«Si vous vous représentez l’entrepreneur high-tech type sous les traits du gamin qui bricole dans le garage de ses parents – c’est justement moi que vous décrivez. Ma première incursion dans l’entrepreneuriat à l’époque de la bulle Internet s’est soldée par un échec retentissant. Black Art of Java Game Programming, titre que j’ai publié en la mémorable année 1996, est d’après mes dernières vérifications, toujours disponible sur Amazon.com au prix de 0,99 dollar. Aucun de ces projets ne laissait présager que je consacrerais les années suivantes à promouvoir un nouveau système de management. Il a fallu que j’emménage dans la Silicon Valley pour entrevoir les mécanismes qui commandent la réussite ou l’échec.
«Ce faisant, j’ai commencé à élaborer un modèle d’entrepreneuriat plus rigoureux. J’ai entrepris d’écrire à ce sujet, d’abord sur Internet à partir de 2008, puis en publiant Lean Startup en 2011. Ce qui s’est passé ensuite a dépassé mes attentes les plus folles. Le mouvement Lean Startup a gagné le monde entier. Plus d’un million de personnes ont lu mon ouvrage. Où que vous vous trouviez dans le monde, il est probable qu’un groupe Lean Startup existe non loin de chez vous.
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«Des milliers de fondateurs, d’investisseurs, et d’autres acteurs de l’économie de l’innovation se sont ralliés aux idées et aux pratiques du Lean Startup et les ont adoptées. J’énonçais dans Lean Startup une théorie qui semblait radicale à l’époque. Selon moi, une start-up peut s’appréhender comme une “institution humaine conçue pour créer un nouveau produit ou service dans des conditions d’incertitude extrême”. Cette définition est volontairement générale. Elle ne renseigne pas sur la taille de l’institution, ni sur la forme qu’elle prend (entreprise privée, association sans but lucratif, ou autre), ni sur l’industrie ou le secteur économique dans lequel elle s’inscrit.
«N’importe quelle personne – indépendamment de son titre ou du poste qu’elle occupe – peut se trouver presque du jour au lendemain plongée dans les eaux tumultueuses de l’entrepreneuriat si le contexte dans lequel elle opère devient hautement incertain. Les entrepreneurs potentiels sont partout – dans les PME, dans les multinationales, dans les hôpitaux, dans les écoles, et même au sein des agences gouvernementales. Méritants et souvent méconnus, ils testent des idées neuves, qu’il s’agisse de travailler de manière plus efficace ou d’introduire un produit ou un service sur le marché au bénéfice de nouveaux clients.
«Au cours des six années qui se sont écoulées depuis la publication du livre, les organisations qui ont adopté la méthode Lean Startup ont validé ma théorie. J’ai eu l’occasion et la chance de voyager dans le monde entier et de collaborer avec des entreprises de tout type et de toute taille. Trois jeunes fondateurs mettant au point une application ? Une TPE ? Une association religieuse sans but lucratif ? Des fabricants de taille moyenne ? Des start-up à la croissance fulgurante proches de l’introduction en Bourse ? Des agences gouvernementales ? Des multinationales ? Toutes ces organisations peuvent exploiter la méthodologie Lean Startup pour travailler avec davantage d’efficacité et accélérer leur progression.
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«Une rencontre en particulier m’a marqué. Un après-midi d’été, des ingénieurs et des cadres de l’une des plus grandes entreprises d’Amérique se réunirent dans une salle du site de formation. Ils devaient débattre d’un plan sur cinq ans coûtant plusieurs centaines de millions de dollars, concernant le développement d’un nouveau moteur conjuguant diesel et gaz naturel. L’objectif était de pénétrer le marché de l’espace ; ils l’abordaient avec enthousiasme. Le moteur, baptisé Series X, possédait de larges applications, de la génération d’énergie à l’électricité motrice. Tout cela semblait clair aux personnes rassemblées dans la pièce.
«À l’exception de l’une d’entre elles, qui assistait à la réunion sans rien connaître aux moteurs, à l’énergie ou à la production industrielle et s’en trouvait par conséquent réduite à poser des questions basiques dignes du Dr Seuss (créateur de personnages pour enfants tels que le Grinch) : “Pouvez-vous m’expliquer de nouveau les applications de ce moteur ? Est-il destiné aux bateaux, aux avions ? Sera-t-il utilisé sur terre ou sur mer ? Dans un train ?”
