays du monde. Nous pouvons constater que des mesures récentes visant à protéger le droit d’auteur ou à garantir la protection des données à caractère personnel ont été prises au niveau européen ; il en va de même des discussions sur l’imposition des acteurs numériques transnationaux (notamment les GAFA). Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions dans une section sur les questions de souveraineté.
Certaines modalités d’action des politiques industrielles, telles que le crédit d’impôt, restent globalement pertinentes pour localiser (ou relocaliser) une activité économique sur le territoire. De même, la création, annoncée par le président de la République, de fonds d’investissement accessibles aux parties prenantes de différents secteurs devrait renforcer les ressources des entreprises nationales afin de mieux faire face à la concurrence internationale. Une action prioritaire devrait être, dans une logique de souveraineté culturelle et de soutien à la création, de favoriser la localisation de la production[87] de contenus sur le territoire national. Il ne faut cependant pas négliger les risques de contradiction entre l’universalité de l’art et un repli sur soi conduisant au provincialisme.
Les actions concernant les entreprises 
Une autre question cruciale de la politique industrielle dans l’univers numérique est la capacité à avoir des acteurs nationaux ou européens puissants. Ces acteurs pourront développer des rapports de force favorables vis-à-vis des plateformes, ce qui peut préserver un espace pour les productions nationales ou européennes. Aujourd’hui, l’Europe et la France disposent d’acteurs majeurs dans la musique, du côté des producteurs de contenus (Universal Music), des plateformes de streaming (Spotify, Deezer) et de la distribution numérique. Dans ce domaine, Believe Digital, licorne française considérée comme la quatrième major[88], s’est construit une position stratégique dans la recomposition des filières en se positionnant d’abord sur la distribution numérique (livraison de fichiers aux plateformes), avant de remonter la chaîne de valeur et d’incorporer des fonctions classiques des maisons de disques. Dans le jeu vidéo, la France dispose d’un acteur majeur (Ubisoft). L’audiovisuel européen est engagé dans un mouvement de consolidation qui doit permettre à des acteurs de disposer d’une taille importante pour discuter avec les plateformes. Mediawan (créé en 2006 par Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Pierre-Antoine Capton, 1 milliard d’euros de CA en 2020) et Banijay sont deux champions français en phase de structuration. La notion de champion national ou européen, dans cet environnement numérique, est pertinente[89]. Ces dynamiques relèvent de stratégies d’entreprise. Il n’est pas nécessaire que les pouvoirs publics agissent sur ces dynamiques, si ce n’est pour veiller à ce qu’elles restent possibles en créant un environnement favorable à leur développement.
L’intervention publique dans les industries culturelles a souvent entretenu un rapport ambivalent vis-à-vis des « champions ». Les pouvoirs publics voient d’un œil méfiant la constitution de grands groupes, considérant l’existence d’une diversité de petits acteurs comme un gage de diversité de la création elle-même. Dans un contexte d’un système ouvert faisant place à des acteurs extranationaux, il est important de ne pas se tromper d’objectifs : les choix et les décisions doivent être guidés par des objectifs de politique culturelle et de souveraineté et non par la sauvegarde de la place de tel ou tel acteur reflétant souvent des intérêts corporatistes. Cette déconnexion impose de traiter le sort des grands acteurs comme ceux de n’importe quel autre acteur économique : cela ne relève plus seulement d’une politique culturelle, mais aussi d’une politique industrielle prenant en compte les aspects sociaux (notamment l’emploi).

3.3 Quelques dossiers prioritaires

Plutôt que de décliner une batterie de recommandations dans un inventaire à la Prévert, il nous semble plus judicieux, dans cette section, d’identifier quelques dossiers particulièrement actuels et urgents. Ils contribuent à la définition d’un agenda décisionnel en même temps qu’ils illustrent la mise en œuvre des problématiques analysées précédemment. Nous inclurons également dans cette section quelques réflexions sur l’impact de la crise sanitaire sur les industries culturelles. Quatre dossiers ont été retenus :
– le pass culture illustre la problématique du changement de paradigme de l’offre à la demande ;
– l’audiovisuel public correspond à un cas d’intervention directe de l’État ;
– la chronologie des médias est un exemple de régulation ;
– les relations avec les opérateurs globaux montrent les contraintes et les limites de l’action nationale.

3.3.1 Le pass Culture 

Le lancement du pass Culture est emblématique d’un renversement de paradigme du financement public orienté vers la demande et non plus vers l’offre. Sa création[90] figurait dans les engagements de campagne de l’actuel président de la République. Après une phase de tests dans plusieurs départements (cinq puis quatorze), sa généralisation a été décidée en mai 2021. Son principe est le versement d’une allocation de 300 euros à toute personne dans l’année de ses 18 ans[91] pour financer exclusivement l’achat de biens culturels. Ce versement sera précédé de plusieurs versements étalés sur plusieurs années entre la classe de quatrième et la terminale, pour un montant total de 200 euros[92]. Le budget prévu pour ce dispositif dans la loi de finances 2021 est de 59 millions d’euros ; le coût de sa généralisation est estimé en année pleine (à partir de 2022) à 266 millions d’euros[93].
La première question est évidemment celle du périmètre des biens éligibles : une approche trop restrictive renforcerait une vision élitiste de la culture alors qu’une approche trop large ne ferait que renforcer les tendances du marché et aboutirait à un financement public des industries culturelles. Le périmètre retenu inclut les places et abonnements (spectacles et musées), les biens culturels, les services numériques (plafonnés à 100 euros[94]), ainsi que des cours (pour favoriser les pratiques artistiques amateurs) et le matériel correspondant.
 Les premiers résultats[95] indiquent qu’il y a eu 782 000 ouvertures de compte (correspondant à un taux de pénétration de 80 %). Les dépenses moyennes ont été de 116 euros (soit sensiblement moins que la somme disponible). Les principaux achats[96] concernent le livre (78 % en volume dont 60 % de mangas, 50 % en valeur), suivi du cinéma et de l’audiovisuel (10 %) et de la musique (6,9 %). Le spectacle vivant[97] (hors concerts) ne représente que 1 % des réservations. Les pratiques artistiques (cours de dessin ou de danse, achat d’instruments) correspondent à 2 % en volume mais 15 % en valeur.
Une dimension importante du pass Culture est aussi sa fonction de prescription. L’application présente une éditorialisation de l’offre et sera téléchargeable par tous (au-delà des seuls bénéficiaires de l’allocation financière). La première phase d’accès (avant 18 ans) sera encadrée par l’Éducation nationale, avec des professeurs « référents » dans le contexte de l’éducation artistique et culturelle[98].
Cependant le lancement du pass Culture fait aussi l’objet de nombreuses critiques[99] concernant tant le poids financier du dispositif (à une époque de ressources rares, en particulier dans le contexte de la crise sanitaire qui a déjà mobilisé beaucoup d’aides pour le secteur culturel), que de doutes sur son efficacité en matière de démocratisation (s’agit-il d’un effet d’aubaine dans une logique « consumériste[100] », ou y aura-t-il une contribution à l’élargissement de l’horizon culturel des bénéficiaires ?) . Ces critiques sont renforcées par les premiers résultats ainsi que par l’échec d’expériences antérieures[101],[102].
En ce qui concerne la démocratisation, il existe un risque majeur qu’une belle promesse soit fondée sur de fausses prémisses (hypothèses sur le comportement des consommateurs). En effet, à l’instar des actions portant sur la gratuité[103], le pass Culture repose sur l’hypothèse, issue de la théorie économique[104], que le prix est le déterminant central du niveau de la demande. Cependant, si cette hypothèse est valide dans le contexte d’une économie du besoin, elle ne l’est pas dans le cadre d’une économie du désir, dont font partie les biens et services culturels. En effet, ceux-ci sont considérés comme relevant de l’économie de l’addiction : les biens addictifs sont définis comme ceux pour lesquels la probabilité de consommer augmente avec le volume des consommations antérieures (et non une saturation comme c’est le cas dans l’économie des besoins[105]). Le phénomène de cumul des expériences est d’ailleurs fréquemment observé dans le champ des consommations culturelles. Dans ce contexte, la désirabilité est l’élément central, le prix n’intervenant que dans un second temps[106]. Les freins culturels (« ce n’est pas pour moi ») jouent également un rôle majeur. Un des enjeux sera d’observer si la prescription dès un âge plus jeune[107] (la classe de quatrième) permettra d’élargir la cible des consommateurs au-delà des utilisateurs habituels (urbains au niveau d’éducation élevé et plutôt issus de milieux aisés[108]).
Face à cette innovation disruptive, il sera donc nécessaire de mettre en place un dispositif précis et public d’évaluation, permettant d’évaluer les conséquences du pass Culture tant sur le plan de la démocratisation (caractérisation des utilisateurs et des usages incluant une perspective diachronique, dynamique entre les phases successives d’utilisation) que sur celui de la politique industrielle (retombées par secteur). Selon les résultats, des décisions pourront être prises concernant une redéfinition du périmètre, voire allant jusqu’à une suppression du système pour en redistribuer le financement vers d’autres formes d’action.

