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Défiscalisation
Par Jean-Jacques Manceau
Publié le 28/05/2022 à 08:02 – Mis à jour le 28/05/2022 à 08:02
Ce vendredi 20 mai, la célèbre croisette de Cannes a retrouvé son lustre d’avant Covid. Pour ce quatrième jour de Festival, l’événement met en lumière Frère et Sœur. Ce drame signé Arnaud Desplechin figure parmi les prétendants français à la Palme d’or de cette 75e édition.
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Pour l’occasion, toute la galaxie du financement du cinéma français a fait le déplacement. Il faut dire que le nouveau Desplechin, au budget de 4,5 millions d’euros, a bénéficié de l’appui des plus grosses Sofica (Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel), notamment Cinémage, Cofinova, Indéfilms ou encore Palatine Etoile.
«C’est un de nos gros coups de cœur de cette année et un bon espoir de Palme d’or», avoue au Revenu Thierry Wong, fondateur de Ciné Nominé, producteur de cinéma et créateur de la Sofica de la Banque Palatine.
Si le producteur-investisseur est confiant, c’est que le cinéma français a le vent en poupe. Il reçoit notamment le soutien d’un système de financement quasiment unique au monde, mis en place en 1985 afin d’attirer des capitaux privés en permettant aux actionnaires des Sofica de bénéficier d’un avantage fiscal.
En 2021, les Sofica ont participé au financement de tous les films français sélectionnés au Festival de Cannes (sauf un), dont la Palme d’Or, Titane, et des sept films français sélectionnés à la Semaine de la Critique. Elles ont également aidé au financement de L’Événement, Lion d’or à Venise.
Et, bonne nouvelle pour les amateurs de cinéma français, les Sofica ont investi une somme record dans la création en 2022. Les douze sociétés de financement du cinéma et de l’audiovisuel agréées par Bercy en 2021 ont levé plus de 71 millions d’euros, à investir cette année, soit 11 millions de plus que l’année précédente.
Il faut dire que les parts de Sofica se vendent comme des petits pains. Les contribuables raffolent de ces produits de défiscalisation. Au point que les banques réservent ce placement à leurs meilleurs clients. Car si cet investissement est plutôt risqué et peu liquide, il fait l’objet d’une ristourne fiscale alléchante.
En contrepartie de la détention de parts de Sofica pendant au moins 5 ans, et dans la limite d’un plafond de versements de 18.000 euros (et 25% du revenu net global), le souscripteur peut réduire son impôt sur le revenu à hauteur de 30 à 48% du montant des versements nets, effectués au cours de l’année précédente. Soit une réduction maximale de 8.640 euros (taux de réduction de 48%) pour un investisseur, célibataire (ou veuf ou divorcé) ou en couple soumis à imposition commune, disposant d’un revenu net global d’au moins 72.000 euros.
La réduction d’impôt maximale dépend des contraintes d’investissement qui pèsent sur la Sofica. Ainsi, celles proposant une réduction de 48% doivent consacrer au moins 10% de leurs investissements à la réalisation de séries ou à l’exportation des œuvres françaises à l’étranger.
«Je ne comprends pas l’engouement pour ce produit de défiscalisation, qui offre des performances limitées et très peu de visibilité», dénonce Georges Nemes, président de Patrimmofi, un cabinet de conseil en gestion de patrimoine.
«Une sortie anticipée avant la liquidation totale n’est pas autorisée par la Sofica. Le contribuable doit attendre en moyenne six ans pour récupérer son investissement, voire dix ans (soit la durée de vie maximum de la Sofica) en cas de retard sur le développement, l’exploitation ou la revente du catalogue de projets. Et pendant ce temps-là les frais s’accumulent», poursuit le gérant.
Avant de porter l’estocade : «La perte en capital est quasi certaine. Le rendement d’un investissement dans les Sofica provient uniquement de la réduction d’impôt acquise au moment de la souscription.»