«Les responsables et les ingénieurs s’interrogeaient sans doute : “Mais qui est cet ahuri ?” L’ahuri en question, c’était moi. L’entreprise était General Electric (GE), l’une des organisations américaines les plus anciennes, les plus respectées, avec une valeur de marché (à l’époque) de 220,47 milliards de dollars et pas moins de 300 000 salariés. Comment s’expliquait ma présence dans les locaux de GE cet été 2012 ? Je ne fais pas partie de l’entreprise.
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«Ma spécialité ne concerne ni l’énergie, ni la santé, et aucun des multiples secteurs couverts par GE. Je suis un entrepreneur. Le président et PDG de GE, Jeffrey Immelt, et la vice-présidente Beth Comstock m’avaient invité ce jour-là à Crotonville, état de New York, parce que l’une des idées développées dans mon premier ouvrage, Lean Startup (Pearson France, 2015) les intriguait, à savoir : les principes du management entrepreneurial peuvent s’appliquer dans tout type d’industrie, dans toute entreprise quelle que soit sa taille, dans tout secteur de l’économie.
Et ils estimaient que le groupe devait les intégrer dans son fonctionnement. Ils voulaient engager GE sur la voie de l’adaptabilité et de la croissance ; Immelt, qui s’apprêtait à partir, entendait léguer à l’entreprise les moyens de s’assurer une prospérité durable. Ce jour-là, nous avons revu le plan de développement du moteur Series X. Nous avons compris qu’il arriverait beaucoup plus vite sur le marché si nous construisions en quelques mois un produit plus simple, au lieu de consacrer plusieurs années à son élaboration.
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«Suite à cette réunion, en plusieurs années, nous avons formé des milliers de cadres du groupe. J’ai coaché personnellement plus d’une centaine d’équipes projet de fonctions, de zones géographiques et de départements différents. Au sein de la galaxie GE, chaque PDG, chaque haut responsable a été formé au management entrepreneurial, et des fonctions internes ont été transformées pour faciliter l’innovation – au lieu de la freiner.
«Le lendemain de cette rencontre, j’eus une conversation d’un tout autre type – du moins en apparence. Mon interlocuteur était le fondateur et PDG d’une start-up technologique de seconde génération à forte croissance. On ne pouvait envisager plus différentes que ces deux entités : l’une ancienne, l’autre récente, l’une dominant le marché dans toutes ses activités, l’autre luttant pour s’imposer. La première fabriquant massivement des produits physiques, la seconde mettant au point des logiciels en ligne. La plus ancienne résidant sur la côte Est, la nouvelle ayant élu domicile sur la côte Ouest. Là les dirigeants arborent en général le costume, ici ils portent des jeans.
«Le PDG de la seconde entreprise, l’un des premiers adeptes du Lean Startup, se trouvait confronté à plusieurs défis : comment répliquer à grande échelle une innovation couronnée de succès ? Comment conduire les salariés à se comporter et à penser en entrepreneurs ? Et, avant tout, comment trouver de nouvelles sources de croissance ? Je fus étonné de constater qu’en dépit des différences apparentes, des points communs reliaient mes deux conversations. GE – à l’instar de nombreuses entreprises qui ont réussi – cherchait à dynamiser sa culture en y instillant un état d’esprit entrepreneurial, garant de croissance future. Quant à la start-up rencontrée le lendemain, elle s’interrogeait sur le moyen de préserver sa culture entrepreneuriale tout en continuant à se développer.
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«Au cours des dernières années, j’avais souvent vécu de tels moments, où je réalisais brusquement que des organisations que je croyais antinomiques devaient relever des défis présentant un certain parallélisme. Mes entretiens avec des dirigeants et des fondateurs d’entreprises établies et de jeunes pousses m’ont montré que les organisations d’aujourd’hui ne possèdent pas tous les atouts pour prospérer dans les décennies ou le siècle à venir.
«Il leur manque la capacité à expérimenter rapidement de nouveaux produits et business models, la capacité à promouvoir leurs salariés les plus créatifs, la capacité à s’engager dans un processus d’innovation continue – et à le gérer avec rigueur et responsabilité – en vue de libérer de nouvelles sources de croissance et de productivité.
«Dans chaque type d’entreprise, des leaders visionnaires s’éveillent à de nouvelles possibilités, associant le meilleur du management classique à la rigueur du management entrepreneurial. En observant leur action, j’ai constaté que l’entrepreneuriat peut réellement revitaliser la pensée managériale du XXIe siècle. Ce qui compte, ce n’est plus seulement la manière dont on opère dans un secteur ou une entreprise. Mais la façon dont tout le monde, partout, travaille – ou veut travailler.