3.3.2 L’audiovisuel public

Le budget affecté à l’audiovisuel public représente environ la moitié du budget total du ministère de la Culture et de la Communication. Même s’il est alimenté par un impôt spécifique (la redevance audiovisuelle), on peut s’interroger sur ce ratio : est-il légitime que l’audiovisuel public pèse autant que tous les autres secteurs culturels réunis ? Il s’agit d’un dossier délicat, voire explosif, politiquement et socialement, ce qui explique sans doute que, malgré plusieurs rapports sur le sujet[109], les actions publiques aient été davantage orientées vers la continuité que vers la réforme.
Les interrogations sur l’audiovisuel public concernent ses missions et le périmètre nécessaire pour les accomplir. Il faut rappeler que la création de la télévision publique s’est faite en situation de monopole dans un contexte d’absence d’une offre privée. La situation est totalement différente aujourd’hui où l’offre privée est surabondante[110] et où les modes de consommation ont profondément changé. On est passé en effet d’un mode de consommation linéaire où il était possible de rassembler au même moment un large auditoire à un mode délinéarisé où chacun peut consommer ce qu’il veut et quand il veut. Dans ce contexte, la création de lien social, visant à faire partager à la communauté nationale un imaginaire commun, qui était un des éléments fondateurs de la télévision publique[111], relève de plus en plus de la chimère. Les modes de consommation éclatés et individualisés, la fragmentation de la société que l’on peut observer en France[112] comme dans d’autres pays, ainsi que le rétrécissement et le vieillissement de l’audience (plus de 60 ans en moyenne pour les chaînes de service public) rendent cette ambition de plus en plus difficile à tenir[113].
 Les missions initiales s’ordonnaient autour d’un triptyque : informer / éduquer / distraire en s’adressant au public le plus large possible[114].
– La fonction d’information relève d’un champ d’analyse spécifique qui se situe en dehors de l’approche retenue pour la présente étude. Le rôle spécifique d’un service public pourrait être d’être un lieu d’indépendance, de neutralité et d’objectivité pour garantir le pluralisme de l’information[115]
– La fonction éducative demeure importante, en particulier dans le contexte de la crise sanitaire et de l’enseignement distanciel ou hybride. Même si de très nombreux contenus relevant de ce domaine sont disponibles par ailleurs (par exemple sur YouTube[116] ou sur des chaînes thématiques comme Histoire[117]), on pourrait imaginer un rôle de labellisation et de prescription joué par la télévision publique (sans doute en lien avec le ministère de l’Éducation nationale).
– Enfin, la fonction de distraction est maintenant très largement remplie par l’offre privée. Il faut donc s’interroger sur ce que devrait être l’apport spécifique d’un divertissement labellisé « service public ». Par exemple, est-il légitime que le service public surenchérisse sur les droits sportifs[118]  face aux opérateurs privés (quelle est la valeur ajoutée d’assister à un match de football ou de rugby sur une chaîne publique plutôt que sur une chaîne privée gratuite[119] ?). Il en va de même pour certaines émissions de variétés ou de jeux, où la logique de l’audience conduit davantage à la similitude qu’à la différenciation avec le secteur privé.
Face à ces évolutions, il nous semble que les principales orientations à assigner à   l’audiovisuel public devraient être recentrées sur deux aspects principaux : la complémentarité (corriger les imperfections du marché) et l’innovation.
– Corriger les imperfections du marché : cette orientation, qui concerne à la fois les téléspectateurs et les programmes, consiste à s’adresser à des catégories de population moins bien desservies par les chaînes commerciales[120] et à programmer des contenus moins présents sur leurs antennes. Si le désir de distraction est largement couvert par l’offre privée, certains domaines ont nettement moins les faveurs des éditeurs que d’autres : il peut s’agir de sports « mineurs » moins exposés sur les chaînes commerciales[121] ou de programmes culturels[121]
– Soutenir l’innovation : Il doit revenir au service public à la fois de soutenir fortement la création originale hexagonale mais aussi d’explorer des formats innovants, afin de renforcer la place de l’industrie française dans l’univers encombré de la production audiovisuelle mondiale. En outre, il est important que la fonction de recherche et développement soit préservée pour permettre aux talents, français ou européens de s’exprimer[123].

De nouveaux indicateurs d’audience

L’approche suivie actuellement par la télévision publique est très généraliste. Ceci se traduit à la fois par la présence de publicité sur les antennes[124] ainsi que par l’utilisation comme indicateurs de performance de mesures d’audience issues du modèle des télévisions commerciales financées par la publicité[125]. Ces indicateurs (dits « content centric ») mesurent le nombre de téléspectateurs présents à un moment donné, ce qui correspond au souci de mesurer l’audience des spots publicitaires : ils induisent une pondération implicite des téléspectateurs en fonction de leur durée d’écoute puisqu’ils sont comptés autant de fois qu’ils sont connectés à la chaîne (d’où par exemple une sous-pondération des jeunes, dont la durée d’écoute est plus faible que celle des autres catégories de population). Dans le cas d’un service public, il serait plus pertinent de se démarquer de ces logiques publicitaires[126] et d’utiliser des indicateurs d’audience (dits « user centric ») où chaque citoyen[127], payeur de la redevance audiovisuelle, a le même poids[128] quel que soit son volume d’écoute[129].

3.3.3 La chronologie des médias

De nouveaux indicateurs d’audience
L’approche suivie actuellement par la télévision publique est très généraliste. Ceci se traduit à la fois par la présence de publicité sur les antennes[124] ainsi que par l’utilisation comme indicateurs de performance de mesures d’audience issues du modèle des télévisions commerciales financées par la publicité[125]. Ces indicateurs (dits « content centric ») mesurent le nombre de téléspectateurs présents à un moment donné, ce qui correspond au souci de mesurer l’audience des spots publicitaires : ils induisent une pondération implicite des téléspectateurs en fonction de leur durée d’écoute puisqu’ils sont comptés autant de fois qu’ils sont connectés à la chaîne (d’où par exemple une sous-pondération des jeunes, dont la durée d’écoute est plus faible que celle des autres catégories de population). Dans le cas d’un service public, il serait plus pertinent de se démarquer de ces logiques publicitaires[126] et d’utiliser des indicateurs d’audience (dits « user centric ») où chaque citoyen[127], payeur de la redevance audiovisuelle, a le même poids[128] quel que soit son volume d’écoute[129].
Une réforme de l’audiovisuel public devrait s’inscrire dans une réflexion plus large, prenant en compte tout l’écosystème de l’audiovisuel. L’analyse du système de financement de l’audiovisuel[130], en France, au sein duquel le cinéma occupe une position singulière, dépasse le cadre de la présente note. Nous nous contenterons donc ici de traiter un sujet qui tient une place importante dans ce dispositif et dont l’actualité est prégnante : la chronologie des médias.
Le système consacre le rôle central de la salle de cinéma dans la valorisation des films. En France, il marque également la place de la télévision, et en particulier de Canal+, comme principal financeur du cinéma. Il fait périodiquement l’objet d’aménagements à la suite de négociations interprofessionnelles vigoureuses.
La chronologie des médias est actuellement remise en cause de façon plus fondamentale pour deux principales raisons divergentes : d’une part, le cas des films à petit budget et, de l’autre, le développement des plateformes de SVOD. Dans le premier cas, il s’agit d’autoriser des films à petits budgets et à l’économie fragile, pour lesquels la sortie en salles offre des perspectives de recettes limitées[131], à sortir simultanément en salles et en DVD ou VOD afin de mieux rentabiliser les dépenses de communication lors de leur lancement.
Le cas des plateformes qui produisent leurs propres contenus (films ou séries[132]) est bien différent : la chronologie des médias leur impose actuellement un délai de trois ans après sa sortie en salles pour diffuser sur leur plateforme un film qu’elles ont produit ; ce délai a pour conséquence le refus d’une sortie en salles au bénéfice d’une sortie directe sur la plateforme[133].

La chronologie des médias est la règle définissant l’ordre et les délais dans lesquels les diverses exploitations d’une œuvre cinématographique peuvent intervenir. Le principe de ce dispositif repose sur une logique économique : hiérarchiser les canaux de diffusion des œuvres cinématographiques selon leur rentabilité décroissante (salles de cinéma[134], DVD, télévision payante, télévision gratuite[135]). Ce système existe aux États-Unis sous forme d’accord interprofessionnel. En Europe, une directive européenne (directive du 30 juin 1997) prévoit que la chronologie des médias est fixée d’un commun accord entre les ayants droit et les diffuseurs. En France, le dispositif a de ce fait cessé d’être déterminé par la voie législative ou réglementaire comme il l’était depuis la loi du 29 juillet 1982 sur la Communication audiovisuelle, pour être l’objet d’accords interprofessionnels. Depuis la loi Création et Internet du 12 juin 2009, le ministre de la Culture peut prendre un arrêté d’extension de l’accord qui a pour effet, sous certaines conditions, de le rendre obligatoire pour tous, y compris pour les organisations et acteurs du milieu qui ne l’auraient pas signé.

Ce débat a été évidemment accéléré par la fermeture des salles de cinéma pendant la crise sanitaire. Cette fermeture a ouvert la voie à de nouvelles modalités de diffusion contournant l’étape de la salle : par exemple, des films français ont été autorisés à sortir directement en VOD sans perdre les aides du CNC ; pour d’autres, les droits de diffusion ont été vendus à des plateformes de SVOD telles que Netflix ou Amazon Prime. Aux États-Unis, Universal a lancé le film Trolls directement en VOD payante[136] ; il en va de même pour le lancement par Disney de sa nouvelle superproduction Mulan sur sa plateforme de SVOD Disney+ (au prix de 30 dollars en plus de l’abonnement). Cette solution a l’inconvénient de restreindre l’audience potentielle (les seuls abonnés de la plateforme dans le cas de Disney), mais l’avantage de bénéficier de l’intégralité de la recette sans avoir à reverser un important pourcentage aux salles ; de plus, l’accessibilité exclusive d’un contenu peut être un facteur d’incitation à l’abonnement à la plateforme[137]. La question des sorties « hybrides » de films (diffusion simultanée en salles et sur une plateforme[138]) devra être prise en compte dans une nouvelle définition de la chronologie des médias.
Le débat n’est pas clos, et les négociations en cours font l’objet de très vifs échanges entre les parties prenantes : les acteurs anciens comme Canal+ sont évidemment attachés à leurs avantages historiques, alors que les nouveaux entrants sont favorables à des modifications plus radicales. Les intérêts sont également divergents au sein de la filière cinématographique entre producteurs, distributeurs et exploitants. À partir du moment où les nouveaux acteurs sont soumis également à des obligations de financement de la production (en pourcentage de leur chiffre d’affaires, comme indiqué précédemment) une logique d’équité serait que les mêmes règles s’appliquent à des acteurs soumis aux mêmes obligations.
Au-delà des enjeux et décisions de court terme, la question de la chronologie des médias invite à une réflexion plus approfondie sur le devenir du cinéma et de sa diffusion en salles. Actuellement, la définition juridique d’un film (concrétisée par la délivrance d’un visa d’exploitation) repose sur la sortie en salles (ce qui correspond aux intérêts d’une partie de la filière, les exploitants). Cependant, on peut observer que les périodes de confinement liées à la crise sanitaire ont accéléré les évolutions déjà en cours vers une transition numérique de visions de films à domicile (comme le montre le succès des plateformes de SVOD, en particulier Netflix). Les premiers résultats de la fréquentation après la réouverture des salles, ainsi que les enquêtes sur les intentions post-crise de fréquentation des lieux culturels[139], convergent vers la persistance durable des nouvelles habitudes de consommation. En particulier, les entrées sont concentrées sur un petit nombre de titres à succès aux dépens du cinéma d’auteur indépendant. Cette évolution devrait nourrir une réflexion sur une différenciation de la chronologie des médias selon le type de film. Cette réflexion devrait concerner en particulier le cinéma d’auteur : sorties hybrides, voire création d’une plateforme de VOD « art et essai » spécialement dédiée[140].