Un constat sévère confirmé par un rapport rédigé par l’actuel directeur du CNC (Centre national du cinéma), l’organisme qui accrédite chaque année les Sofica. Selon le rapport Boutonnat, entre 2002 et 2011, les Sofica n’ont financé que des projets à perte. Pour celles créées entre 2002 à 2009, le souscripteur a récupéré à terme un capital inférieur au montant net investi: les parts ont été remboursées entre 40 et 90% de leur valeur initiale.
Pis, les Sofica prélèvent 19% de frais de gestion, qui viennent encore réduire le rendement. Résultats, le seul intérêt du produit est son avantage fiscal. Et encore, avantage fiscal inclus, la rentabilité n’est que de 1,9%, soit autant qu’un contrat d’assurance vie en euros qui ne présente aucun risque.
La conclusion de ce rapport était claire : il faut permettre aux Sofica d’investir dans des films «plus rentables», comprendre plus «commerciaux» et mieux distribués. Surtout, il faut accompagner l’évolution de la consommation de cinéma et l’explosion des nouveaux canaux de diffusion.
«Nos Sofica Cinémage ont su anticiper l’essor exceptionnel des séries et se positionner sur les séries françaises les plus populaires en France et à l’international. Après Le Bureau des Légendes (série française la plus exportée dans le monde), Mytho (vendue à Netflix) et Tropiques Criminels, Cinémage s’est notamment associée à la production de En Thérapie, diffusé sur Arte», expliquait récemment au Nouvel Économiste Serge Hayat, le fondateur de la Sofica Cinémage.
«Les plateformes de streaming [Netflix, Amazon Prime, Disney, Salto…] en hyper croissance sont en quête de films toujours plus nombreux et diversifiés à proposer à leurs abonnés. Depuis 2021, elles ont l’obligation, comme Canal+, de financer le cinéma», se réjouit Pierre Forette, cofondateur de Ciné Nominé, producteur de cinéma, qui y voit un débouché évident pour les films financés par les Sofica.
Signe des temps, alors que la plupart des Sofica agréées sont des émanations des banques, une nouvelle entrante tente de s’imposer sur le marché. Lancée par Entourage Gestion, Entourage Sofica a signé un partenariat d’adossement avec Mediawan.
En cas d’échec d’un film, l’accord d’adossement permet à la Sofica de récupérer 100% de sa mise auprès de son partenaire. Mais à condition que le partenaire soit solide. D’où l’intérêt de s’associer au géant de la production cinématographique et audiovisuelle européenne, cofondé fin 2015 par Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse.
Si les Soficas continuent de financer des films qui vont rêver les cinéphiles, elles pourraient aussi remettre des «paillettes» dans les yeux des contribuables!
«Nous offrons un taux de retour sur investissement de 5 %, avantage fiscal inclus»
Vous avez une double casquette de producteur et financeur indépendant du cinéma. Comment cela fonctionne ?
Nous sommes avant tout producteur depuis 2000, date de sortie de La Squale, notre premier long métrage. Depuis, nous avons produit plusieurs dizaines de films. Simultanément à notre activité de production, nous avons fondé en 2003, en partenariat avec la banque Palatine (ex-Sanpaolo) du groupe BPCE, les Sofica Uni Etoile, qui deviendront Palatine Etoile, ainsi que plusieurs sociétés consacrées à l’investissement dans le cinéma français et européen.
À ce jour, l’ensemble de ces sociétés ont levé et investi plus de 100 millions d’euros, investis dans près de 340 longs métrages, dont une Palme d’or et plus de 42 films sélectionnés au Festival de Cannes. Nous étions les premiers à l’époque à nous orienter vers les producteurs indépendants. Mais, dès le départ, nous avons fait le choix de ne pas investir dans nos propres productions.
Comment sélectionnez-vous les films ?
Nous avons mis en place un comité indépendant composé de tous les métiers du cinéma pour sélectionner une quinzaine de projets par an, sur lesquels nous investissons 4 millions, d’abord selon leur qualité artistique mais aussi sur leur potentiel commercial. C’est pourquoi, nous avons toujours été sensibles à la partie distribution.