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«C’est ce que j’appelle le Modèle Startup. Le Modèle Startup associe la rigueur du management traditionnel et la nature hautement itérative des start-up. C’est un système susceptible d’être utilisé par toute organisation qui entend pratiquer l’innovation continue, indépendamment de sa taille, de son âge ou de sa mission. Je vous invite tout d’abord à vous reporter à ma définition d’une start-up (voir plus haut). L’entrepreneuriat étant lié à l’élaboration d’une structure, il concerne aussi le management. Dans le Modèle Startup, l’entrepreneuriat est une discipline managériale, un cadre dans lequel organiser, évaluer et allouer des ressources.
«C’est une philosophie qui se substitue à un schéma périmé freinant encore tant d’entreprises, et qui montre comment une organisation moderne pourrait générer durablement de la croissance par l’innovation continue. À la place du système de management actuel, régi par la planification et la prévision, le Modèle Startup donne naissance à un système qui intègre la vitesse et l’incertitude et s’épanouit avec elles.
«Soulignons d’emblée que le fait d’engager l’organisation dans cette méthode de travail n’implique pas de réorganiser chaque équipe d’après les principes d’une start-up. Cela ne signifie pas non plus que chaque employé va, comme par magie, se transformer en entrepreneur. Le but est plutôt de faire le maximum pour que les équipes en mode start-up opèrent de manière fiable et d’orir à chaque salarié la possibilité d’adopter une attitude d’entrepreneur. Cela permettra l’émergence de personnalités naturellement enclines à travailler de cette façon – ou qui pourraient le devenir en étant encouragées et légitimées.
«Chaque manager doit donc maîtriser les outils du management entrepreneurial, même s’il n’est pas directement engagé dans une équipe start-up. Il doit comprendre pourquoi certains salariés continuent à travailler selon un autre mode, savoir leur imposer le respect des nouveaux codes et discerner quand sa propre fonction de gardien du temple, par exemple en tant que responsable des ressources humaines, des technologies de l’information, du droit ou de la conformité, constitue une entrave au nouveau modèle.»
1 / L’innovation continue. Trop de leaders sont à la recherche de l’innovation miracle. Mais la croissance de long terme repose sur un autre prérequis : une méthode qui permette d’identifier en permanence de nouvelles opportunités, en exploitant la créativité et les talents à tous les échelons de l’organisation.
2 / La start-up comme unité de travail distincte. Si elles veulent créer des cycles d’innovation continue et identifier de nouvelles sources de croissance, les entreprises doivent se doter d’équipes capables d’expérimenter pour les découvrir. Ces équipes sont des start-up internes et constituent donc des entités distinctes.
3 / La fonction manquante. L’intégration de start-up dans l’écosystème d’une organisation impose de gérer celles-ci en prenant de la distance par rapport aux méthodes traditionnelles. Or la plupart des organisations manquent d’une compétence-clé – l’entrepreneuriat – aussi vitale pour leur réussite future que la fonction marketing ou finance.
4 / La seconde fondation. Apporter ce changement fondamental à la structure d’une organisation équivaut à la fonder une seconde fois, qu’elle ait cinq ans ou cent ans d’existence.
5 / La transformation continue. Cela suppose de développer une nouvelle capacité organisationnelle : il faut réécrire l’ADN de l’organisation en réponse aux multiples défis qui s’offrent à elle. Il serait dommage de s’en tenir à une seule transformation. Dès lors que l’entreprise a réussi à se transformer, elle peut – et devrait – se préparer à renouveler l’expérience.
Le Modèle startup Eric Ries, éd. Pearson France (2018), 29 euros :
L’auteur du best-seller international Lean Startup, qui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, vient de publier Le Modèle startup. Après avoir animé des conférences et des ateliers dans de nombreux grands groupes ces cinq dernières années, Eric Ries a en effet constaté qu’un certain nombre de façons de faire des startup pouvaient permettre à des organisations importantes et bien installées de continuer à croître, de façon durable, en innovant et en se transformant. Son nouvel ouvrage est donc un mode d’emploi qui peut permettre de faire souffler un vent entrepreneurial au sein des plus grosses entreprises. Et de les réveiller de façon salutaire !
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Comment le modèle start-up peut stimuler l'innovation et la croissance des entreprises – Capital.fr
janvier 15, 2023
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