3.3.4 Souveraineté et relations avec les opérateurs globaux

Il est impossible de terminer cette section sur l’agenda des dossiers prioritaires sans aborder la question des relations avec les grands opérateurs mondiaux[141], qu’ils soient généralistes[142] (les GAFA) ou spécialisés dans les domaines de la production et de la diffusion des contenus culturels (Netflix, Disney…). Ces relations posent à la fois des questions de politique industrielle et de souveraineté culturelle. Elles ne peuvent être envisagées au seul niveau national : le plus souvent, c’est au niveau d’une concertation au sein de l’Union européenne qu’elles doivent être traitées. L’Europe s’est bâtie avec l’ambition première de construire le marché unique et a longtemps considéré que la souveraineté était l’affaire des États membres. Dans le champ culturel, les directives européennes fixent un certain nombre de principes et des minima (quotas de diffusion par exemple) que les États membres doivent respecter, laissant à ceux-ci la possibilité d’effectuer des adaptations locales.
Un des exemples les plus révélateurs d’un changement nécessaire de perspective est la directive européenne SMA (Services de médias audiovisuels[143]). Cette directive a deux conséquences principales : l’instauration de quotas d’investissement dans la production cinématographique et audiovisuelle ; l’obligation d’intégrer au moins 30 % d’œuvres européennes dans les catalogues des plateformes. L’obligation d’investissement, visant à accroître le financement de la création, pose déjà la question du volume – faut-il durcir au niveau français l’obligation d’investissement proposée par l’Union européenne ? deux taux de contribution sont envisagés 20 % ou 25 % du chiffre d’affaires[144] –, mais aussi celle de l’assiette – comment définir et mesurer le chiffre d’affaires local d’entreprises globales ? Elle aura pour conséquences un profond bouleversement du système de financement du cinéma et de l’audiovisuel en France, ainsi qu’une nécessaire renégociation de la chronologie des médias (cf. section précédente).
Une question centrale, pour l’instant non résolue, sera l’égalité de traitement entre plateformes internationales et chaînes de télévision nationales en ce qui concerne notamment les droits d’exploitation des contenus financés : les plateformes ont la propriété totale, et le plus souvent mondiale, de ces droits, alors que les acteurs de la télévision n’en ont qu’une propriété limitée dans le temps et dans l’espace (partagée avec les producteurs de ces contenus[145]). Il s’agit aussi d’un enjeu de souveraineté culturelle : la décision de lancement de nouveaux projets de films et de séries sera-t-elle prise en France ou à l’international[146] ? À défaut de mettre en œuvre une politique par trop protectionniste[147], il faut a minima desserrer les réglementations et les dispositifs anti-concentration actuellement en vigueur afin de renforcer le tissu industriel des producteurs nationaux (voire européens) face à la concurrence mondialisée.  Une question subsidiaire est de savoir s’il y aura un traitement global sur l’ensemble du secteur ou des traitements distincts pour le cinéma et le reste de l’audiovisuel.
Un autre domaine sensible est celui de la prescription. On sait que la maîtrise de cette activité est essentielle pour orienter le consommateur confronté aux dilemmes de l’hyperchoix ainsi que pour assurer la diversité indispensable dans le domaine culturel. Les algorithmes de recommandation[148] sont au cœur du fonctionnement des plateformes numériques et occupent une place importante au sein des dispositifs de prescription que nous avons analysés précédemment. Ces algorithmes constituent des actifs stratégiques pour les plateformes et évoluent parfois de manière très dynamique, ce qui rend illusoire d’en maîtriser les effets. Dans ces conditions, la promotion de la diversité par les plateformes ne peut s’apprécier qu’ex post, dans la consommation effective. On peut dès lors envisager de mettre en place un label permettant de juger de la qualité des algorithmes disponibles sur le marché, mettant en avant ceux qui respectent au mieux la diversité. Une autre manière de faire serait de labelliser celles qui proposent à leurs utilisateurs plusieurs options et non une seule qui, le plus souvent, met en avant leurs nouveautés commerciales[149].
Deux autres questions devront également être traitées : les droits d’auteur et la fiscalité (« taxe GAFA »). Les négociations s’inscriront dans le contexte géopolitique plus global des relations internationales sur les échanges commerciaux.
Synthèse des propositions sur les quatre dossiers prioritaires
– Pass Culture : mise en place d’un dispositif public d’évaluation permettant de discerner entre contribution effective à la démocratisation et financement supplémentaire des industries culturelles.
– Audiovisuel public : élaboration de nouveaux indicateurs d’audience ; positionnement dans une logique de subsidiarité/ complémentarité.
– Chronologie des médias : à court terme, aménagements permettant l’insertion des plateformes dans le dispositif de financement et de diffusion ; à moyen terme, refonte prenant en compte la diversité des films et les nouvelles habitudes de consommation.
– Souveraineté : révision des règles concurrentielles pour favoriser l’émergence et le développement de « champions nationaux » confrontés à une compétition globalisée.

Les industries culturelles face à la crise sanitaire

Le travail de recherche sur lequel est fondée cette note a, pour l’essentiel, été entrepris avant la survenance de la crise sanitaire résultant de la pandémie de Covid-19. Et ce n’est évidemment pas son objet que d’analyser la crise et ses conséquences[150]. Cependant, quelques observations pertinentes pour les industries culturelles peuvent être formulées.

Le secteur culturel figure parmi les secteurs les plus impactés par les conséquences économiques de cette crise[151] : les pertes de chiffre d’affaires des secteurs culturels marchands entre 2019 et 2020 ont été estimées par le ministère de la Culture à 11 milliards d’euros[152]. Toutefois, ces effets sont fortement différenciés selon les secteurs qui le composent. La projection cinématographique (- 65 %) et le spectacle vivant (- 43 %) sont les deux secteurs les plus affectés, alors que le jeu vidéo a affiché une progression annuelle de 21 % de son chiffre d’affaires. Au deuxième trimestre 2021, après cinq trimestres de baisse consécutifs, le chiffre d’affaires des secteurs culturels marchands a enregistré une hausse de 21 % par rapport au deuxième trimestre 2020, trimestre le plus sévèrement marqué par la crise. Il ne retrouve cependant pas son niveau du deuxième trimestre 2019 d’avant-crise, enregistrant une perte de  9 % par rapport à ce trimestre d’une année « normale[153] ».

La fermeture des lieux publics a entraîné une rupture du lien économique et symbolique entre les institutions et entreprises culturelles et leurs publics. Elle a conduit à un repli de la consommation culturelle vers la sphère domestique, renforçant la fracture, déjà observée dans les enquêtes sur les pratiques culturelles, entre culture de sortie et culture de salon. Elle a touché très violemment l’ensemble du secteur patrimonial : musées et monuments, foires et galeries d’art, spectacle vivant.

Pour les industries culturelles, la situation est beaucoup plus contrastée, deux secteurs ont été particulièrement concernés : l’édition de livres (fermeture des librairies) et le cinéma (fermeture des salles et arrêt des tournages[154]). Le secteur de la musique a également été concerné pour sa partie spectacle vivant (annulations des concerts et festivals). À l’inverse, l’évolution a été favorable pour d’autres secteurs : l’audience de la télévision a augmenté (environ une heure supplémentaire par jour)[155], ainsi que les abonnements aux plateformes de SVOD et la consommation de jeux vidéo. Face aux incertitudes sur l’évolution de la situation sanitaire[156], la question des tendances futures reste posée. À court terme, il semble que le chiffre d’affaires des librairies connaisse un rebond important lié à un effet de rattrapage d’une demande réprimée pendant le confinement. Il n’en va pas du tout de même pour le cinéma en salles, qui est loin de retrouver son niveau de fréquentation antérieur (les entrées après la réouverture se situent à environ 30 % de celles de la même période de l’année précédente). À long terme, la question d’un « retour à la normale » est posée : les évolutions constatées pendant le confinement correspondent-elles à une accélération de la mutation en cours du passage de la culture patrimoniale à la culture numérique ?

4. La matrice d’une politique culturelle ambitieuse

Les industries culturelles face à la crise sanitaire
Le travail de recherche sur lequel est fondée cette note a, pour l’essentiel, été entrepris avant la survenance de la crise sanitaire résultant de la pandémie de Covid-19. Et ce n’est évidemment pas son objet que d’analyser la crise et ses conséquences[150]. Cependant, quelques observations pertinentes pour les industries culturelles peuvent être formulées.
Le secteur culturel figure parmi les secteurs les plus impactés par les conséquences économiques de cette crise[151] : les pertes de chiffre d’affaires des secteurs culturels marchands entre 2019 et 2020 ont été estimées par le ministère de la Culture à 11 milliards d’euros[152]. Toutefois, ces effets sont fortement différenciés selon les secteurs qui le composent. La projection cinématographique (- 65 %) et le spectacle vivant (- 43 %) sont les deux secteurs les plus affectés, alors que le jeu vidéo a affiché une progression annuelle de 21 % de son chiffre d’affaires. Au deuxième trimestre 2021, après cinq trimestres de baisse consécutifs, le chiffre d’affaires des secteurs culturels marchands a enregistré une hausse de 21 % par rapport au deuxième trimestre 2020, trimestre le plus sévèrement marqué par la crise. Il ne retrouve cependant pas son niveau du deuxième trimestre 2019 d’avant-crise, enregistrant une perte de  9 % par rapport à ce trimestre d’une année « normale[153] ».
La fermeture des lieux publics a entraîné une rupture du lien économique et symbolique entre les institutions et entreprises culturelles et leurs publics. Elle a conduit à un repli de la consommation culturelle vers la sphère domestique, renforçant la fracture, déjà observée dans les enquêtes sur les pratiques culturelles, entre culture de sortie et culture de salon. Elle a touché très violemment l’ensemble du secteur patrimonial : musées et monuments, foires et galeries d’art, spectacle vivant.
Pour les industries culturelles, la situation est beaucoup plus contrastée, deux secteurs ont été particulièrement concernés : l’édition de livres (fermeture des librairies) et le cinéma (fermeture des salles et arrêt des tournages[154]). Le secteur de la musique a également été concerné pour sa partie spectacle vivant (annulations des concerts et festivals). À l’inverse, l’évolution a été favorable pour d’autres secteurs : l’audience de la télévision a augmenté (environ une heure supplémentaire par jour)[155], ainsi que les abonnements aux plateformes de SVOD et la consommation de jeux vidéo. Face aux incertitudes sur l’évolution de la situation sanitaire[156], la question des tendances futures reste posée. À court terme, il semble que le chiffre d’affaires des librairies connaisse un rebond important lié à un effet de rattrapage d’une demande réprimée pendant le confinement. Il n’en va pas du tout de même pour le cinéma en salles, qui est loin de retrouver son niveau de fréquentation antérieur (les entrées après la réouverture se situent à environ 30 % de celles de la même période de l’année précédente). À long terme, la question d’un « retour à la normale » est posée : les évolutions constatées pendant le confinement correspondent-elles à une accélération de la mutation en cours du passage de la culture patrimoniale à la culture numérique ?
Les politiques culturelles à l’égard des industries culturelles et créatives (ICC) restent marquées par des approches et des instruments hérités de l’histoire. Engager une politique ambitieuse vis-à-vis de ces secteurs repose d’abord sur l’affirmation de grands principes, lesquels découlent tant d’objectifs généraux que de l’identification des enjeux majeurs procédant d’un contexte largement renouvelé.
Ce contexte, comme nous l’avons vu précédemment, résulte principalement de la progression constante de la numérisation (et en particulier du rôle central des plateformes), encore accélérée par la crise sanitaire, et par ses nombreuses répercussions. Nous développerons les enjeux principaux après avoir énoncé ce qui nous semble être le socle sur lesquels ils reposent.