Désormais, les Sofica doivent consacrer 15% de leur collecte à des investissements auprès des distributeurs de films. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’enveloppe, limitée en général à 63 millions, a été relevée par les pouvoirs publics à 73 millions. Ces fonds supplémentaires doivent donc renforcer ce maillon essentiel de la chaîne de l’industrie cinématographique, durement touché par la crise sanitaire.
Comment calcule-t-on la rentabilité d’un film ?
Le cycle d’exploitation d’un film s’étend sur 5 à 7 ans, entre le tournage, la sortie en salles en France, puis les reventes à l’étranger, puis à la télévision suivant la chronologie des médias. On détermine ensuite la valeur catalogue du film. À chaque étape nous encaissons les recettes du film. Sur nos Sofica, nous offrons un taux de retour sur investissement de 5 %, avantage fiscal inclus.
La rentabilité finale d’une Sofica dépend de la valeur de remboursement des parts acquises, donc du succès ou de l’échec des films financés. Et surtout de la durée du placement. La durée maximale de clôture d’une Sofica est de 10 ans. Un gain de 20% sur 6 ans et un gain de 20% sur 10 ans n’offrent pas les mêmes performances.
Lorsqu’on investit dans une Sofica, on récupère rarement l’intégralité de son investissement à la sortie, mais seulement 60 à 70%. De plus, les frais de gestion obèrent la rentabilité finale. Comptez environ 3% lors de la souscription, puis près de 2% par an durant cinq à dix ans. Une étude montre que, entre 2013 et 2017, la rentabilité annuelle moyenne nette des Sofica a été de 2,82% (avantage fiscal inclus).
Dans le détail, près de la moitié des Sofica du panel ont servi moins de 3% (au pire -4,57%) et douze ont offert une rentabilité supérieure à cette barre de 3% (jusqu’à 7,2%). Aucune de ces Sofica n’a remboursé intégralement le capital engagé. Les taux de remboursement s’échelonnent entre 36% et un peu plus de 80%, la moyenne (et la médiane) se situant autour de 63%.
Ce n’est généralement qu’au mois d’octobre que le CNC publie la liste des Sofica agréées pour l’année ainsi que les montants de collecte attribués à chacune d’entre elles. Les contribuables intéressés ne disposent alors que d’un délai de quelques semaines, en fin d’année, pour souscrire des parts.
Si de nombreuses Sofica émanent d’établissements bancaires (La Banque Postale, Palatine, Société Générale, etc.) et sont commercialisées principalement au sein de leurs réseaux respectifs, d’autres Sofica sont montées à l’initiative de sociétés de production ou de sociétés de gestion.
La dernière créée, Entourage Sofica, est gérée par la société de gestion Entourage Ventures, qui est un spécialiste de l’investissement dans la distribution. «Nous co-investissons depuis 2016 auprès de Gaumont dans tous ses films avec notre fonds Entourage Pictures», expliquait au lancement Julien Delajoux, cofondateur d’Entourage Ventures. Celle-ci est disponible chez Linxea pour le canal digital, le groupement de conseillers de gestion de patrimoine (CGP) La Financière d’Orion et la banque privée Hottinguer.
La plupart des Sofica non bancaires sont disponibles, quant à elles, à la souscription auprès de distributeurs intermédiaires comme des CGP. «Attention aux CGP qui vous promettent des Sofica pour finalement vous orienter vers d’autres produits», alerte un professionnel parisien.
Avec un ticket d’entrée élevé (autour de 5.000 euros), ces produits sont à réserver aux gros patrimoines. D’autant que les parts de Sofica sont soumises au traitement social et fiscal des valeurs mobilières, en cas de dividendes ou lors de la cession. Les moins-values probables viennent alors en déduction de plus-values réalisées sur d’autres valeurs mobilières lors de l’année de cession.
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