4.1 Une politique culturelle au service de la place de l’art dans la société et de la souveraineté culturelle

Commençons par réaffirmer le caractère spécifique des activités culturelles, dans leur essence comme dans leur économie.
Dans leur essence, car nous plaçons cette conclusion sous le signe d’une conviction : le caractère essentiel de la création artistique et de la culture, comme composantes fondamentales du développement humain et du lien social. À ce titre, elle peut (et doit) être traitée comme la santé ou l’éducation. Or, ce caractère est parfois nié par la tentation de justifier l’intervention dans ces secteurs par ses retombées économiques. Sans nier l’importance du poids de la culture dans le produit intérieur brut de notre pays, ou ses effets en termes d’emploi ou de commerce extérieur, il est important de ne pas en faire les moteurs principaux de l’intervention publique dans la culture. Une politique culturelle, même si elle s’applique aux secteurs qui s’inscrivent dans une économie de marché, ne doit jamais abandonner son objectif premier de promotion de l’art et de la création en tant que tels.
Dans leur économie ensuite, car si ces secteurs ne sont pas incompatibles avec une économie marchande, les tendances naturelles auxquelles ils sont soumis font de l’intervention publique une nécessité, dès lors que l’on reconnaît leur caractère essentiel et que l’on réaffirme les enjeux en lien avec cette vision. Nous les rappelons.
– Diversité culturelle et dynamisme créatif : éviter l’uniformisation ou le formatage des œuvres, permettre une diversité des formes d’expression et un renouvellement créatif.
– Accès à la culture et lien social : favoriser l’accès de tous à la culture, faire de la consommation culturelle un vecteur du lien social.
– Souveraineté et diplomatie culturelle[157] : rendre possible et faire rayonner dans le monde l’expression de voix françaises et européennes.

  4.2 De nouveaux principes directeurs en phase avec un contexte renouvelé

Déployer une politique culturelle suppose de prendre en compte la transformation radicale du contexte telle que nous l’avons analysée. Cette transformation se manifeste principalement dans les aspects suivants :
– basculement vers une économie de la surabondance ;
– globalisation de l’économie des biens culturels numériques et rôle central des plateformes ;
– coexistence d’une économie numérique avec une économie physique ;
– possibilité d’une balkanisation de la consommation.
Le basculement vers une économie de la surabondance déplace les enjeux de la production vers la visibilité, rendant inadaptés un certain nombre d’outils, comme les quotas, et rendant essentiel de recentrer la régulation sur la question de la visibilité et de la prescription.
L’avènement d’une économie numérique structurée autour de plateformes, dont les métavers constitueront un nouvel avatar[158], est un autre phénomène majeur à prendre en considération. Le poids des algorithmes, l’attraction de contenus à potentiel global et un moindre accompagnement humain offrent un débouché moins adapté à des contenus novateurs, ayant besoin de temps pour construire leur public et possédant souvent un fort ancrage national. Par ailleurs, la forte dynamique de l’économie numérique, sujette à des mouvements stratégiques brutaux de ses acteurs et à des changements rapides de pratiques des consommateurs, nécessite de se doter d’outils de compréhension et de suivi des évolutions.
En outre, l’économie numérique promeut des œuvres différentes de celles qui se déploient dans une économie physique. Mais la concurrence entre ces deux économies peut mettre en péril l’économie physique : l’enjeu est la complémentarité ou la substituabilité de ces modes de diffusion. Par exemple, la concurrence d’Amazon sur les livres à rotation rapide fragilise l’économie des librairies [159] ; or les librairies n’ont pas le même rôle qu’Amazon dans l’économie du livre, notamment vis-à-vis de la promotion de nouveaux auteurs. Il paraît donc essentiel que les politiques culturelles prennent en compte cette dualité et considèrent séparément ces deux économies, en s’attachant tout à la fois à la diversité et à la vitalité des acteurs nationaux sur les plateformes numériques et à la protection de filières traditionnelles à forte composante physique.
Enfin, à côté du rôle désormais central des algorithmes, on observe, dès avant l’arrivée d’Internet, une réduction considérable de la prégnance des médias de masse. Cette évolution a pour effet de remettre en cause la structure de la consommation culturelle telle que nous l’avons connue jusqu’alors. Un effet majeur est la disparition progressive des programmes culturels fédérateurs à l’échelon national. Alors que l’ensemble des citoyens pouvaient se retrouver autour de références culturelles communes, la personnalisation et la délinéarisation (consommation indépendante d’une programmation extérieure) génèrent des phénomènes d’« étanchéité culturelle[160] » entre des personnes vivant pourtant à proximité les unes des autres. Dans ces conditions, c’est la question de la culture en tant que véhicule d’une identité partagée qui est remise en question. Dans une société où on ne partage plus les mêmes sources d’information, ni les mêmes références culturelles, il ne resterait alors que les grands événements sportifs[161] pour assumer ce rôle. Les risques sociétaux associés à cette balkanisation devraient conduire à des interrogations sur la manière de retrouver des productions culturelles fédératrices.
Les enjeux et les tendances que nous venons de rappeler dessinent la matrice dans laquelle doivent s’inscrire les politiques culturelles (tableau 5). Nous suggérons ensuite certains principes ou dispositifs de portée générale découlant de cette matrice. D’autres pourront être élaborés à partir de cette matrice pour l’action et la prise de décision dans des contextes spécifiques.
     Tableau 5 – Tendances d’évolution et enjeux des politiques culturelles

TENDANCE

ENJEU

Vers une économie de la surabondance

De la démocratisation à la visibilité

Globalisation et plateformisation

Régulation des plateformes (compréhension des modèles)

Coexistence d’une économie numérique et d’une économie physique

Assurer la complémentarité entre ces deux mondes

Balkanisation de la consommation

Retrouver des productions culturelles fédératrices

4.3 Remplacer la démocratisation par l’égalité d’accès et la régulation de la prescription

TENDANCE
ENJEU
Vers une économie de la surabondance
De la démocratisation à la visibilité
Globalisation et plateformisation
Régulation des plateformes (compréhension des modèles)
Coexistence d’une économie numérique et d’une économie physique
Assurer la complémentarité entre ces deux mondes
Balkanisation de la consommation
Retrouver des productions culturelles fédératrices
La démocratisation a été l’un des piliers de la politique culturelle française depuis la création du ministère de la Culture. Le problème aujourd’hui n’est plus d’enrichir l’offre – elle est surabondante – ni de faire percoler l’art « légitime » dans toutes les sphères de la société. Il est d’abord de faire en sorte que chacun puisse avoir accès à cette offre abondante[162] et donc d’abord de réduire la « fracture numérique ». Comme indiqué précédemment, il reste une fraction de français (15 % à 20 % selon les indicateurs) n’ayant pas accès à Internet ou à des réseaux haut débit : il est donc nécessaire de compléter la couverture numérique pour permettre à chacun d’avoir accès à l’offre culturelle numérique.
Une autre dimension concerne, dans une logique de médiation, la qualité et la diversité des prescriptions proposées. Pour ce faire, s’il n’est pas de la responsabilité des pouvoirs publics d’édicter ce qui doit être proposé au public, ils peuvent néanmoins avoir des actions sur la prescription, qui favorisent la diversité culturelle. La labellisation des algorithmes, proposée précédemment, relève de cette logique. L’évaluation des offres devra être décalée de la programmation vers la consommation effective : les entreprises vertueuses, à l’ère de la surabondance, sont moins celles qui présentent une variété d’œuvres que celles qui donnent lieu à une consommation effective d’une variété d’œuvres[163].

  1. 4.4  Une politique qui favorise l’approche entrepreneuriale

L’arrivée des plateformes comme mode de distribution des biens culturels se traduit par un contexte renouvelé, dont la prise en compte est essentielle dans la redéfinition de l’intervention publique. La transformation des modalités de production et de distribution des œuvres s’accompagne d’un déplacement et d’un changement de nature de la concurrence.
La raison principale tient au fait que l’offre que proposent les plateformes est surabondante. D’abord parce qu’elles peuvent stocker un nombre gigantesque de titres. Ensuite parce que les barrières à l’entrée ont été abaissées de façon importante dans la plupart des secteurs, avec comme conséquence la multiplication des offres créatives (autoédition dans le livre, matériels et logiciels professionnels accessibles dans le domaine musical, les jeux vidéo ou l’audiovisuel pour une autoproduction de qualité, production UGC sur YouTube ou sur les réseaux sociaux tels que TikTok). De fait, le marché de toutes les industries culturelles est devenu hyperconcurrentiel.
La concurrence entre propositions artistiques ne se joue donc plus tant pour l’accès à des canaux de diffusion autrefois marqués par une certaine rareté (la présence en librairie, la signature avec un label de musique ou la programmation dans une salle de cinéma) que pour la captation de l’audience[164]. Ce basculement rend nécessaire non seulement d’être capable de proposer des œuvres, pour lesquelles les plateformes ouvrent un appel d’air gigantesque, mais de leur permettre de rassembler rapidement une audience, dans un nouveau contexte où la concurrence est encore plus exacerbée.
L’ère des plateformes introduit une concurrence qui se joue désormais sur deux axes : la capacité des œuvres à être mises en avant et leur capacité à accrocher rapidement un public.
Le premier axe a des implications en termes de prescription. Le pouvoir de négociation face aux plateformes et les moyens de promotion y jouent un rôle clé, favorisant de facto les acteurs puissants. Le seul rôle que puissent jouer les pouvoirs publics est de s’assurer que les algorithmes de recommandations ne soient pas biaisés (voir supra section 4.3).
Le second exige de se conformer à des standards de qualité technique ou à des canons esthétiques, anciens ou nouveaux. L’industrie du livre, des jeux vidéo, comme celle de la musique enregistrée ont, en France, à la fois des représentants de taille mondiale (Hachette-Editis, Ubisoft, Universal Music[165]) et un tissu d’acteurs innovants très dynamique[166]. La logique entrepreneuriale y est la norme, et l’industrie française supporte la comparaison avec ses homologues étrangères. La situation n’est pas la même dans le secteur du cinéma. Le secteur est en effet l’objet de protections diverses (quotas, chronologie des médias) et bénéficie d’un système de financement jusqu’à présent largement basé sur la contribution des acteurs audiovisuels nationaux (principalement les chaînes de télévision) et fondé sur un système de redistribution fiscale et d’obligations de production. Ce système a eu quelques vertus[167] mais a engendré également des dérives[168], qui laissent aujourd’hui le tissu des producteurs cinématographiques français, largement déconnectés du marché, potentiellement à la merci de décisions prises outre-Atlantique (les grandes plateformes nord-américaines devant prendre pour partie le relais financier des diffuseurs nationaux[169]).
Le modèle canonique de l’économie de la création repose sur des investisseurs (producteurs ou éditeurs) qui croient en un projet ou un artiste et s’efforcent de le faire émerger de la multitude. C’est aux éditeurs/producteurs d’assumer leurs choix et de les défendre, ce qui suppose un interventionnisme éditorial minimal des pouvoirs publics[170]. Par contre, il revient aux pouvoirs publics de mettre en place un cadre qui renforce le tissu économique (financement de projets innovants, aide au développement d’entreprise, formation…) pour mieux faire face à une concurrence désormais globale et contribuer à la préservation de l’expression nationale.

  1. 4.5 Soutenir l’économie physique

L’économie physique relève d’une tout autre logique et conduit à la production d’œuvres de nature différente, qui s’appuient plus fortement sur un ancrage local ou national. Il nous semble essentiel de favoriser le maintien de cette économie qui permet un accès aux œuvres, en parallèle de l’économie qui se construit autour des plateformes : défense des librairies, des salles de concert et de spectacles, et des salles de cinéma. Ce soutien permettra leur viabilité et leur capacité à faire vivre des productions nationales et d’éviter le risque de perte de diversité d’une économie qui renoncerait à son pied physique. En la matière, on peut escompter qu’un soutien aux structures peut engendrer un appel d’air, qui permette à des projets différents de se développer.

4.6 Pour une approche transversale des politiques culturelles

L’économie des plateformes est spécifique, extrêmement dynamique et très structurante vis-à-vis du champ culturel. La révolution numérique a entraîné les différents secteurs culturels dans une convergence qui est, a minima, celle des enjeux et des tendances. Agir sur l’économie de la culture suppose donc de se doter des moyens d’en avoir une compréhension fine, ce qui suppose une compréhension d‘une part de l’économie de la création, d’autre part de l’économie numérique. Aujourd’hui, l’intelligence de ces secteurs apparait trop parcellaire et très sectorisée : l’action publique est souvent défensive, dictée par les réactions à des crises et guidée par la pression des différents lobbies, comme en témoigne le recours régulier à des états généraux, couplé parfois avec un déblocage de fonds.
Si cette approche pouvait être pertinente dans un monde qui restait piloté au niveau national, comme l’écosystème du cinéma français, elle ne l’est plus dans un contexte ouvert, où la notion de filière nationale n’est plus pertinente face au déploiement des plateformes globales. En outre, cette approche tend naturellement à favoriser la défense des acteurs existants au détriment d’une dynamique de création de nouveaux acteurs.
Aussi, nous proposons que l’État réunisse des compétences de veille et d’intelligence de l’économie culturelle numérique dans une approche transversale aux différents secteurs : un centre de recherche et d’expertise, mutualisé entre les différentes industries culturelles, qui pourra doter les pouvoirs publics des instruments nécessaires à l’analyse de l’environnement numérique, du fonctionnement des algorithmes de recommandation, des dynamiques de consommation, des rapports de force entre tuyaux et producteurs de contenus, des stratégies des plateformes. Il est urgent que l’État se réapproprie une capacité de compréhension de ces secteurs, qui lui donne une capacité d’affirmation d’une politique culturelle qui ne soit plus sous-traitée aux acteurs des différents secteurs.  Il est peut-être préférable de ne pas l’héberger au ministère de la Culture, pour marquer l’affirmation d’une logique transversale et limiter les risques de renouer avec une logique des guichets. On peut envisager qu’un tel centre soit placé sous une tutelle interministérielle (Culture, Économie, Numérique).
Dans les industries culturelles, une politique culturelle ne peut se ramener ni à une politique de la concurrence, ni à la statistique publique. Elle suppose une action volontariste de l’État, axée sur une compréhension approfondie et prospective des secteurs, et des choix qui soient d’abord guidés par des objectifs culturels. L’État doit assumer un rôle stratégique dans la bataille des contenus.
Proposition 1 : Favoriser la logique entrepreneuriale des créateurs de contenu de l’économie digitale
Rompre avec la logique de guichet ;
Desserrer les réglementations et les dispositifs anti-concentration actuellement en vigueur afin de renforcer le tissu industriel des producteurs nationaux (voire européens) ;
Soutenir l’incubation de projets innovants.
Proposition 4 : Clarifier les objectifs (les indicateurs) des grands opérateurs publics et les rendre publics pour donner lieu à débat.
 

Proposition 5 : Création d’un centre de recherche et d’expertise sur les ICC, qui soit en plus doté d’une mission d’évaluation des dispositions de soutien à la culture (pass Culture, aides au secteur pendant la pandémie…).

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Sukis J., « The Relationship Between Art and AI », Medium, 6 mai 2018 
[1] Il n’y a pas de définition standard du champ des ICC, ni parmi les économistes, ni de la part des institutions publiques qui interviennent dans ce champ. Pour une définition approfondie du champ recouvert par les ICC et de leurs principales caractéristiques et propriétés, voir : Busson A. et Evrard Y., Les Industries culturelles et créatives : économie et stratégie, Vuibert, 2013, chapitre 1. Pour la suite de la présente note, nous adopterons le terme d’ « industries culturelles » pour couvrir le champ étudié et limiterons le champ à quatre secteurs : livre, musique enregistrée, cinéma et audiovisuel, jeux vidéo.
[2] 2020 doit être considérée comme une « année à part », à cause des effets différenciés de la pandémie sur les secteurs culturels ; ce point sera examiné infra.
[3] En unifiant la filière musicale par le rapprochement de la musique enregistrée (industrie culturelle) et du spectacle vivant musical (habituellement classé dans le domaine patrimonial).
[4] Pour aller plus loin : Pfliger S. et X. Greffe, La Politique culturelle en France, La Documentation française, 2009.
[5] Il existait auparavant un secrétariat d’État aux Beaux-Arts dont le périmètre d’action correspondait au premier volet (et même à la première moitié de celui-ci) des missions confiées au nouveau Ministère.
[6] Ces deux derniers exemples montrent que la mission patrimoniale ne se limite pas aux domaines artistiques « traditionnels », mais concerne également les industries culturelles.
[7] La création devient patrimoine au lendemain de sa présentation publique. Des éléments patrimoniaux sont fréquemment utilisés dans des créations contemporaines, qui sont d’ailleurs souvent accueillies dans des lieux de patrimoine.
[8] Voir à ce sujet Evrard Y. « Democratizing culture or cultural democracy ? », The Journal of Arts Management, Law, and Society, 27(3), 167–175, 1997.
[9] Cf. Lombardi P. et L. Wolff, Cinquante Ans de pratiques culturelles en France, Culture Etudes, MCC/DEP, 2020.
[10] Voir à ce sujet l’article intitulé « Industries culturelles » publié par Augustin Girard, alors directeur du service des études et de la recherche au ministère de la Culture dans la revue Futuribles de septembre-octobre 1978. Cet article a fait scandale car, écrit par une personnalité reconnue du ministère de la Culture, il affirmait que « les industries culturelles ont fait davantage pour la démocratisation culturelle que toutes les politiques publiques d’action culturelle ».
[11] Exception culturelle : ensemble de dispositions visant à faire de la culture une exception dans les traités internationaux, notamment auprès de l’OMC. Ces dispositions ont pour but de spécifier que les États sont souverains et fondés à limiter le libre-échange de la culture sur le marché pour soutenir et promouvoir leurs propres artistes, véhicules et porte-paroles de leur culture (source : Wikipedia).
[12] Voir à ce sujet Paris T., « Diversité culturelle et mondialisation », in : de Montbrial T. & P. Moreau Defarges (dir.) Ramses 2005, Les Faces cachées de la mondialisation, Paris, Dunod, p. 173–187.
[13] Notons que les collectivités territoriales ont un poids considérable dans le soutien public à la culture en France. Mais elles interviennent principalement dans des domaines qui ne sont pas concernés par cette note : conservation et mise en valeur du patrimoine, spectacle vivant… Cf. Delvainquière J-C & F. Tugores « Dépenses culturelles des collectivités locales en 2014 » in Culture Chiffres, ministère de la Culture et de la Communication, 2017.
[14] Dans le projet de loi de finances 2020, la contribution à l’audiovisuel public représente 3,8 milliards d’euros soit plus que les crédits budgétaires du ministère de la Culture pour l’ensemble des autres secteurs (3,7 milliards d’euros).
[15] Il existe un système fonctionnant de façon analogue (prélèvement sur le prix des places) dans le spectacle vivant : le FSTP (Fonds de soutien au théâtre privé).
[16] Récemment fusionnée avec le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) pour former l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).
[17] Voir à ce sujet : Busson A. & Y. Evrard, op.cit., p. 89.
[18] L’essor du mécénat en France date des années 1960. La loi Léotard (23 juillet 1987) et la loi Lang (4 juillet 1990) ont renforcé des dispositifs en faveur du mécénat mais sans réelle incitation fiscale. La loi Aillagon de 2003 a comblé ce handicap. Il y a actuellement un débat sur l’opportunité de revenir sur les avantages, considérés par certains comme une « niche fiscale », dont les mécènes bénéficient grâce à cette loi.
[19] Pour une information détaillée sur le sujet, voir l’article sur le site de la Société des gens de lettres : https://www.sgdl.org/guide-des-auteurs-2017/3125-la-fiscalite-des-auteurs.
[20] École des Beaux-Arts (arts plastiques), conservatoires nationaux supérieurs (art dramatique, musique et danse), Femis, école Louis-Lumière, École supérieure d’audiovisuel et Cinéfabrique (cinéma), École nationale du jeu vidéo et des médias interactifs (jeux vidéo), Ina Sup (audiovisuel)… : la liste est longue des institutions publiques d’Etat qui fournissent un enseignement de haute qualité. D’autres formations sont portées par les collectivités locales ou le secteur privé.
[21] Trois élèves sur quatre de l’enseignement primaire ou secondaire ont été touchés par au moins une action ou un projet relevant de l’éducation artistique et culturelle (ministère de la Culture, Culture Chiffres, 2019–3).
[22] Donnat O. : Les Amateurs : enquête sur les activités artistiques des Français, MCC/DEP, La Documentation française, 1996.
[23] Dans sa thèse, Alexandre Viard parle de cogestion. Cf. Viard A., « Réguler par l’épreuve : outils de gestion et cogestion sectorielle du cinéma français », thèse de doctorat ès sciences de gestion soutenue le 16 décembre 2019, Centre de recherche en gestion de l’École Polytechnique.
[24] Souvent proche d’une logique de « guichet » distribuant les subventions.
[25] La fermeture des salles de cinéma a de facto entraîné une baisse du produit de la taxe sur les billets.
[26] Il n’y a pas forcément une relation biunivoque entre les actions et les objectifs qu’elles servent : une action peut contribuer à plusieurs objectifs. Cependant, dans un but de clarté et de lisibilité, nous avons choisi de ne faire figurer dans le tableau que les liens principaux.
[27] Rappelons que le soutien à la création correspond surtout à une logique d’offre, alors que l’objectif de diversité répond davantage à une logique de demande (favoriser la diffusion des œuvres).
[28] Des aides existent au niveau des collectivités locales, principalement les régions.
[29] Dans le bilan 2020–2021 du SNE, la littérature, avec 21,5 % du CA total de l’édition, est le principal segment du secteur. Il n’inclut ni les livres pour la jeunesse, ni la BD, ni les sciences humaines, ni les beaux livres.
[30] Notons qu’il y a eu en France, après le vote de la loi, des actions de résistance de la grande distribution (Fnac, Leclerc) qui ont porté l’affaire devant les institutions européennes de la concurrence, celles-ci ayant validé in fine l’exception du livre.
[31] Les deux objectifs étant liés : la disparition de la librairie et la concentration de la distribution aux mains des grandes surfaces risquent en effet de voir l’offre se restreindre aux ouvrages à rotation rapide pour des raisons essentiellement financières. A contrario, la disparition des disquaires démontre, dans une logique quasi expérimentale, l’efficacité de la loi.
[32] Au Royaume-Uni où le Net Book Agreement (prix unique établi par accord interprofessionnel) a été abandonné en 1974, les chaînes ont absorbé une large partie du marché de détail, à l’exception de libraires très spécialisés, et même un best-seller comme Harry Potter a fait perdre de l’argent aux libraires tant la course aux rabais a rogné les marges effectives (source : Benhamou F., « Bilan sur le prix unique du livre », La Vie des Idées, 2010).
[33] Il est fréquent que les hommes politiques publient des livres pour légitimer et justifier leurs actions et leurs projets.
[34] Suite à l’adoption de la loi dite « loi Carignon », du 1er février 1994.
[35] Géré par le CNC.
[36] La numérisation peut avoir un impact sur la qualité de la reproduction des œuvres. Les « puristes » considèrent par exemple que la qualité sonore d’un CD numérique est moindre que celle d’un 33T analogique. Ce fait explique la « renaissance » des enregistrements vinyle que l’on constate depuis plusieurs années, alors que la technologie vinyle a été considérée comme obsolète avec l’arrivée du compact disc.
[37] La plupart des secteurs étaient mondialisés. Mais, pour écouler les œuvres sur les marchés locaux, les multinationales avaient besoin de filiales territoriales ou d’accords avec des distributeurs locaux. De même, les licences radioélectriques étaient toutes attribuées sur une base locale ou nationale. Pour qu’on puisse voir un film américain sur une chaîne de TV française, il fallait que le distributeur US vende les droits au « broadcaster » français. La diffusion par Internet supprime cette contrainte.
[38] Les acteurs globaux peuvent aussi trouver intérêt à développer des programmes pour des marchés locaux. Ainsi Netflix a créé en 2019 une filiale en France.
[39] Les stratégies multimédias sont favorisées par les évolutions récentes, mais l’idée existait depuis longtemps : voir à ce sujet Guillou B., Les Stratégies multimédia des groupes de communication, La Documentation française, 1984.
[40] Par exemple, dans un supermarché, il n’y a pas de contact direct entre un acheteur de yaourts et les fabricants de ces produits. La conséquence majeure de l’absence d’interactions est que les producteurs des biens de grande consommation ne disposent pas (contrairement aux plateformes) de données sur les consommateurs et sont obligés d’acquérir des informations en ayant recours à d’autres sources (panels de consommateurs, voire distributeurs eux-mêmes). 
[41] Les abonnés à « Amazon Prime », service haut de gamme (avec notamment une livraison plus rapide) proposé aux clients de la place de marché Amazon, ont accès gratuitement à une chaine de VOD (avec un supplément pour la retransmission du championnat de France de football).
[42] Ainsi que sur les phénomènes de désinformation.
[43] On parle de « consumer empowerment ».
[44] Ce qui correspond d’ailleurs à la définition de la démocratisation de la culture proposée par Jean Vilar. Il ne faut pas cependant négliger le risque de banalisation des contenus qui peut résulter de cette logique de flux et s’opposer ainsi à l’économie de la singularité qui caractérise traditionnellement l’offre culturelle (Cf. Karpik L., L’Économie des singularités, Gallimard, 2007).
[45] Ces instances peuvent d’ailleurs être en conflit sur le choix des normes (cf. la « querelle d’Hernani »), dans une logique de concurrence, en particulier dans les périodes d’innovation.
[46] Bourdieu P., La Distinction, critique sociale du jugement, Éditions de Minuit, 1979.
[47] Ce débat est récurrent et revient à chaque innovation dans les modalités de diffusion des biens et services culturels. Au-delà de la dimension « démocratique » de l’opposition entre deux formes de légitimité, celle des experts (parfois taxés d’élitisme) et celle du marché, il faut aussi tenir compte de la dimension d’innovation qui est constitutive des biens et services artistiques. La réception de la nouveauté est loin d’être toujours immédiate et l’histoire de l’art est pleine d’œuvres majeures dont la reconnaissance a été tardive : le marché peut être myope.
[48] Voir à ce sujet Kotras B., La Voix du web, Seuil, 2018.
[49] Voir à ce sujet Cardon D., À quoi rêvent les algorithmes ? Seuil, 2015.
[50] En ce qui concerne les relations entre intelligence artificielle et art, voir : Sukis J., « The Relationship between Art and AI », Medium, 6 mai 2018 : https://medium.com/design-ibm/the-role-of-art-in-ai-31033ad7c54e
[51]Quoique parfois remis en cause, ce modèle reste fortement prégnant dans les milieux artistiques. Sur les modèles de définition et de représentation de l’artiste, voir Heinich N., L’Élite artiste, Gallimard, 2005.
[52] Où la diffusion se faisait progressivement en rayonnant à partir d’un centre (local) de création ou de production.
[53] Anderson C., La Longue Traîne, Flammarion, 2012
[54] Voir à ce sujet Benghozi P. J. & F.Benhamou, « The long tail : Myth or reality ? », International Journal of Arts Management, 12(3), 43–53,2010. Et aussi Guillaud H., « Pourquoi la longue traîne ne marche pas », La Feuille, 24 juin 2014. Il faut noter que le phénomène de concentration des ventes entre en contradiction avec les objectifs de diversité.
[55] Dans le même temps, le nombre de titres disponibles de livres dans les magasins Barnes & Nobles et de disques dans les magasins Walmart étaient stables à respectivement 0,13 million et 0,030 million.
[56] À l’exception notable de la Chine et de quelques autres pays de moindre taille (par exemple la Corée du Nord ou la Syrie).
[57] Source : auteurs.
[58] Par exemple, la part de l’expression locale est, en France, plus importante pour le livre que pour le cinéma (et encore plus évidemment que pour le jeu vidéo, qui est sans doute l’illustration la plus aboutie d’une industrie globalisée).
[59] Source : auteurs.
[60] Source : auteurs.
[61] Source : auteurs.
[62] Mais aussi dans les secteurs traditionnels : par exemple la création d’importants musées privés comme la Fondation Vuitton ouverte depuis 2014 dans le Bois de Boulogne à Paris, ou la Collection Pinault inaugurée en mai 2021 à la Bourse de Commerce. On peut mentionner aussi le Google Art Institute.
[63] Voir les nombreux débats sur l’art contemporain. Parmi les nombreux ouvrages sur le sujet, on peut citer : Heinich N., Le Paradigme de l’art contemporain, Gallimard, 2014.
[64] Au-delà de cette perspective « continuiste » (évolution du champ par extension progressive), certains auteurs pensent que la numérisation a pour effet un changement disruptif du paradigme de définition de la culture (voir par exemple : Baricco A., The Game, Gallimard, 2019).
[65] Le débat sur l’extension du champ « légitime » se retrouve dans les questionnements sur la nature des dépenses pouvant être incluses ou non dans le Pass culture. Nous y reviendrons par la suite.
[66] Notamment à l’époque du ministère Lang avec la reconnaissance des « musiques actuelles ».
[67] C’était par exemple le cas avec le réalisme socialiste de l’époque soviétique. L’importance des valeurs éthiques (voire leur prédominance sur les valeurs esthétiques) trouve une nouvelle actualité à l’heure de la « cancel culture ».
[68] Cette tendance est favorisée par l’absence de (ou le non-consensus sur les) normes de qualité, depuis la fin de l’époque classique (académique).
[69] Cette logique a été critiquée ultérieurement au nom d’une nécessité de la médiation.
[70] La prise en compte de la demande par les artistes n’est pas une nouveauté absolue : les peintres tenaient compte des goûts de leurs acheteurs potentiels ; les films hollywoodiens faisaient l’objet de screen tests. Ce qui est nouveau est ici l’abondance des données disponibles.
[71] On parle d’ailleurs de « créateurs de contenus ».
[72] En France, l’INSEE estime que 17 % de la population (un français sur six) est « illettré électronique ». Au niveau mondial, à peine plus de la moitié de la population mondiale, soit 4 milliards d’individus (sur 7,6 milliards) ont accès à Internet. En France, 88 % des habitants ont accès à Internet (ce qui signifie que 12 % en sont exclus) et 77 % aux réseaux mobile haut débit.
[73] L’influence du goût des autres peut aussi s’exercer en dehors de communication directe par des effets d’imitation (par exemple suivre les listes des meilleures ventes), ce qui contribue à une concentration de la demande.
[74] Peut-être d’ailleurs que le ver était dans le fruit dès l’origine dans la sémantique de l’intitulé : on est passé de « secrétariat d’État aux Beaux-Arts » (axé sur l’offre) à « ministère de la Culture » (intégrant donc la réception et donc la prise en compte de la demande).
[75] L’appartenance de l’art à l’univers des loisirs (au même titre que le bricolage) est au fondement de débats sur la valeur de l’art et sa place dans la société qui vont au-delà du champ couvert par la présente note.
[76] Voir par exemple, dans le cas du cinéma : Elberse A., Blockbusters, Faber & Faber Libri, 2013.
[77] On peut cependant avoir une vision plus positive de la concentration de la demande. Dans une société « balkanisée » (cf. Fourquet J., L’Archipel français, Seuil, 2019), avoir des références culturelles communes peut avoir une fonction de lien social.
[78] Voir à ce sujet Citton Y., L’Économie de l’attention, La Découverte, 2014.
[79] On pourrait aussi ajouter la dimension de l’éducation artistique et culturelle, mais elle est loin de dépendre exclusivement du ministère de la Culture (sauf les écoles supérieures spécialisées). Il s’agit là d’un enjeu important mais qui dépasse le champ de la présente note.
[80] Il s’agit ici d’établissements de production et de diffusion des contenus culturels (qui concernent d’ailleurs peu le domaine des industries culturelles). La création du CNM (Centre national de la musique) relève d’une logique différente : compléter le dispositif des centres sectoriels.
[81] Nous reviendrons sur ce cas par la suite.
[82] Qui concerne davantage les secteurs traditionnels (musées et patrimoine, spectacle vivant) mais n’est pas absent des industries culturelles.
[83] Cf. Racine B., « L’Auteur et l’acte de création », janvier 2020.
[84] En raison de la place relativement marginale qu’occupe jusqu’à présent le livre numérique. Il en va de même pour les formules d’abonnement (de type clubs) à l’exception des bibliothèques publiques.
[85] Qui peut faciliter l’influence des lobbys.
[86] La création du CNM (Centre national de la musique) tient compte de cette évolution des frontières intersectorielles.
[87] Ainsi que de leur conception : voir par exemple les actions menées par l’entreprise « La fabrique des formats » dans le domaine de l’audiovisuel pour développer, en stock et en flux, des formats français, pouvant ultérieurement être exportables, au lieu de se contenter de l’adaptation de formats étrangers.
[88] Son chiffre d’affaires était estimé autour de 700 M€ en 2019.
[89] La notion de champion national est réactivée par le projet de fusion de TF1 et M6 pour constituer un acteur majeur du secteur audiovisuel (sous réserve des réactions de l’Autorité de la concurrence).
[90] Le pass Culture est géré par une SAS détenue à 70 % par l’État et à 30 % par la Caisse des Dépôts.
[91] Ce qui correspond à une population de 825 000 personnes.
[92] Le total de 500 euros correspond au montant utilisé dans la phase de tests.
[93] Un financement complémentaire par des partenaires est envisagé pour un montant estimé à 20 % des dépenses, ce qui est largement inférieur au montant initialement prévu.
[94] Pour « favoriser la diversification des pratiques et les contacts avec les partenaires culturels de proximité ».
[95] En date d’octobre 2021.
[96] Il est observé des phénomènes de revente, mais il est impossible d’en évaluer l’ampleur.
[97] Il est utile de rappeler que la majorité des théâtres mettent déjà en œuvre des actions spécifiques auprès des jeunes, incluant (mais ne se limitant pas à) des tarifications spécifiques.
[98] Au risque d’être perçue comme la promotion d’un « bon goût officiel ».
[99] Par exemple la commission Culture, éducation et communication du Sénat avait, en janvier 2021, estimé qu’il était nécessaire d’attendre des résultats complets d’évaluation avant d’envisager une généralisation du dispositif. Au lendemain de l’annonce de la généralisation, l’USEP-SV (Union syndicale des employeurs du secteur public du spectacle vivant) a demandé la suppression de ce qu’elle considère comme un « gadget présidentiel ».
[100] Le rôle d’une politique culturelle publique est-il de financer la vente des mangas ?
[101] Cf. Colombani C., « Pass Cultura : une initiative de la collectivité territoriale de Corse » (in Évaluer les politiques publiques de la culture, MCC/DEPS/Questions de culture, 2016, p. 197–204).
[102] Il existe aussi de nombreux exemples de « carte jeunes » mises en place par des collectivités locales ou des établissements culturels. Mais ils n’ont pas, à notre connaissance, fait l’objet d’évaluations systématiques.
[103] Cf. Gombault A. et Petr C., La Gratuité des musées et des monuments côté publics, La Documentation Française, 2006. Des études sur la gratuité dans les musées ont montré qu’elle permettait d’augmenter le rythme de fréquentation de ceux qui y vont déjà plutôt que d’attirer des « non publics ».
[104] Dans la théorie économique classique ou néo-classique, le prix est l’élément déterminant de l’équilibre entre l’offre et la demande (le « prix d’équilibre »).
[105] On n’a plus de chances d’aller au théâtre si on y est déjà allé que si on n’y a jamais mis les pieds.
[106] Comme l’ont fort bien compris les entreprises du secteur du luxe. Pour nombre de personnes, dont beaucoup de jeunes, avoir des sneakers ou des vêtements griffés est un désir générant plaisir narcissique et affirmation d’un statut. À la limite, leur problème serait plutôt de limiter la « démocratisation » de leurs produits pour maintenir les valeurs de rareté et d’exclusivité et éviter le risque de banalisation.
[107] Avant que des habitus de goûts soient déjà installés.
[108] Renforcer leur consommation de biens et services culturels ne serait d’ailleurs pas un résultat négligeable. Mais l’objectif est aussi (surtout ?) d’attirer de nouvelles catégories de consommateurs.
[109] Voir par exemple : Babeau O., « Refonder l’audiovisuel public  », Fondapol, septembre 2016 ; Schwartz M., coord., France Télévisions 2020 : le chemin de l’ambition, La Documentation Française, 2015. Voir également : «  Vers un nouveau contrat social pour la télévision publique », Terra Nova, juillet 2015.
[110] En février 2021, il y a 207 chaînes autorisées, conventionnées ou déclarées au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel).
[111] Voir à ce sujet Wolton D., La Folle du logis, la télévision dans les sociétés démocratiques, Gallimard, 1983.
[112] Voir à ce sujet Fourquet J., op. cit.
[113] France 2, le vaisseau amiral de la télévision publique, réalise moins de 15 % de l’audience totale de la télévision en France (source Médiamétrie, Médiamat Hebdo, avril 2021), le leader étant TF1 avec 19 % de part de marché. Le secteur public est mieux positionné sur la radio avec France Inter (1re place en audience cumulée) et France Info (3e place). Rappelons que ces deux médias, radio et TV, ont une audience tendanciellement en baisse depuis dix ans (avec un fort décrochage en 2020 pour la radio).
[114] Dans les débats qui existent en Europe sur les modes de financement ou la programmation des médias de service public, un consensus s’accorde à dire depuis longtemps que leur vocation première est de s’adresser à l’ensemble des citoyens. C’est cette vocation qui justifie et rend acceptable le financement collectif des médias de service public.
[115] Pour plus de précisions, voir Cagé J., Sauver les médias, Seuil, 2015.
[116] Cf. Le Diberder A., La Nouvelle Économie de l’audiovisuel, La Découverte, 2019.
[117] Appartenant au groupe TF1.
[118]  Le sport, et en particulier le football, rassemble régulièrement les plus fortes audiences : en 2018, année de Coupe du Monde de football et de victoire de la France, neuf des dix plus fortes audiences étaient des matches. Pour France TV, le Tour de France représente également des audiences importantes. Seules les interventions présidentielles (lors de la crise des gilets jaunes ou de la crise sanitaire) dépassent ces audiences mais elles sont diffusées simultanément sur plusieurs chaînes.
[119] Le sport étant le principal programme « fédérateur », il y a des obligations d’accessibilité gratuite (sur des chaînes publiques ou privées) pour des grands évènements considérés comme générateurs de lien social (par exemple les matchs de l’équipe de France de football). Les droits des autres rencontres sportives (championnat de France de football ou de rugby par exemple) sont vendus à des chaînes privées payantes par les ligues qui les organisent.
[120] Par exemple, les jeunes ou les personnes âgées (hors de « la ménagère de moins de 50 ans », principale cible des TV commerciales (même si la multiplication des chaînes permet maintenant de viser des cibles plus fines) ou les amateurs de culture patrimoniale.
[121] La diffusion des Jeux olympiques, où tous les sports sont présents, peut être considérée comme allant dans ce sens. Les performances des équipes françaises, notamment dans des sports collectifs habituellement peu diffusés (basketball, handball, volleyball), ont attiré une audience significative. On peut penser qu’une diffusion plus régulière permettrait d’entretenir l’intérêt pour des sports assez peu présents sur les chaînes commerciales.
[122] Définis au sens large : incluant culture « légitime » et culture « populaire ». La création (et le succès) de Culture Box en est une illustration (ainsi que la programmation hebdomadaire de captations de spectacle vivant sur France 5). Culture Box avait d’abord été lancée de façon provisoire pour compenser la fermeture des lieux culturels pendant la crise sanitaire. Elle a été pérennisée en soirée sur le canal de France 4, après la décision de maintien de cette chaîne (dont la suppression avait été fortement envisagée) qui renforce l’offre linéaire publique.
[123] Cette mission existe depuis les origines de l’audiovisuel public. On peut ainsi rappeler l’existence à l’ORTF d’un service de recherche dirigé par Pierre Schaeffer et qui a été à l’origine de formes innovantes.
[124] Contrairement à la BBC souvent invoquée comme modèle. On peut noter également que le nouveau président de la BBC, Tim Davies, a évoqué, lors de son discours de prise de fonction, l’hypothèse d’un resserrement de l’offre à hauteur de 80 % du volume actuel des heures de programmes.
[125] Il ne s’agit pas là d’un problème nouveau (cf. Mamère N., La Dictature de l’Audimat, La Découverte, 1988).
[126] La présence de publicité sur les antennes publiques, actuellement autorisée pour la télévision avec des contraintes horaires, devrait aussi faire l’objet d’un débat. La situation sur ce point est variable dans les différents pays européens. Voir à ce sujet Porro P., « Six manières de financer l’audiovisuel public », La revue des médias, 30 avril 2018.
[127] Le nombre total de personnes touchées pourrait être un indicateur pertinent. Par exemple, Delphine Ernotte (PDG de France Télévisions) indique que les différentes chaînes publiques atteignent plus de 80 % des Français chaque semaine (interview au Journal du Dimanche le 9 mai 2021).
[128] C’est-à-dire sans tenir compte de son « utilité publicitaire » liée au pouvoir d’achat.
[129] Le même débat se retrouve pour la répartition des droits d’auteur des opérateurs de streaming musical (Spotify ou Deezer).
[130] Voir notamment : Bonnell R., « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique », décembre 2013 ; Cour des Comptes, « Le soutien à la production cinématographique : des changements nécessaires », avril 2014 ; Boutonnat D., « Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles », décembre 2018.
[131] Rappelons que 50 % des films français font moins de 100 000 entrées en salles.
[132] Elles achètent également les droits de diffusion de contenus déjà produits par d’autres opérateurs.
[133] Le cas du film de Martin Scorsese The Irishman, produit par Netflix, est, parmi d’autres exemples, emblématique de cette situation. Il y a également un débat avec les festivals de cinéma pour reconnaître ou non la nature filmique de ces productions et donc les accepter dans la liste des films sélectionnés (par exemple Roma, qui a obtenu le Lion d’or au Festival de Venise, n’est pas sorti en salles). Il en va de même pour leur éligibilité aux palmarès professionnels tels que les Oscars.
[134] Rappelons qu’il fut une époque (jusque dans les années 1960) où la chronologie des sorties de films s’appliquait au sein de l’univers des salles : il y avait des salles de « première exclusivité », qui projetaient les films nouveaux, et des salles de « seconde exclusivité », dans lesquelles les films étaient programmés quelques semaines plus tard avec un prix du ticket inférieur et des copies usagées.
[135] Avec une distinction selon que la chaîne est coproductrice de l’œuvre ou non.
[136] Ce lancement a été la source d’un conflit entre Universal et la chaîne de salles de cinéma AMC qui s’est conclu par un accord sur la chronologie des médias : possibilité de sortir un film en VOD dix-sept jours après la sortie en salles (au lieu de quatre-vingt-dix jours précédemment), en échange de la rétrocession au circuit de salles d’un pourcentage des bénéfices du streaming.
[137] Voir par exemple les cas de Borat 2 sur Amazon Prime ou du nouveau film de Sofia Coppola sur Apple.
[138] Les conflits sur les sorties hybrides ne concernent pas seulement les relations entre producteurs et exploitants de salles. On peut citer par exemple le procès intenté à Disney par l’actrice Scarlett Johansson, qui estime que la sortie simultanée du film Black Widow a diminué les recettes en salles et donc ses propres revenus assis sur un pourcentage de ces recettes.
[140] Cf. Les Français et les sorties culturelles post-crise, étude Harris Interactive pour le ministère de la Culture, septembre 2021.
[141] On pourrait imaginer qu’une telle plateforme serait mise en œuvre par un groupe de distributeurs actuellement trop dépendants de l’économie de la salle.
[142] Que l’on pourrait aussi qualifier de globalisés, voire de « supranationaux », dans la mesure où leurs actions transcendent les frontières nationales. Notons que cette problématique a été abordée il y a plusieurs années par Pierre Bellanger dans son ouvrage La Souveraineté numérique, Stock, 2014.
[143] Ces opérateurs sont souvent présents dans plusieurs secteurs, ce qui leur permet de proposer des abonnements groupés (« bundling ») transcendant les frontières sectorielles.
[144] Deux autres directives, d’une portée plus large, sont en cours d’élaboration : DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act).
[145] Les délais de diffusion des films seraient directement dépendants du taux de contribution choisi. Plus courts (moins d’un an) si le taux choisi est de 25 %
[146] Dans le but de sauvegarder, au nom de la diversité, la production indépendante.
[147] Les réactions, pour le moins mitigées, des acteurs français de l’audiovisuel face aux obligations de financement de la production imposées aux plateformes est significative à cet égard. Ils craignent notamment des conséquences inflationnistes sur l’accès aux talents.
[148] Qui consisterait par exemple à interdire aux investisseurs étrangers la position de producteur délégué pour les investissements réalisés sur le territoire communautaire (comme c’est le cas en France pour les filiales cinéma des chaînes de TV).
[149] Cf. Cardon D., op. cit.
[150] Cette question s’inscrit dans la problématique plus générale de la régulation des entreprises du numérique et sa mise en œuvre ne se fera pas sans conflits (cf. Toledano J., GAFA : reprenons le pouvoir, Odile Jacob, 2020, en particulier chapitre 5). 
[151] D’autres analyses sur ce sujet, conduites par la même équipe de chercheurs, sont en cours et seront publiées prochainement.
[152] Un autre secteur très fortement touché est le tourisme, ce qui a des effets indirects sur le secteur culturel.
[153] Ministère de la Culture, « Analyse conjoncturelle du chiffre d’affaires de la culture au 4e trimestre 2020 », Note de conjoncture 2021.
[154] Ministère de la Culture, « Analyse conjoncturelle du chiffre d’affaires de la culture au 2e trimestre 2021 », Note de conjoncture 2021#4.
[155] Qui a concerné l’ensemble du secteur audiovisuel (tournage des séries et autres émissions). L’interdiction des tournages, ainsi que des répétitions théâtrales, a été levée lors du deuxième confinement, de même que la fermeture des librairies.
[156] Ce qui n’a d’ailleurs pas forcément été une aubaine pour les chaînes commerciales confrontées à une baisse de la demande de publicité.
[157] Deux hypothèses s’opposent : un « retour à la normale » avec la levée des restrictions, ou bien une évolution de l’épidémie vers une endémie conduisant à une » nouvelle normalité » (par exemple maintien du port du masque et de l’usage du pass sanitaire) ?
[158] Cf. « soft power ».
[159] Voir David J. & Dionisio N. « The metaverse could actually help people », MIT Review, septembre 2021.
[160] Il pourrait en aller de même pour les petites salles de concert face à la concurrence du livestream.
[161] Conduisant à une structure sociale en « archipel » (Cf. Fourquet J., op. cit.).
[162] En particulier le football (tout au moins les matchs internationaux diffusés gratuitement) qui occupe souvent les premières places dans les palmarès d’audiences. La « culture de consommation » pourrait aussi jouer ce rôle fédérateur autour des marques, en particulier de produits de grande consommation, mais elle aussi est de plus en plus éclatée entre commerce physique et Internet. Quant à la religion, autre matrice de structuration sociale, elle n’est évidemment plus un facteur d’unification dans une société multiculturelle.
[163] Il faut noter qu’il s’agit d’une rupture avec la hiérarchie des arts et des œuvres, qui joue un rôle central dans la logique verticale de la démocratisation culturelle, et que la question de la construction d’un imaginaire commun construit autour d’un ensemble de chefs-d’œuvre reconnus par tous repose sur une vision normative et universaliste qui peut entrer en contradiction avec des objectifs de diversité.
[164] La difficulté sur ce point sera l’accès aux données de consommation, qui sont souvent confidentielles sur les plateformes (outre les problèmes de transparence des algorithmes de recommandation).
[165] Denrée rare dans le contexte de l’économie de l’attention.
[166] Entreprise dans laquelle Vivendi est récemment devenu très minoritaire.
[167] Comme par exemple Novaquark dans le secteur des jeux vidéo ou Believe dans le domaine musical, Mediawan dans l’audiovisuel.
[168] Dans la logique de l’« exception culturelle ».
[169] Dérives exposées notamment par Vincent Maraval : « Les acteurs français sont trop payés ! », in Le Monde du 28 décembre 2012. Pour ne citer qu’un extrait de cet article : « Le cinéma français repose sur une économie de plus en plus subventionnée. Même ses plus gros succès commerciaux perdent de l’argent. »
[170] Le vote par le Parlement européen des décrets SMAD, qui obligent les plateformes à investir dans la production propre au pays de diffusion, pourrait être perçu par le secteur du cinéma comme une victoire à la Pyrrhus, même s’il permet sans conteste à la production audiovisuelle française de trouver des financements de substitution face à la perte de chiffre d’affaires des diffuseurs nationaux. Voir à ce sujet Le Diberder A. ; https://alain.le-diberder.com/la-disparition-le-triste-destin-des-films-de-plateforme/#more-1844
[171] Ce qui conduit à recommander de supprimer les choix par des commissions.
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source

https://2macp.fr/gestion-de-la-production/

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